« On ne s’y attendait pas du tout, nous sommes victimes de notre succès », s’enthousiasme Jule Comar, co-fondateur de Ten Ten. La start-up parisienne est à l’origine de l’application qui hypnotise les jeunes du monde entier depuis son lancement le 4 avril. Transformant le smartphone de ses utilisateurs en talkie-walkie, elle permet à chacun d’envoyer un message vocal qui résonne avec son destinataire en étant diffusé sur le haut-parleur du téléphone, même lorsque celui-ci est en veille.
1. Quelle est cette application ?
Téléchargé pour la première fois sur l’App Store et le Play Store la semaine dernière, Ten Ten fonctionne comme un talkie-walkie où l’on appuie sur un bouton pour parler en direct et sans latence avec son interlocuteur. Problème : la communication s’établit sous la forme d’une notification vocale et la voix est entendue sur le haut-parleur du smartphone destinataire, même lorsque celui-ci est verrouillé. Une stratégie de différenciation et un choix technique assumé par ses designers mais qui apporte son lot de questions.
2. D’où vient Ten Ten ?
Fondée à Paris en novembre 2021, la start-up Ten Ten compte aujourd’hui une demi-douzaine de jeunes salariés. A sa tête, Jule Comar, 34 ans, a mené une carrière dans le marketing et la conception de produits numériques. L’équipe travaille à distance et est répartie entre Lyon, Bordeaux et Paris. Sans modèle économique établi, la jeune entreprise avait levé il y a quelque temps des fonds, un peu moins de 2 millions d’euros, auprès de business angels français mais aussi auprès d’un fonds d’investissement américain réputé.
Soutenue par les réseaux sociaux, notamment TikTok, l’application Ten Ten est davantage décrite comme « un outil de communication gratuit entre amis proches qu’un réseau social », et la jeune entreprise utilise les serveurs d’Amazon Web Services (AWS). pour exploiter son service.
3. Pourquoi cela fonctionne-t-il même lorsque l’écran est verrouillé ?
L’application se démarque des autres applications de messagerie qui utilisent les notes vocales par son côté instantané et surtout intrusif. Comme si vous laissiez un talkie-walkie en veille, la conversation démarre malgré la fermeture de l’application ou le verrouillage du téléphone.
VidéoQu’est-ce que Ten Ten, cette nouvelle application qui fait fureur chez les adolescents ?
« Ten Ten utilise des fonctionnalités et des autorisations qui ne sont habituellement pas demandées par les applications de messagerie, comme la possibilité d’utiliser le microphone et le haut-parleur même lorsque l’application est en arrière-plan », analyse Renaud Feil, expert en cybersécurité et co-fondateur de Synacktiv. “Mais il annonce ce qu’il fait aux utilisateurs, c’est leur choix d’être dérangés par le message sans même décrocher ou déverrouiller leur téléphone”, souligne-t-il.
Seul moyen d’y échapper pour le moment : passer en mode « silencieux », « concentration » ou « avion ». L’application demande également l’accès à cette fonctionnalité du smartphone et se charge de prévenir un contact insistant que ce mode est activé. Ses concepteurs travaillent sur une nouvelle version qui limiterait encore davantage les « pops », les éclats inattendus, de ces messages vocaux.
4. Qu’arrive-t-il aux données des utilisateurs et à leur vie privée ?
La politique de confidentialité et les conditions d’utilisation actuelles de l’application garantissent que nos données peuvent être utilisées par Ten Ten « lorsque cela est raisonnablement nécessaire pour atteindre nos intérêts commerciaux légitimes ». Termes assez vagues, et pour cause, ces conditions ont été générées via un site où il faut vérifier les options légales pour obtenir un texte type. “Nous travaillons toujours à clarifier les contours de l’usage des données, mais nous ne collectons pas de données comme la Chine parce que nous n’en voulons pas ou n’en avons pas besoin”, s’étrangle presque Jule Comar, échaudé par les premières critiques médiatiques.
Selon la version iOS ou Android, l’application collecte évidemment certaines données personnelles… comme les autres plateformes. Oui, l’application nécessite un accès à nos contacts et au micro, ce sont même des conditions sine qua non pour utiliser ce service gratuit. Mais dans les limites de la législation européenne. « Ils sont contraints par le RGPD (Règlement Européen sur la Protection des Données) et ils ne peuvent rien faire, mais nous ne connaissons pas leur modèle économique ni comment ils pourraient monétiser les informations de leurs utilisateurs», note Romain Digneaux, responsable des affaires publiques chez Proton, la start-up suisse spécialisée dans la protection de la vie privée. . « Nous sommes obligés de les croire sur parole pour cette collection limitée car ils ne donnent pas accès à leur code Source », note-t-il.
Ten Ten souhaite également déblayer le terrain sur les risques d’écoutes clandestines : « Nous ne stockons pas les conversations car nous n’avons pas besoin de les enregistrer, et il est techniquement impossible de les écouter de notre côté. »
5. Faut-il craindre les abus ?
Canular, appel de nuit, musique ou insultes diffusées en classe… La boîte de Pandore est ouverte avec un jeune public tenté par un détournement d’usage. Les premiers cas de cours interrompus ont été enregistrés à mesure que l’application gagne en popularité. La possibilité de partager son code PIN (son identifiant interne dans l’application) ou celui d’un autre, sur les réseaux sociaux ou dans des cercles d’amis, laisse également la porte ouverte au cyberharcèlement.
Interrogé sur ces dérives, Ten Ten envisage de « cloisonner les interactions entre vrais amis et outsiders ». Jule Comar s’engage également à améliorer l’outil en mettant en place des plages horaires – les heures de cours – où les notifications vocales seraient bloquées. L’application gratuite devrait évoluer dans les prochains jours tant par des améliorations techniques que par des modifications sous la pression des critiques.
