Alors qu’une vague de panique se propage dans certaines communautés aux États-Unis, les experts estiment qu’il faut se préparer dès maintenant à des vagues d’immigration à la frontière canadienne, à l’image de la classe politique québécoise. La ruée pourrait être rapide et plus « désordonnée » que celle de Roxham Road, disent-ils, et les passages à niveau plus « périlleux », puisque les itinéraires normaux sont presque entièrement bloqués.
Pendant la campagne électorale, Donald Trump a promis de lancer le plus grand programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire dès le premier jour de sa présidence en utilisant l’Alien Enemies Act, une loi écrite pour les temps de guerre. Plus de 11 millions de personnes vivent sans statut aux États-Unis, et des centaines de milliers d’autres bénéficient d’un statut temporaire qui expire dans les mois à venir.
« Le gouvernement doit se préparer à faire face à une potentielle crise humanitaire. » Cette exhortation brutale vient de Fen Hampson, président du Conseil mondial sur les réfugiés et les migrations.
Si ces personnes ne remplissent pas les conditions requises pour demander l’asile à un poste frontalier, sauf rares exceptions, c’est « à travers les bois » et possiblement durant l’hiver qu’elles tenteront leur passage au Canada, prévoit Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation. des organismes au service des réfugiés et des immigrants. Les passages à niveau sont déjà « plus périlleux » depuis la « fermeture » de Roxham Road, et le risque « va s’intensifier », prévient cet observateur de longue date.
À la frontière, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) est déjà active en prévision d’une augmentation des passages en provenance de nos voisins du Sud. Dans un échange avec DevoirLe sergent Charles Poirier a confirmé que l’élection de M. Trump était susceptible d’avoir « un impact important sur le nombre d’entrées irrégulières au Canada ». Un « plan d’urgence » qui détermine les ressources supplémentaires à déployer à la frontière a été élaboré.
Craignant des « turbulences » migratoires un an et demi après la fermeture du chemin Roxham, le premier ministre du Québec, François Legault, a néanmoins affirmé mercredi vouloir s’assurer « que le gouvernement fédéral protège [les] frontières » avec les États-Unis.
En point de presse un peu plus tard, son ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a précisé qu’il ne s’agissait pas d’assigner la Sûreté du Québec à la surveillance des immigrants irréguliers. « Nous répondrons si nécessaire, mais au-delà de tout cela, cela reste un [responsabilité] de la GRC. Pour l’instant, je suis rassuré”, a-t-il déclaré à la presse parlementaire.
« Risque de panique »
Même s’il n’a « pas de boule de cristal », le professeur de droit international public à l’Université McGill François Crépeau estime que « ça va être compliqué et sale » si Trump met tous ses plans à exécution. Ceux qui « n’ont plus de place aux États-Unis » seront incités à partir, que ce soit pour retourner dans leur pays d’origine ou à la frontière canadienne.
«Je crois qu’en fait, il y a un risque d’effet de panique», soutient également Adèle Garnier, professeure de géographie à l’Université Laval et spécialiste des migrations forcées. Le contexte a considérablement changé depuis 2017, où beaucoup accusaient un tweet de Justin Trudeau d’avoir encouragé la migration vers le Canada. « Cela me surprendrait cette fois si nous disons que nous allons protéger les gens au Canada. Nous ne sommes plus du tout dans le même état d’esprit et le discours a beaucoup changé. »
Mercredi à Ottawa, plusieurs ministres du gouvernement Trudeau ont voulu minimiser le retour au pouvoir de M. Trump. La vice-première ministre Chrystia Freeland a souligné qu’il était « normal de s’inquiéter », tout en assurant que « tout ira bien » pour le Canada. Également accosté, son collègue ministre de l’Immigration, Marc Miller, a brièvement fait allusion à l’importance d’une immigration réglementée. Mardi, il avait déjà révélé l’existence d’un plan visant à préparer le Canada à une éventuelle arrivée massive d’immigrants sans papiers.
À l’Assemblée nationale, tant François Legault que le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, ont dit mercredi craindre un afflux massif de migrants, dans le contexte où près de 600 000 résidents non permanents peuplent actuellement le Québec.
«Déjà, notre capacité d’accueil, notre capacité d’intégration, est dépassée», a souligné le premier ministre caquiste en annonçant la création d’un groupe de travail ministériel dédié à préparer la transition des pouvoirs au pays de l’oncle Sat.
Plus compliqué
«Je pense que c’est là qu’on va voir l’absurdité d’avoir fermé le chemin Roxham», souligne François Crépeau. Le risque est une « perte de contrôle » : « Avec Roxham, nous avions un système où nous enregistrions toutes les personnes qui revenaient. Et ils ne couraient pas de grand danger, car il leur suffisait de prendre un taxi. Ils entraient dans un processus organisé. »
Une réaction « très dure » du Canada ne pourrait qu’ajouter au « chaos », craint cet expert.
Des passeurs et des groupes criminels se sont emparés du entreprise de migration irrégulière, se souvient-il, tout comme M. Reichhold la décrit : « Je suis convaincu que les passeurs sont déjà organisés pour ce qui est à venir. »
Dans le cadre de l’Accord sur les tiers pays sûrs et de son élargissement en 2023, il n’existe aucune « obligation légale » d’accepter des migrants en provenance des États-Unis, sauf sous cinq exceptions, rappelle Fen Hampson. Le Canada pourrait décider de les renvoyer une fois qu’ils auront traversé la frontière et seront restés moins de 14 jours sur le territoire – « mais il y a aussi une obligation humanitaire qu’ils soient pris en charge, et c’est ce qui pourrait être un défi ».
Alors que la GRC a démoli son dernier bâtiment sur Roxham Road il y a un an, pourrait-on voir l’armée canadienne installer des tentes à la frontière comme à l’été 2017 ? « Oui », dit-il sans détour, puisque l’armée canadienne est la mieux équipée d’un point de vue logistique, du moins « à court terme ». «Je ne dis pas que cela va arriver, mais nous devrions certainement nous en inquiéter», a déclaré ce professeur d’affaires internationales à l’Université Carleton.
En 2017, plusieurs promesses de la campagne trumpiste ont été rapidement mises en œuvre. Plus de 60 000 personnes ont demandé l’asile à la frontière terrestre avec le Canada au cours du premier mandat du populiste. Beaucoup avaient fait un long voyage à travers les Amériques, mais d’autres venaient directement des États-Unis, de peur que leur « statut de protection temporaire » n’expire. Ce statut consiste en l’autorisation de rester sur le territoire américain lorsqu’il est trop dangereux de retourner dans son pays d’origine.
Il y a aujourd’hui près de 10 fois plus de personnes détenant ce statut qu’en 2017, avec des estimations à plus de 850 000 personnes. Ces statuts temporaires durent de 6 à 18 mois : Trump pourrait tout simplement choisir de ne pas les renouveler.
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Une version précédente de ce texte a été modifiée pour ajouter des éclaircissements.