Au cours des trente dernières années, Limoilou a vu naître un nombre impressionnant de rappeurs qui clament haut et fort leur appartenance au quartier. Sans prétendre être un expert en la matière, j’ai souhaité prendre le pouls de la scène rap du quartier aujourd’hui. En discutant avec des rappeurs et différents acteurs du monde hip-hop, je me suis intéressé à l’évolution de la scène rap depuis les années 90, aux problématiques qui préoccupent les artistes, à ce qui les motive à écrire et à ce qui les relie au quartier. Je propose donc, dans cette série de trois articles, un portrait qui, loin d’être exhaustif, permettra, je l’espère, de mettre en lumière une culture au cœur de l’identité et du développement du quartier Limoilou.
Un peu de généalogie
Aly Ndiaye, alias Webster, est sans conteste l’un des piliers du rap limoilou. Il évolue dans le hip-hop[1] depuis le début des années 1990. Membre et cofondateur du groupe Limoilou Starz, il compte également cinq albums solo à son actif.
Quand on parle de rap dans le quartier Limoilou, son nom est sur toutes les lèvres.
Historien de formation, Webster s’intéresse à la présence afro-descendante au Québec. Au fil du temps, il a organisé plusieurs conférences et événements pour mettre en valeur ce pan méconnu de l’histoire du Québec. Il collabore au développement de l’exposition Sur les paroles : le son du rap quebprésenté au Musée de la civilisation en 2023.
Même s’il a laissé une marque indélébile dans le paysage hip-hop québécois, notamment à Limoilou, Webster insiste sur le fait qu’il n’a pas été le premier à rapper dans le quartier.
Les trois premiers rappeurs de Limoilou étaient Goo/Gu, Rugi et Rich.
« Goo/Gu, Rugi et Rich, ce sont des gens qui n’ont pas sorti d’album, mais qui ont donné naissance à cette culture dans le quartier », explique-t-il. Quand on parle de Québec, on parle du Presha Pack, mais en parallèle du Presha Pack, il y avait ces trois gars qui habitaient sur Marie-Clarisse. »
C’étaient les voisins de Shoddy. Ce sont eux qui l’ont inspiré à commencer à rapper avec Mastakay. Le duo inspirera à son tour Webster, qui fondera un peu plus tard le collectif Limoilou Starz avec Shoddy. Le groupe Presha Pack fait également partie des pionniers du rap à Québec.
Mettre des mots sur votre réalité
L’arrivée de la culture hip-hop et rap à Limoilou au début des années 1990 a donné aux jeunes le sentiment d’être représentés. Le rap s’inscrit alors comme un contenu culturel créé par les marges et destiné aux marges.
«C’est une analyse qui est venue un peu plus tard, mais ce que j’ai réalisé, c’est que c’était la première fois que je me voyais représenté dans un média culturel», note Webster. Je n’ai pas vu mon expérience se traduire dans l’espace public, en tant que jeune métisse de Limoilou. Soudain, nous nous sommes sentis représentés.
Né dans les ghettos noirs américains, le rap trouve un écho dans le quartier Limoilou, reconnu à cette époque comme un endroit dangereux. « Même si nous n’étions pas dans le Bronx, il y avait certains éléments qui sont venus nous toucher, explique le rappeur.
Le rap donne la parole aux gens du quartier. Cela leur permet de se débarrasser de cette étiquette en clamant haut et fort leur appartenance à Limoilou. «Nous étions confrontés à des problèmes réels, mais qui étaient amplifiés par les médias et les gens qui n’habitaient pas dans le quartier», estime Webster.
Une culture vécue en communauté
A l’époque, le rap était diffusé quotidiennement et partout. Au coin de la rue, dans le salon, dans la cuisine en freestyles, la culture hip-hop se vit collectivement. C’est ce qui alimente la créativité des rappeurs. Cette compétition amicale qui s’installe stimule l’écriture. Les rappeurs tentent de traduire de manière originale et inattendue ce qu’ils ont en eux et souhaitent présenter l’environnement dans lequel ils vivent. Webster se souvient des rassemblements à la place D’Youville : « Toute la ville s’y rassemblait. C’est ainsi que nous avons vécu le hip-hop avant même de faire des concerts et des albums.
À mesure que la scène rap se développait, des concerts plus formels étaient organisés. « En fin de compte, c’est l’émission qui vous a donné de la crédibilité et qui vous a amené aux oreilles des gens. Cela a contribué à cimenter cette manière collective et communautaire de faire les choses.
Les radios communautaires contribuent également à la diffusion des contenus rap, à une époque où il s’agit encore d’une culture très marginale. Des stations comme CKIA, CKRL et CHYZ soutiennent ensuite cette scène émergente avec des émissions comme Les Arshitechs du Son, toujours en ondes aujourd’hui.
De nouveaux canaux de distribution
L’avènement des plateformes d’écoute en ligne et l’essor des réseaux sociaux ont considérablement modifié les modes de diffusion du rap et de la musique en général. Ces nouvelles technologies facilitent la diffusion, mais mettent quelque peu à mal la dimension collective de la culture hip-hop.
« De nos jours, on peut pratiquement mener une carrière internationale sans quitter son pays », note Webster. Un phénomène intéressant dans la mesure où il permet de contourner le contrôle de certains grands médias en diffusant tous types de rap et en touchant une audience considérable, impensable il y a vingt ans.
Cependant, tous les types de rap ne circulent pas de la même manière, nuance Webster. « Quand on parle du rap qui est plus présent que jamais, ça dépend lequel. Dans l’espace public grand publicpour la plupart, ce sont des gens qui ne sont pas politisés, qui ne viennent pas de quartiers que l’on préfère oublier et qui ne présentent pas des réalités que l’on ne veut pas voir dans l’espace public. »
Le quartier
En trente ans, le quartier Limoilou a énormément changé. L’aura négative qui y régnait auparavant s’est dissipée pour en faire un lieu de vie réputé et à la mode. Cette vague de changements a certainement affaibli l’esprit communautaire et affecté le sentiment d’attachement au quartier ressenti par une partie de sa population. «Je resterai toujours un gars de Limoilou, mais je ne m’y vois plus autant qu’à d’autres moments de ma vie», affirme le rappeur.
«Saint-Pie Il ne faut pas s’accrocher à une idée dépassée.»
Guidez la prochaine génération
Tout au long de sa carrière et encore aujourd’hui, Webster reste une forte présence pour les rappeurs émergents. Tel un grand frère, il guide les artistes émergents en leur donnant l’opportunité de se faire voir et de progresser dans l’industrie.
“Je dis toujours : ‘Je ne peux pas t’ouvrir la porte, je ne peux pas casser la porte pour toi, mais je peux t’aider à assembler la hache'”
[1] La culture hip-hop comporte cinq piliers ou modes d’expression : breakdanceles graffitis, les beatboxingle DJing et du rap.