rencontre avec les artistes moldaves qui fouleront la scène Balkan Trafik

rencontre avec les artistes moldaves qui fouleront la scène Balkan Trafik
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Comart, à deux heures de route de la capitale moldave Chisinau. C’est ici, dans les sous-sols sombres d’un centre culturel à deux pas d’une statue de Lénine et d’une église orthodoxe scintillant de mille feux, que l’on rencontre ceux qui enflammeront dans quelques jours la scène bruxelloise du Balkan Trafik. Pour l’instant, ils répètent à moins de 20 kilomètres de la frontière ukrainienne.

Certains sont encore étudiants en chant, journalisme, musique. Tatiana Mitioglo, la fondatrice, donne des cours de chant. Plus qu’une simple chorale folklorique, le Kolay Sesleri chanter pour la « survie » de leur culture. Et ça commence ici, dans ce petit studio underground coloré d’aquarelles de paysages gagaouzes créées par Vitali Manjul, un chanteur aux influences plus modernes puisant dans le hip-hop et qui les accompagne sur scène.

« La langue gagaouze disparaît partout petit à petit »

Petit point géographique. Nous sommes en Gagaouzie, une région divisée en une vingtaine de villages et trois villes du sud de la Moldavie, le long de la frontière ukrainienne. Ici, nous parlons habituellement russe. Mais pas seulement. Les Gagaouzes, les gens qui habitent les lieux, ont une langue maternelle dérivée de la chose. Leurs origines sont assez vagues mais ce sont les migrations dues aux changements de territoires et aux différents traités intervenus dans les deux premiers tiers du XIXe siècle qui les ont amenés à s’installer ici.

Musulmans à l’origine, ils se sont convertis au christianisme orthodoxe et vivent également en Bulgarie, en Roumanie et en Ukraine. Mais c’est en Moldavie qu’ils sont le plus nombreux. Là, ils jouissent d’un statut relativement indépendant.

Avant un live pour l’émission Miss Gagaouzia, nous changeons de studio pour aller plus au sud, traversant de grandes collines propices à la culture de la vigne, caractéristique de la Moldavie. Direction Kirsovo.

Partout où l’occasion se présente, les six jeunes femmes chantent en se lançant a cappella n’importe où, sans donneur de tempo : synchronisation remarquable. Ne vous attendez pas à de simples vocalisations. Autant dans un restaurant que dans la rue ou sur une grande scène, passez 10 minutes baignés dans leur énergie et leurs chansons résonneront dans vos têtes pendant plusieurs heures.

Les Kolay Sesleri (ou voix Kolay) chantent en gagaouze ; et pour Maria, une des membres, « chanter dans notre langue reste très important pour nous tous, c’est ce qui nous lie ». E.t Vitali Manjul poursuit : «La langue gagaouze disparaît peu à peu partout, sauf ici. Mais notre survie en tant que culture est loin d’être complète, c’est pourquoi nous continuons et des festivals comme Balkan Trafik nous permettent de propager nos racines

Les cours de roumain, une mesure contestée

Modavie a lancé une campagne pour des cours de roumain dans les écoles gagaouzes russophones. Une mesure perçue par certains comme une nouvelle atteinte à l’identité gagaouze au moment où la gouverneure de la zone, Evgenia Gutul, se rapproche officiellement du Kremlin. faisant ainsi parler la région d’être la deuxième Transnistrie de Moldavie.

Balkan Trafik Festival, « un festival qui rassemble les communautés »

Pour rappel, dès l’indépendance de la Moldavie, un conflit avait éclaté entre le jeune Etat et la région du nord, la Transnistrie, située à l’est du Dniest, soutenue par les troupes de Moscou et voulant faire sécession. Finalement, un accord fut trouvé en 1992 pour accorder une certaine autonomie à la Transnistrie en échange de la fin du soutien russe et à condition que la Moldavie ne se rapproche pas de la Roumanie voisine. En réalité, le conflit n’est pas enterré mais plutôt gelé. Aujourd’hui encore, des postes de contrôle gardés par l’armée russe surveillent le passage d’une région à l’autre.

Le mur du dialogue de l’oligarque

Même dans la capitale, le poids de la dualité entre l’Union européenne et la Russie se fait sentir. Au cœur de Chisinau trône, plus très fièrement, l’Hôtel National : un vestige soviétique acheté par un oligarque qui voulait, sans succès, le démolir pour l’agrandir. Le bâtiment est aujourd’hui en ruines. Un écran géant en béton dans la capitale que le street artiste Dima, d’origine russe, ne comptait pas laisser gris. En quelques heures, de nuit, avec des amis, ignorant les interdictions, il pénètre dans le bâtiment et repeint sa façade aux couleurs de l’Ukraine. Un véritable symbole sur l’une des routes principales menant à l’aéroport. Trois mois plus tard, l’hôtel est repeint par d’autres aux couleurs de la croix de Saint-Georges, symbole aux connotations militaires pro-russes. Quelques heures plus tard, le bâtiment a été repeint pour effacer les couleurs de la croix. Le bâtiment sera fini en jaune, bleu et rouge : le drapeau moldave.

Dima (Dmitri Potapov), habitué des zones de conflits qu’il traverse une bombe de peinture à la main, constate que le manque d’unité en Europe permet la percée de la Russie en Ukraine. Un conflit qui divise ici : «Il y a ceux qui sont pro-européens, mais parmi eux il y a ceux qui veulent une Moldavie indépendante et ceux qui veulent être rattachés à la Roumanie. Il y a les pro-russes parmi lesquels on retrouve les mêmes divisions. Il y a aussi ceux qui ne veulent ni des Russes ni de l’Europe… » A travers son art, il expose toutes les tensions du pays.

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Conquérir le monde

À mesure que la Russie se rapproche des frontières de la Moldavie, certains ont pris le chemin inverse. Ils envahissent la Russie au point d’arriver au pied du Kremlin : Zdob si Zdub. Le groupe s’est formé à la chute de l’URSS. « À ce moment-là, nous venions tout juste de quitter l’école. Les restrictions soviétiques ont été levées, y compris sur la musiquese souvient Roman Iagupov, le chanteur. Nous avions accès à la télévision par satellite avec laquelle nous avons découvert MTV et surtout les émissions du soir de MTV. (dédié aux musiques alternatives, âge d’or du Nirvana par exemple) ». Ils quittent leur village à 30 km de Chisinau pour se rendre dans la capitale où ils enregistrent une démo dans le sous-sol d’une école.

Démo qui arrivera à Moscou par un concours de circonstances et les propulsera sur la scène de Festival Apprendre à nager aux côtés de groupes légendaires comme Rage Against The Machine. Leur aventure de rockers commence : tournée, clubs de rock, bagarres avec des skinheads fascistes. “Aujourd’hui, la vie de rockeur est beaucoup plus calme.”

Même s’ils sont rapidement propulsés sur le devant de la scène, l’argent ne rentre pas forcément dans les poches du groupe et les concerts sont épuisants. De plus, les membres remarquent qu’ils copient le rock de l’époque, le grunge, le métal, le rap hardcore… au lieu de créer leur propre univers. Ils se tournent alors vers le rock ethnique. Les racines moldaves ressortent et ça fait plaisir. Au même moment, ouvre la chaîne roumaine Atomic Tv. C’est le moment où musique du monde se développe. Attirée par les sons du groupe moldave, elle sponsorise pour eux un clip à 5 000 $ qui leur ouvre les portes de MTV Russie. Vint ensuite la consécration avec le concert de 1999 pour l’anniversaire de MTV sur la Place Rouge, devant plusieurs centaines de milliers de spectateurs moscovites aux côtés des Red Hot Chili Peppers.

Depuis lors, Zdob si Zdub est devenu un véritable standard de la Moldavie tant dans le monde russophone qu’en Occident. La preuve en est sa sélection à l’Eurovision lors de la première participation de la Moldavie. Toujours à la recherche de l’équilibre parfois subtil entre ethno et rock – »c’est nous, notre touche, notre marque mais aussi d’où nous venons” – le groupe continue sa tournée. Visage bien connu des habitués de Balkan Trafic, ils promettent de revenir très prochainement à Bruxelles même si pour cette édition, les dates de tournée n’ont pas fonctionné. “Peut être l’année prochaine”, nous racontent les organisateurs qui, loin de se cantonner à la Moldavie, se sont donnés pour mission de diffuser toute cette diversité balkanique (et même plus large) aux oreilles et au cœur des Belges.

Rendez-vous les 25, 26 et 27 avril à Bruxelles pour plus d’histoire et de rencontres avec Manu Chao, responsable de la programmation.

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Des élections scrutées

Actuellement dirigée par un président et un parlement pro-européens, la Moldavie a beaucoup à jouer avec ses prochaines élections présidentielles en 2024 et législatives en 2025. Certains y voient l’occasion de confirmer la dynamique d’entrée dans l’UE. Union européenne. En particulier, la Moldavie a déjà réussi à échapper à sa dépendance totale vis-à-vis du gaz russe. Mais pour le street artiste Dima, pro-russe ou pro-européen ? “C’est la démocratie qui décidera, on ne peut pas aller contre la volonté du peuple. Et entre la Russie et l’ultracapitalisme… (il soupire) au final, nous sommes en quelque sorte proches de la Belgique. Deux langues, (russe et roumain) un pays créé sur la fracture entre voisins… Il y a des similitudes », rigole le jeune artiste avec son parfait accent américain, formation sur la chaîne MTV oblige.

Il n’en demeure pas moins que le pays se vide de sa jeunesse. Actuellement, plus de citoyens moldaves naissent à l’étranger que sur le territoire et plus de la moitié de la population âgée de 18 à 27 ans est partie. “Ils ne reviennent pas contrairement à ceux qui partent vers 40 ans pour trouver un emploi. Ces derniers cotisent 15 ou 20 ans dans un autre pays et reviennent avec une petite pension qui leur suffit pour vivre ici. Mais ceux qui partent jeunes fondent leur famille à l’étranger, une fois les enfants nés, ils ne vont pas les ramener ici après. C’est un grand défi pour la Moldavie. note Valeriu Pacha, coordinateur du groupe de réflexion Watch Dog qui surveille la politique moldave.

“Ici, ce qui nous manque, c’est un véritable leadership politique, et non un leadership romantique comme celui que nous avons aujourd’hui. reprend le militant anti-désinformation. Les élections seront décidées par des partis plus petits, capables de faire pencher la balance. La Russie, qui nous considère comme une partie de son territoire à récupérer mais pas comme une priorité, multiplie les tentatives de manipulation de l’information pour peser cette balance. Nous devons nous rappeler que nous n’avons pas d’armée capable de nous défendre et que nous ne faisons pas partie de l’OTAN. Nous commençons à réaliser que la Russie est une force qui arrive à nos portes. (avec la guerre en Ukraine) et pour la première fois depuis 1991, nos politiques parlent à nouveau de l’armée, de l’indépendance énergétique mais aussi de la lutte contre la corruption.»

 
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