Préserver les pipistrelles et les amphibiens, rassurer les habitants ou les deux à la fois ? Contre la pollution lumineuse, les concepteurs lumière tentent de trouver des solutions pour protéger la biodiversité sans pour autant empêcher l’activité humaine.
Dans ses bureaux parisiens, François Migeon, artiste lumière, travaille avec son équipe sur un projet d’écoquartier à Pantin, près de Paris. L’ensemble alternera nouveaux logements et espaces verts, mais il est également prévu d’aménager une grille noire, un chemin sombre pour permettre la migration des espèces entre les espaces naturels.
« On se rend compte qu’on n’a pas forcément la même faune et la même flore d’un espace à l’autre. Plus nous les connecterons, plus nous enrichirons la biodiversité. Et la nuit est un bon moment pour générer cette circulation », explique François Migeon.
La pollution lumineuse commence à être de mieux en mieux prise en compte, y compris dans les projets d’aménagement urbain. « On sait désormais que cette pollution a les mêmes effets que le béton, c’est-à-dire qu’elle va dégrader les habitats des espèces sensibles à la lumière nocturne et elle va aussi créer des barrières », explique Romain. Sordello, spécialiste du sujet à l’Office français de la biodiversité.
Mourir d’épuisement
L’expert décrit à l’AFP une série d’effets délétères : « Les animaux qui naviguent avec les étoiles auront tendance à se diriger vers les lumières artificielles. Ils seront attirés dans des pièges où ils mourront généralement d’épuisement, comme les insectes.
À l’autre extrémité du spectre, certains animaux – chauves-souris, amphibiens, etc. – sont repoussés par la lumière, ce qui les expose aux prédateurs. Pour les protéger, il faut donc des couloirs – ces fameux cadres noirs – où règne l’obscurité. Dans le cas de Pantin, François Migeon montre la carte : un cimetière d’un côté, un grand espace vert de l’autre, un peu plus loin sur le parc de la Villette. L’objectif est d’éclairer la ville tout en créant un chemin sombre entre ces lieux.
« Quand on réalise un projet, on essaie de comprendre comment fonctionne la ville. Où est la gare ? Où sont les pôles d’attraction ? Y a-t-il des gens qui vont sortir tard ? Cela composera une sorte de programme d’éclairage qui nous permettra de donner des réponses adaptées », explique le designer.
Lanternes portatives à louer
Plusieurs solutions peuvent être mises en œuvre, entre détection de présence et feux d’extinction. Les éclairagistes travaillent également sur des innovations, comme un téléphone portable qui éclairerait le lieu de passage ou des lanternes portatives en location, sur le modèle du Vélib. Une idée défendue par Roger Narboni, qui a développé le concept de cadre noir dans l’éclairage public. « Il faudrait changer de logiciel », plaide le concepteur lumière depuis son appartement parisien.
« Avons-nous encore systématiquement besoin d’éclairage public ? Ne peut-on pas donner plus d’autonomie aux gens ? On peut avoir des capteurs, des détecteurs de présence, on a même une commande vocale. Il existe aujourd’hui une capacité technologique phénoménale », dit-il. Encore faut-il que les pouvoirs publics emboîtent le pas. Fin 2018, la France a adopté un décret relatif à la prévention de la pollution lumineuse, qui fixe notamment l’extinction de l’éclairage à une heure du matin pour les parcs ou les vitrines des magasins. Mais les moyens de contrôle restent limités.
Les villes sont également confrontées au sentiment d’insécurité généré par la nuit, même si cela n’incite pas forcément aux attentats. « Il faut néanmoins tenir compte de ce ressenti avec des parcours différenciés, dans l’obscurité et dans la lumière », affirme Roger Narboni.
Si le chemin reste long, la prise de conscience grandit, estiment les acteurs interrogés par l’AFP. “Je n’imagine pas que l’on aille vers le noir total dans les dix prochaines années”, concède Roger Narboni, “mais je crois à une éducation à l’obscurité : il faut réenchanter la nuit.” Ne serait-ce que parce que cela permettra, dans tous les cas, d’économiser de l’énergie.
(afp/eu)