Jusqu’ici tout allait bien chez MBDA… Les contrats de ventes de missiles s’accumulent les uns après les autres depuis la guerre en Ukraine et gonflent un carnet de commandes propulsé notamment par une méga-commande de six milliards d’euros signée en 2024 par MBDA en Pologne . De ce fait, le missile dispose d’un portefeuille qui atteindra des altitudes stratosphériques d’ici fin 2024, soit environ 35 milliards d’euros, selon nos informations. Mais depuis neuf mois, la situation interne s’est progressivement et très clairement tendue avec un profond projet de réorganisation (dont La Tribune a obtenu copie) voulu par le PDG de MBDA, Eric Béranger avec le feu vert de son conseil d’administration. . Interrogé par La Tribune, le lanceur de missiles n’a pas souhaité faire de commentaires.
Un dossier très irritant pour Paris et Londres
Si l’objectif de rendre le groupe plus efficace pour écouler son colossal carnet de commandes paraît légitime, cette réorganisation affecte également la gouvernance du missile et impacte l’influence des pays fondateurs de MBDA (France, Grande-Bretagne et Italie). ). Et c’est là que réside le drame. Car ce sujet suscite la colère aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du groupe, en France et en Grande-Bretagne. Cette entreprise européenne (détenue à 37,5% par Airbus, 37,5% BAE Systems et 25% Leonardo) doit effectivement composer dans sa gestion industrielle et managériale avec les intérêts souverains des trois nations qui ont créé cette entreprise en 2001 et pour lesquelles le secteur des missiles est extrêmement sensible. et souverain.
Car cette industrie est souvent très déterminante pour l’obtention de contrats à l’exportation de plates-formes militaires (avions, navires et véhicules blindés) développées localement. Et pour la France, MBDA va bien au-delà de ces considérations commerciales. L’entreprise représente un enjeu existentiel pour la défense française, le constructeur de missiles s’inscrivant dans l’écosystème de la dissuasion avec la production de missiles nucléaires. ASMP-A aéroporté, puis plus tard, ASN4G. La réorganisation de MBDA mobilise beaucoup le ministère des Armées, très vigilant sur ce dossier. Interrogé par la Tribune, le ministère n’a pas souhaité faire de commentaire.
Récemment, les relations entre Eric Béranger et les deux Etats fondateurs de MBDA (la France et la Grande-Bretagne) ont été vives, voire très vives. Le ministère, via la DGA (Direction générale de l’armement), a délivré « un avis défavorable » à ce projet, selon un courrier du délégué général à l’armement (DGA) adressé le 22 novembre à Eric Béranger et dont s’est procuré La Tribune. Pour la DGA, la réorganisation n’est ni au bon moment ni au bon rythme étant donné le défi de MBDA de livrer à - les missiles achetés par les pays pour reconstituer leurs stocks de sécurité.
« Lancer aujourd’hui une grande réorganisation conduirait, à mon sens, à une période d’instabilité inverse » avec pour objectif d’accélérer les livraisons, explique Emmanuel Chiva à Eric Béranger dans sa lettre. Interrogée par La Tribune, la DGA n’a également souhaité faire aucun commentaire. Par ailleurs, le ministère ne parvient pas à apprécier aujourd’hui en quoi la réorganisation présentée par Eric Béranger permettra de rendre la production plus efficace pour permettre une augmentation des capacités de production.
Influence française réduite
« Par ailleurs, la réorganisation proposée me semble affaiblir la présence de la France au sein du conseil d’administration de MBDA, l’équilibre actuel étant justifié d’une part par les investissements réalisés par la France depuis la création de MBDA et d’autre part par la poids que représente l’entité française dans le chiffre d’affaires de MBDA et dans ses effectifs »écrit également le délégué général à l’armement. Et c’est là le cœur du mécontentement de la France mais aussi de la Grande-Bretagne. Dans le projet de réorganisation présenté au ministère des Armées, l’influence de la France est affaiblie par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui tandis que celle de l’Italie monte en puissance.
Si la réorganisation était mise en œuvre telle qu’elle a été présentée aux trois pays, Leonardo placerait deux Italiens à des postes clés, susceptibles de guider la stratégie et les investissements présents et futurs de MBDA : le département des opérations et celui de la stratégie et de la croissance. Inacceptable pour Paris et Londres. La France serait ainsi marginalisée avec un seul département, celui des programmes (au lieu de deux actuellement : opérations et programmes). Cette réorganisation réduirait également le rôle de Stéphane Reb, l’un des hommes forts de MBDA et que la France tient particulièrement à gérer les programmes de dissuasion aéroportée, selon nos informations. Par ailleurs, les relations déjà cool entre Eric Béranger et l’actuel directeur des programmes MBDA et directeur général MBDA France, se sont très nettement refroidies ces derniers mois. La Grande-Bretagne aurait trois départements (finances, ventes et ressources humaines).
Un calendrier suspendu
Pour toutes ces raisons, Emmanuel Chiva a demandé à Eric Béranger de “suspendre” cette réorganisation et « de concentrer ses efforts sur la pleine réalisation des objectifs industriels qui vous sont assignés, notamment dans notre contexte d’économie de guerre ». Poussé par Airbus et Leonardo, notamment, le patron de MBDA semblait vouloir aller très vite malgré des messages très négatifs de Paris et de Londres, déjà très irrité d’avoir été prévenu au dernier moment par MBDA et qu’une fois le feu vert du conseil d’administration acquis. Pour la France, il y a donc à la fois un problème de forme (- et calendrier) et de fond (mise en cause de l’équilibre entre les nations et perte de souveraineté).
Aujourd’hui, il semble, selon des sources concordantes, que pour Eric Béranger, il est urgent d’attendre et de lancer une concertation avec la France et la Grande-Bretagne notamment, pour que MBDA prenne en compte leur avis et leurs exigences. Par ailleurs, les groupes de travail au sein de l’entreprise, qui avait déjà des frais sur ce dossier, ont été arrêtés, selon nos informations. Et le projet de réorganisation est aujourd’hui présenté comme un document de discussion et non plus comme un projet en passe d’être lancé. Selon nos informations, MBDA envisage au mieux de lancer cette réorganisation au plus tard à la fin du premier semestre, si elle est effectivement lancée.
Ce qui est sûr, c’est que MBDA a besoin de se réformer pour être plus efficace dans la production industrielle, changer de dimension et donc accompagner ce nouveau monde apparu depuis la guerre en Ukraine. A Eric Béranger de trouver un équilibre entre la volonté de ses actionnaires et les exigences de ses clients nationaux, qui devront continuer à acheter des missiles et lancer des programmes pour influencer le groupe. est une ligne de crête par nature instable pour Eric Béranger.