« Je ne peux que raconter l’histoire » (The Knife)

27 secondes et 15 coups de couteau, le 12 août 2022, ont changé la vie d’un homme et d’un auteur. Comme l’ont déclaré les écrivains mobilisés du club PEN, ils ont aussi bouleversé le monde. Salman Rushdie, visé par une fatwa depuis 1989, a été agressé par A., ​​à Chautauqua (État de New York). “Alors c’est toi.” Voilà », écrit Salman Rushdie, miraculeux (terme qu’il rejette et commente), dans Le couteau qui vient de paraître chez Gallimard.

Le livre était sous embargo jusqu’à sa sortie mondiale, orchestrée comme un événement… Le meilleur moyen d’assurer une médiatisation maximale, évidemment aussi un peu ennuyeuse, quand la même photographie de l’écrivain, visage sérieux, un œil (perdu dans l’attentat) masqué par verre opaque, apparaît sur toutes les Unes des journaux et hebdomadaires. Cependant, la surexposition médiatique ne doit pas masquer le livre, suite Joseph Antoine (2012) que Rushdie et ses lecteurs auraient préféré ne jamais voir écrit.

J.Joseph Anton raconté la liberté malgré la menace, la liberté de penser comme celle de bouger, l’humour comme moyen de survivre puis de vivre pleinement, comme l’élégance du courage. C’était aussi une histoire de détachement – ​​abandonner le pseudonyme sous lequel il avait vécu caché pendant des décennies en le rendant public et en récupérant sa vie. Le couteau raconte l’événement évité pendant plus de trente ans – même si la fatwa a causé d’autres morts, rappelle l’écrivain. “(…) durant ces années, je l’avoue, j’imaginais parfois mon assassin se levant d’une assemblée publique ou autre et se précipitant vers moi exactement de cette manière.” Le couteau raconte l’impensable qui s’est produit soudainement.

27 secondes et un corps « comme une piñata » criblé de coups de couteau qui ne se relèvera pas à l’identique. Comme Lançon dans Le LambeauRushdie ne recule pas devant le récit de l’horreur, de ce qui est arrivé à sa mâchoire, sa langue, son œil, son cou, son foie… il parle de la douleur insupportable pendant le traitement, du corps recousu, du cerveau (intact) qui doit non seulement intégrer l’incroyable violence de l’attaque mais quelle est sa nouvelle enveloppe corporelle après cette attaque.

Son obsession : vivre. Mais aussi redevenir écrivain, se réapproprier l’histoire de sa vie. Rushdie, dans les interviews qui ont accompagné la sortie de Couteau, exprime la frustration d’être devenu célèbre parce qu’il a été menacé, un écrivain dont on connaissait le nom mais pas les livres ou que l’on lisait mal et pour de mauvaises raisons. Comme Joseph Antoine, Le couteau est-ce une façon de redevenir ce qu’il est : un auteur, un homme qui réfléchit sur sa vie, sur la littérature, sur les livres (les siens et beaucoup de ceux des autres), sur les écrivains (ses aînés, ses amis), sur la part de l’imagination ou miracle dans ses livres et s’ils portent sur le réalisme magique, les liens entre réalité et fiction, la question de la liberté. L’écriture est au centre, bien plus que l’agression elle-même qui, aussi scandaleuse et ignoble soit-elle, est réduite au statut de prétexte, littéralement ici qui rend le livre nécessaire.

© Diacritique

Une fois le corps plus ou moins réparé et l’autonomie retrouvée, Salman Rushdie abandonne l’idée de rencontrer son agresseur et décide d’écrire. Avec sa femme, l’auteur et artiste Eliza Griffiths, ils ont documenté les jours qui ont suivi, tenu une sorte de journal filmé d’un retour à la vie et à l’amour, Réflexions suite à une tentative d’assassinat (sous-titre du livre) qui ont en fait pour sujet le bonheur, le bonheur retrouvé d’être lui-même, le bonheur d’être avec ses proches (ses enfants, sa sœur, la femme qu’il aime). Mais c’est aussi une réflexion sur la censure qui s’accroît, la liberté qui devient un slogan, le pire au nom du Premier Amendement. Une réflexion sur l’amour et la présence à côté de la femme aimée, malgré l’horreur, malgré les conséquences immédiates de l’attentat sur leur vie et leur relation. A la scène de l’attentat, Rushdie oppose celle de sa rencontre avec Eliza, l’une est dramatique, l’autre comique. C’est aussi avec Eliza qu’il reviendra à Chautauqua, sur les lieux de l’horreur, une manière de clore le livre et de faire de l’attentat un simple épisode de son existence. L’amour, celui qui l’entoure (sa femme, ses enfants, sa sœur, ses proches, les témoignages qui affluent après l’attentat), est la seule réponse, avec la littérature. L’écrivain évoque Beckett, Naguib Mahfouz, les attaques de Charlie Hebdoetc., il sait qu’il s’inscrit dans une histoire littéraire marquée par la violence et l’agression mais il aimerait aborder cette histoire autrement.

Je n’aime pas l’idée que l’écriture soit une thérapie, l’écriture c’est l’écriture, la thérapie est une thérapie, mais il y avait de fortes chances qu’écrire cette histoire de mon point de vue m’aide à me sentir mieux.

Rushdie sait que ce livre ne réparera rien, ni son corps (les descriptions de ses blessures sont à la limite du supportable et elles ne pourraient l’être) ni son esprit (il raconte des cauchemars et des chocs post-traumatiques) mais il est écrivain. c’est sa seule arme, et il peut se réapproprier sa propre histoire. Il l’avait fait de main de maître avec Joseph Antoine, racontant ce que signifie être privé d’une vie quotidienne « normale », de liberté de mouvement, et comment il a pu, petit à petit, se réapproprier son identité et sa vie. L’attentat du 12 août 2022 l’a ramené, au danger, à la fatwa, puis, après avoir miraculeusement survécu, à la vie sous protection. Il le regrette.

Il se sait pris dans un espace impossible : son agent, Andrew Wylie, l’avait prédit, il ne pourra pas ne pas écrire sur cet attentat contre sa vie. Il est donc obligé d’écrire. Quant au lecteur, il ne peut pas vraiment critiquer ce livre : oui, les passages (notamment les dialogues, imaginaires ou non) sont d’une grandiloquence et d’une bêtise angoissantes. Mais qui sommes-nous pour juger de la qualité littéraire d’un texte que Rushdie aurait évidemment préféré ne pas avoir à écrire et que nous lisions ? Telle est la littérature, indispensable, et pourtant parfois en deçà de ce qu’elle visait.

Salman Rushdie, Le couteau. Réflexions suite à une tentative d’assassinat (Couteau), trad. de l’anglais de Gérard Meudal, avril 2024, Gallimard, « Du monde entier », 272 p., 23 € — Lire un extrait

 
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