Occasionnellement, Dialogue offre un espace à une personnalité pour lui permettre de partager sa façon de voir le monde. A quelques jours de Noël, Safia Nolin nous parle de ses souvenirs d’enfance, de ses inquiétudes… et des petits gestes qui nous sauvent.
Safia Nolin
Auteur-compositeur-interprète, collaboration spéciale
Cette année, je trouve que Noël a un goût étrange. Je ne parle pas du chocolat à la menthe, que je trouve franchement dégoûtant, mais d’une amertume troublante. Celui qui fait se demander s’il faut appeler le centre antipoison.
J’ai toujours été un « ultrafan » des célébrations entourant la naissance du Christ. Je pense que cela vient d’un endroit où j’ai toujours voulu la normalité et la stabilité. Même si le monde tournait trop vite à cause du manque d’argent et du déménagement, mes parents ont réussi à nous faire sentir comme les autres. Mon père est musulman, donc il n’y avait peut-être pas d’enfant Jésus dans notre crèche (littéralement), mais il a monté tout un spectacle avec des bottes pleines de neige et des biscuits pour nous faire croire que le vieux Père Noël arrivait aussi. voir.
Au fil du - et dans différentes villes, Noël est devenu l’occasion de réunir la famille que j’ai choisie. J’ai choisi ma sœur, bien sûr, et son petit ami. Je choisis mes amis les plus proches. Des moins proches aussi. Je choisis aussi des gens qui n’ont pas faire la fête Noël prévu. Au fil des années, j’ai rassemblé une collection de réveillons merveilleux et atypiques. Parfois à la maison, parfois au barbecue coréen, le 24 décembre est rarement ennuyeux et je finis toujours par me dire que bon, c’est pas comme dans les films, mais que finalement, c’est sans doute mieux.
Ces jours-ci, j’ai du mal à voir Noël de cette façon. J’ai atteint ce que je pense être le fond de mes espoirs naïfs. Je conduis un char « E » depuis longtemps maintenant. J’ai l’impression que la corde de chacun est de plus en plus tendue et de moins en moins fournie en petits fils.
Avant, j’avais l’impression que c’était dans les moments les plus sombres qu’on trouvait la lumière (une citation qu’on peut attribuer à Dumbledore ou Leonard Cohen, au choix), mais il semble que depuis début novembre, quand la magie des fêtes a habituellement dresse sa vilaine tête, j’ai l’impression qu’il pleut de la suie sur nous.
Un matin, sur TikTok, j’ai vu un montage de photos nostalgiques de ce qu’était Noël dans les années 1990, quand j’étais petite. Te dire que je n’ai pas versé une larme serait mentir. Il n’y avait rien de fondamentalement différent, à part les dégoûtants glaçons argentés que nous accrochions à nos arbres (et que nos chats essayaient de manger), mais cela semblait être un autre monde, une autre vie.
En 1998, Noël était déjà une fête de surconsommation. En 1998, il y avait des conflits dans le monde. En 1998, il y avait des injustices et des systèmes d’oppression. La grande différence était ma vision de l’enfance.
Je ne savais pas que c’était le monde dans lequel nous vivions. Je le sais maintenant, et définitivement, je ne peux plus faire comme si de rien n’était.
La fausse magie de Noël
Avant-hier, j’étais au parc à chiens, et j’ai eu un véritable vertige en me disant que si on arrêtait de produire des jouets maintenant, on les aurait sûrement pendant 200 ans. J’ai pensé à l’océan rempli de plastique, aux enfants morts à Gaza, au fait que bientôt nous devrons nous préparer à perdre nos droits, notamment ceux que nous pensions avoir acquis.
Cela a commencé à fileur dans ma tête, et ça ne s’arrête jamais, et il semble que la fausse magie de Noël le rende encore plus vertigineux. C’est pareil boucle. Les choses doivent changer. Je vais changer les choses. Je fais des choses pour changer ça. Je vois que mes efforts ne changeront pas le monde. Je veux abandonner.
L’année dernière, pour Noël, Valérie, la blonde du père-copain de ma soeur (elle ressemble à une blaguemais ce n’en est pas un) m’a proposé Engagements ordinaires de Mélikah Abdelmoumen. Ce livre m’a guéri d’une forme de cynisme face à nos petits gestes militants quotidiens, qui peuvent paraître futiles, voire inutiles, mais qui sont ô combien importants, car sinon, il n’y a rien.
C’est là que réside le véritable espoir. C’est aussi là que réside la vraie beauté des humains, ceux que je trouve souvent vraiment laids. Nous pouvons décider de changer les choses, seuls ou ensemble.
Mon amie Melyssa a changé le monde. Un soir, il y a quinze jours, il faisait -10, nous traversions Masson et, à la vitrine d’une boulangerie, il y avait Denis en train de boire du chocolat chaud.
Denis est mon voisin. Il n’a pas de maison, il dort dehors, mais c’est mon voisin. Je l’ai vu plusieurs fois maintenant et j’ai essayé de faire sa connaissance. Il est timide, il parle peu, mais il a un cœur immense. Un jour, il m’a dit qu’il ne lui manquait que l’essentiel.
Ce soir-là, sur Masson, Mel et moi, nous sommes allés à la boulangerie pour lui parler un peu. Il avait l’air bien, mais surtout, il s’est empressé de nous raconter que ce matin-là, une dame lui avait écrit une petite carte de Noël dans laquelle elle avait glissé de l’argent. En nous racontant l’histoire, il s’est mis à pleurer. Mon cœur a explosé, le - s’est arrêté et je ne pouvais rien faire d’autre que d’avoir l’eau dans les yeux.
Denis nous a raconté que cela faisait cinq ans qu’il n’avait pas reçu de carte de Noël. Et puis, il y a eu un autre monsieur qui lui a donné 50 $ en lui disant qu’il faisait ça une fois par année et que c’était lui qui recevrait cette somme cette année. Denis a encore pleuré.
Je ne sais pas si les gens réalisent l’impact de chaque action. Le monde dans lequel nous vivons est compliqué, difficile et carrément terrifiant. Nous ne pouvons pas accepter que les gens vivent dehors, nous ne pouvons pas accepter ce rythme de consommation, nous ne pouvons pas accepter les génocides. Chaque geste compte, même le plus petit.
Je nous en souhaite davantage pour nos Noëls.
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