A la simple évocation de son nom dans une conversation, les regards changent et trahissent des émotions contrastées. Le loup est un animal qui ne laisse personne indifférent dans les campagnes françaises. Réalisez des enquêtes sociales sur votre compte, comme nous l’avons fait dans une étude récemment publiée dans la revue Les gens et la natureest souvent un défi.
En témoignent les réactions contrastées auxquelles j’ai été confronté lors de cette enquête de terrain. Alors qu’elle s’apprête à répondre favorablement à ma demande d’entretien depuis son jardin dans lequel elle s’affaire, cette septuagénaire de Tartas tourne aussitôt les talons pour se réfugier chez elle, claquant le porteporte :
“« Ah non, cette bête est Maléfique, ne compte pas sur moi ! »»
Quelques semaines plus tard, à Villegly, le visage d’une jeune femme s’éclaire dans la porte entrouverte :
“« Le loup ? C’est un signe, regarde, c’est mon animal préféré, je l’adore ! » s’exclame-t-elle en soulevant sa manche pour me montrer un tatouage de l’animal couvrant tout son bras.»
Finalement, ce n’est ni d’enthousiasme ni de peur dont parle ce jeune agriculteur des environs de Puy-Guillaume, mais plutôt d’une certaine forme de colère et d’impuissance face aux problèmes que cela peut poser. prédateur pour les éleveurs :
“« Vous comprenez, on voit ce qui se passe dans les Alpes et on ne veut pas du tout ça ici. C’est un bel animal, certes, mais c’est tout. »»
Les loups gagnent du terrain
Il s’agit de mieux comprendre cette diversité d’émotions et d’attitudes envers le loup (Lupus caninLupus canin), que j’ai réalisé une enquête dans la France rurale au printemps 2019. En effet, depuis 1992, les loups ont recolonisé une partie du territoire depuis l’Italie.
Grâce à une législation européenne favorable, il existait au moment de l’étude en 2019 92 zones de présence permanente (ZPP), c’est-à-dire les territoires où trois indices de présence ont été enregistrés pendant deux hivers consécutifs. . Ce nombre a depuis augmenté, avec 145 ZPP pour 128 packs à l’été 2021).
Pour suivre au plus près les enjeux environnementaux, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». Abonnez-vous aujourd’hui.
Cette présence du lupin n’est pas sans défis pour plusieurs secteurs d’activité, comme l’agriculture et notamment le pastoralisme (en raison des attaques sur le bétail), la chasse (en raison de la concurrence perçue pour le gibier), voire le tourisme (présence de chiens de protection des troupeaux dérangeant les randonneurs).
Cette recolonisation naturelle du territoire représente aussi un phénomène positif pour certains qui y voient une reconquête du monde sauvage, une valeur ajoutée dans les écosystèmes, associée à de potentielles expériences positives.
Débats émotionnels, mais peu de recherches sur les émotions associées aux loups
La coexistence entre humains et loups est une question éminemment politique donnant souvent lieu à des débats passionnés et chargés d’émotions et pourtant, peu de recherches ont été menées sur les émotions associées aux loups, à l’exception des travaux pionniers du professeur Maarten Jacobs dans l’Union européenne. contexte.
Avec une équipe d’une dizaine de personnes, nous avons donc interrogé les habitants de communes tirées au sort en milieu rural et semi-rural, plus directement concernés par la cohabitation avec les loups que les habitants des grandes métropoles, dont on sait déjà qu’ils ont plus attitudes favorables envers le loup.
Carte de France représentant la répartition des villes et villages ruraux sélectionnés aléatoirement pour l’étude. Cliquez sur chaque ville pour voir le nombre de participants à l’étude et la distance jusqu’à la zone permanente pour les loups la plus proche.
Le but de cette étude était de se concentrer sur les émotions (ou états émotionnels) exprimées en réaction à différentes situations impliquant les loups. Le défi était d’aller plus loin que les travaux antérieurs qui portaient sur les émotions décontextualisées associées à l’animal (ou dispositions émotionnelles).
Surprise et curiosité avant la peur
En d’autres termes, plutôt que de demander aux participants « quelles émotions les loups évoquent-ils en vous, en général ? » », nous avons voulu savoir « quelles émotions ces loups évoquent-ils en vous, dans ce contexte précis ? » Les participants pouvaient exprimer une ou plusieurs émotions parmi sept émotions dites de base : intérêt, peur, joie, colère, surprise, tristesse, dégoût, à différentes intensités.
Pour ce faire, nous avons extrait six vidéos de la plateforme YouTubeYouTube décrivant les interactions possibles entre les humains et les loups. Il s’agissait de séquences filmées par des amateurs afin de rendre le plus crédible possible le sentiment d’immersion dans ces différentes situations.
Vidéo de 10 secondes présentant un contexte d’interaction avec un loup isolé lors d’une balade en forêt.
Vidéo de 10 secondes présentant un contexte d’interaction avec une meute de loups traversant un champ.
Nos analyses montrent que la surprise est l’émotion la plus souvent exprimée par les participants à l’enquête, suivie par l’intérêt et la peur. Ce résultat montre d’abord que les gens ne s’attendent pas à rencontrer des loups dans les paysages ruraux français, alors même qu’ils sont dans une dynamique de recolonisation en France depuis plus de trente ans.
[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Cet effet de surprise explique en partie pourquoi les observations de loups sont souvent rapportées dans la presse, certaines populations locales n’ayant jamais été confrontées à cette présence. Il est cependant admis que les loups sont capables de parcourir des distances de l’ordre de plusieurs centaines de kilomètres lors de la phase de dispersion (lorsque les jeunes loups quittent leur meute pour s’installer dans un nouveau territoire).
Des émotions intenses, mais peu d’hostilité
Qu’en est-il des émotions négatives ? Elles sont clairement présentes dans les réponses des participants à l’enquête, mais la peur et la colère ne sont pas les états émotionnels les plus souvent exprimés.
L’émotion de colère, souvent évoquée dans les débats publics sur la conservation du loup en France, ne semble pas associée au loup lui-même, mais plutôt à certains contextes spécifiques d’interaction impliquant le milieu agricole (meute vue traversant un champ, individu isolé vu se cacher autour du bétail).
La colère, qui est une émotion ancrée dans un sentiment d’injustice, reflète donc des conflits humains liés à la gestion des loups, plutôt qu’une aversion particulièrement forte envers l’animal.
Globalement, la grande diversité des émotions exprimées, avec des intensités variables selon le contexte d’interaction, ne traduit pas une atmosphèreatmosphère particulièrement hostile aux loups dans les paysages ruraux français. Certains contextes d’interaction décrivant une certaine proximité avec les humains (loups observés sur un sentier de randonnée ou sur une route) suscitent des émotions intenses et, pour deux de ces contextes, relativement positives.
Les émotions, moteur de la construction des attitudes envers le loup
L’étude démontre également un lien très étroit entre les émotions exprimées par les participants et les attitudes qu’ils ont envers les loups. Contrairement aux émotions qui sont des réactions aux vidéos, les attitudes impliquent une évaluation positive ou négative des loups et de leur recolonisation du territoire. Les attitudes impliquent des processus cognitifs plus réflexifs.
Dans notre étude, la colère et la joie étaient les émotions qui exerçaient la plus forte influence sur la formation des attitudes. En revanche, la peur, bien que représentée dans la plupart des études sur les émotions envers les adultes carnivorescarnivoresavait deux fois moins d’influence que la joie d’observer les loups dans la nature.
Nos recherches confirment donc que les émotions sont de puissants moteurs de compréhension constructionconstruction attitudes favorables ou défavorables aux loups. Ils jouent ainsi un rôle crucial dans les processus décisionnels qui régissent la conservation des grands carnivores.
La fin du grand méchant loup ?
Une meilleure compréhension de ces émotions permettrait d’apaiser certains débats, et notamment d’atténuer les peurs irrationnelles à l’égard de ces animaux, les attaques contre les humains étant quasi inexistantes en Europe.
Cette compréhension permettrait également de ne pas négliger les émotions positives comme la joie et la curiosité envers ces animaux. Ainsi, on ne verrait plus seulement les coûts, mais aussi les bénéfices potentiels liés à la présence de ces animaux dans notre environnement, ce qui constituerait un véritable changement de paradigme.
Ces résultats mettent également en évidence l’écart important entre les émotions exprimées par le grand public, très variables selon les différents contextes d’interaction avec les loups, et les représentations généralement négatives des grands carnivores dans la presse. Cet écart doit être mieux étudié pour décrire plus précisément et plus équitablement la conservation des grands carnivores.
En effet, les médias jouent un rôle crucial dans la construction d’histoires autour de la coexistence entre humains et faunefaune sauvage, et plus encore dans la formation des attitudes envers le loup. Le paysage médiatique français ne fait pas exception.
Enfin, il est essentiel que les recherches sur les dimensions humaines de la conservation des grands carnivores soient encouragées. Dans le cadre du Plan d’action national 2024-2029 « activités loup et élevage », et en cohérence avec la majorité des études scientifiques publiées à ce jour en France et les récents appels à projets du ministère de la Transition écologique, l’accent a été principalement mis sur la aspects écologiques de la recolonisation des loups (prédiction des zones de recolonisation, attaques, effets des tirs sur la dynamique des populations, etc.).
Bien que nécessaires à bien des égards, ces études n’abordent qu’une partie des défis posés par la recolonisation des loups, qui comportent également des enjeux émotionnels, cognitifs, comportementaux, sociaux et économiques, liés aux différents acteurs impliqués dans la coexistence avec ces animaux.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lisez l’article original.