Ses traces laissées dans les mémoires, dans la culture ou dans la toponymie, aussi bien en Haute-Marne qu’en Haute-Saône : dans l’ouvrage « Le chemin des loups » publié en 1986, on parlait encore du prédateur au passé. Il a fallu 26 ans avant qu’il réapparaisse.
En 1986, sous la plume de Jean-Christophe Demard et de son père Albert, décédé six ans plus tôt, paraît aux éditions Langres Dominique-Guéniot un ouvrage de 200 pages qui deviendra vite le livre de chevet des Haut-Marnais passionnés par l’animal : « Le chemin des loups. Réalité-légendes ». Cet ouvrage a été publié à une époque où le canidé n’avait pas encore fait son retour dans le département (ce sera le cas officiellement en 2012), causant depuis lors d’importants dégâts aux troupeaux ovins.
« Thème préféré »
En proposant ce livre, la démarche de Demard père et fils, originaire de Champlitte, était avant tout historique et anthropologique. Dans ce “land of Haut-Gué” aux confins de la Haute-Saône et de la Haute-Marne, dans les années 1950, « chaque fois que nous interrogeions les vieillards, ils nous parlaient de loups : c’était un thème favori des soirées, comme celui des lanceurs de sorts dans les Vosges saônaises »écrivent les auteurs.
Ils partent donc à la recherche de documents, de témoignages sur la présence du loup en Haute-Marne et en Franche-Comté, sur les traces que le canidé a laissées dans la culture populaire (littérature, légendes évoquées au coin du feu), mais aussi dans la toponymie. .
Près d’un millier en 20 ans
Le futur ministre de l’Agriculture, Michel Cointat, qui fut directeur de l’ONF en Haute-Marne, l’avait déjà montré en 1955 dans un numéro de Carnets du Haut-Marne : le loup pullulait dans le sud du Haut-Marne, avant la Révolution française. « De 1768 à 1788, 980 loups furent exterminés sur le territoire de la Haute-Marne, dont 425 dans l’arrondissement de Langres, et 149 pour celui de Chaumont »écrivent Albert et Jean-Christophe Demard. Le canton de Fayl-Billot a vu à lui seul mourir 72 prédateurs (21 à Pressigny). À peu près à la même époque, “4,883 wolves are killed in Franche-Comté, including almost half in Haute-Saône”précisent le créateur du musée d’histoire de Champlitte et son fils, aujourd’hui décédé.
Ce que rappellent les deux auteurs, c’est qu’au XIXème sièclee siècle, le loup « est très commun et est chassé comme le sanglier et le renard ». Ainsi, dans la forêt de La Crête, près d’Andelot, 116 individus sont “détruit” entre 1816 et 1826 ! L’occasion, pour les auteurs, de détailler en détail les différentes techniques de chasse utilisées, mais aussi de rappeler les cas d’attaques sur humains, dont certaines sont particulièrement connues.
Loups enragés
Langres en 1639, Aprey en 1689, Brennes en 1773, Vivey en 1811 sont des lieux attachés à la mémoire des Haut-Marnais victimes du loup, notamment à cause de la rage. Le seul récit, par le curé de Créancey, des ravages de la « bête » de Créancey (1783), dont “courir était si rapide qu’il semblait voler”occupe douze pages de cet ouvrage. Le curé n’épargne aucun détail sur les circonstances de la mort de quatre habitants, dont une femme enceinte, avant que la louve enragée ne soit tuée par Arbelin, un maître d’école de Latrecey.
« Même si les loups ont apparemment disparu de notre région, le souvenir reste vivace »concluaient Albert et Jean-Christophe Demard en 1986, évoquant le témoignage oral de M. Matuchey, de Baissey, qui affirmait avoir vu un loup en 1962. Les deux historiens chanitois n’imaginaient peut-être pas que 26 ans après la parution de leur livre, lupus canin ferait son grand retour, mais sur les franges ouest et est de la Haute-Marne.
Lionel Fontaine