« Les footballeurs ressemblent de plus en plus aux « n’importe où » décrits par Christopher Lasch »

« Les footballeurs ressemblent de plus en plus aux « n’importe où » décrits par Christopher Lasch »
« Les footballeurs ressemblent de plus en plus aux « n’importe où » décrits par Christopher Lasch »

ENTRETIEN – Pour Thibaud Leplat, rédacteur en chef du magazine After, les footballeurs ne sont pas obligés de se comporter comme des éditorialistes politiques. D’autant que, souvent expatriés et enfermés dans la bulle du football professionnel, ils vivent une réalité bien différente de celle du public qui les admire.

Thibaud Leplat est professeur de philosophie et rédacteur en chef du magazine After. Il a notamment publié : La magie du foot (éd. Marabout, 2016).


LE FIGARO. – Plusieurs footballeurs et anciens footballeurs, comme Marcus Thuram, Kylian Mbappé et Thierry Henry, ont pris position sur la situation politique française. Les athlètes sortent-ils de leur rôle ?

Thibaud LEPLAT. – Le rôle des athlètes a évolué sous l’effet de différents facteurs : une surexposition aux événements sportifs, un niveau d’éducation supérieur à celui des générations précédentes, la pression des réseaux sociaux et la fascination pour les athlètes américains, comme le basketteur LeBron James (mannequin). par Kylian Mbappé). Qu’on le célèbre ou qu’on le regrette, les footballeurs sont donc devenus des références symboliques pour une partie importante de la population. La question que doit désormais se poser un sportif avant de prendre position sur un sujet sortant de sa sphère naturelle de compétence est la suivante : « Ma position clarifie-t-elle le débat ou plutôt y ajoute-t-elle de la confusion ?. Aujourd’hui, dans un paysage politique extrêmement polarisé, les footballeurs pèchent par excès de naïveté en s’imaginant détenir des positions consensuelles ou unanimes. Rappelons que l’équipe de France est une émanation de la Fédération française de football (FFF), elle-même déléguée du service public. C’est l’équipe de tous les Français, y compris des 45 % qui ont voté pour des propositions radicales.

Ces positions démontrent-elles la perméabilité entre les sphères politique et sportive ?

Il faut être honnête en disant que ces propos ont été tenus sur l’insistance des journalistes et qu’il n’est pas facile pour un jeune de 25 ans de résister à une telle pression. Ceci étant dit, ils démontrent une curieuse attente envers nos athlètes les plus célèbres. Ce qui frappe ici, ce sont les préjugés qui alimentent cette attention. Premièrement, nous supposons que “engagement” des footballeurs ne pouvaient être que favorables à une seule option, sous-entendue : la gauche. Que dirait-on d’un footballeur appelant à voter pour le Rassemblement national ? Son “courage” serait-il accueilli avec le même enthousiasme ? Ensuite, selon moi, ce préjugé repose sur une vision très réductrice du footballeur : compte tenu des supposées origines sociales et ethniques, il ne pourrait donc pas soutenir le RN. Au-delà des préjugés largement discutables sur lesquels reposent ces considérations, si l’on s’en tient aux sondages, les classes populaires votent majoritairement pour ce parti. Il devrait donc en être de même auprès du public et de l’équipe de France elle-même.

Souvent expatriés, enfermés dans la bulle du football professionnel, dans leurs hôtels de concentration, les joueurs vivent dans une réalité bien différente de celle du public qui les admire.

Thibaud Leplat

Ces déclarations ont été largement critiquées, certains y voyant une forme de déconnexion due au mode de vie confortable des footballeurs. Mais exiger la neutralité des footballeurs, n’est-ce pas une forme de suffrage censitaire à l’envers ?

On ne peut pas, d’une part, se précipiter dans les tribunes officielles d’un quelconque événement sportif, chanter la Marseillaise, hisser le drapeau, et d’autre part s’étonner que les athlètes eux-mêmes ne profitent pas de ces tribunes pour prendre position. C’est monnaie courante au cinéma. Les athlètes américains ont pris position massivement contre les violences policières au moment de l’assassinat de George Floyd. Chacun est libre d’exprimer son avis et la fiche de paie ne doit pas être l’arbitre de l’élégance en la matière. Ce qui me semble plus inquiétant en revanche, c’est que l’obligation de confidentialité qui s’applique à tous les agents publics en exercice n’est jamais vraiment défendue, ni même ridiculisée. Pourtant, c’est une garantie fondamentale contre les abus et l’exploitation. Que dirions-nous d’un policier en uniforme ou d’un magistrat en exercice qui donnerait des instructions de vote ? Dans une période de telle confusion, se concentrer sur l’essentiel, sans contribuer à pourrir le débat, me semble une position plus courageuse que des déclarations radicales. Si les acteurs entendent défendre des opinions politiques, ils doivent le faire dans un cadre plus approprié que celui de la FFF et sur une base strictement individuelle.

Kylian Mbappé et Thierry Henry appelés «barrage aux extrêmes» , appelant implicitement à voter pour la majorité présidentielle. Y a-t-il un écart entre l’idéologie macroniste et le football moderne ?

Ces positions illustrent bien la difficulté pour eux de s’exprimer sur un débat aussi brûlant. Un footballeur a le droit d’avoir ses opinions comme n’importe quel autre citoyen, mais il ne peut pas se comporter comme un chroniqueur politique. Il n’en a ni la légitimité ni la compétence. Quant à la prétendue proximité avec le macronisme, ils partagent la même illusion : l’unanimité. Souvent expatriés, enfermés dans la bulle du football professionnel, dans leurs hôtels de concentration, les joueurs vivent dans une réalité bien différente de celle du public qui les admire. Ils ressemblent de plus en plus “n’importe où” décrite par le sociologue américain Christopher Lasch.

Lire aussi« Kylian Mbappé est à peu près aussi déconnecté qu’Emmanuel Macron »

Le macronisme place l’individu au-dessus de tout. L’individu semble l’emporter sur le collectif. N’est-ce pas contradictoire avec l’essence même du jeu ?

Nous vivons à une époque où un seul individu vaut plus que toute une foule. Les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène. Les packs ont remplacé les groupes. Le football ne fait pas exception. Aujourd’hui, tout joueur est aussi un leader d’opinion : le tweet de Kylian Mbappé condamnant les violences policières contre le petit Nahel a été vu plus de 30 millions de fois en 2023. Malheureusement, au-delà de quelques propos consensuels, les footballeurs ne sont pas suffisamment préparés à réfléchir aux divisions et contradictions du monde contemporain. C’est pourquoi nous souhaitons qu’ils consacrent leur énergie à s’impliquer dans leur propre secteur d’activité et à le transformer – comme l’a fait Raphaël Varane sur la santé des footballeurs. Les sujets ne manquent pas et ils sont tous de premier ordre : la place des femmes, l’homophobie, la violence dans le football amateur, les ingérences étrangères, les vitesses infernales, la santé, le dopage ou encore la pression des sponsors. Leurs voix seraient alors d’autant plus écoutées qu’ils seraient parfaitement légitimes à s’exprimer.

 
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