Première avocate autiste touchée par la surdité, Maïder Lecomte Dufresne plaide en droit des affaires depuis 18 ans. En plus de diriger son cabinet des Champs-Elysées, cette passionnée a suivi une formation en sophrologie et fait du conseil pour une meilleure acceptation du handicap en entreprise. Rencontre.
Elle fait partie des 40 Françaises sélectionnées par Forbes dans le classement des femmes en 2023, année de son agence DYSruptive, qui propose « des conseils en santé mentale aux entreprises et cabinets d’avocats pour accompagner d’autres cabinets et entreprises sur le chemin de la RSE, du handicap et de l’inclusion ». », a reçu le prix du public Transfodroit aux Grands prix de l’innovation des avocats. Maïder Lecomte Dufresne est un personnage ensoleillé qui a fait de sa neuroatypie (autisme et TDAH) et de son handicap (surdité) des atouts insondables. Depuis son entrée dans le droit des affaires, ce couteau suisse, au sourire impeccable, compte bien faire bouger les lignes dans les petits cabinets d’avocats comme dans les grandes entreprises du CAC 40. Associée fondatrice d’Hominum Juris, cabinet d’avocats en droit des affaires, elle dirige également l’agence DYSruptive qui accompagne les cabinets et les entreprises dans la mise en œuvre ou le renforcement de leur politique RSE et l’inclusion des personnes neuroatypiques et handicapées, au travers de conférences d’impact et de partenariats stratégiques. Grâce à sa politique, transposée de ses connaissances en sophrologie, elle œuvre pour une société plus équitable, où les atouts de l’intelligence autistique sont reconnus et valorisés pour le bénéfice de tous. Cette super avocate a accepté de nous en dire un peu plus sur son parcours.
AJ : Quel chemin vous a conduit au droit des affaires ?
Maïder Lecomte Dufresne : Je dois dire que dans mon cas, on peut parler de prédestination. Mon grand-père m’a appris malgré lui à vivre des aventures. Il était mentalement retardé et volait le sac à main de ma grand-mère, il m’a appris à fouiller dans les tiroirs, m’a donné ses astuces. J’avais 3 ou 4 ans. Il avait survécu aux camps de concentration et était revenu à 30 kg pour 1m80, il avait passé un an dans une ferme avant de rentrer en France, pour se remettre sur pied. Il a mis des poules dans son pantalon, il a utilisé le mépris des gens pour les handicaps mentaux pour s’en sortir. Tout ce que j’ai construit, c’est grâce à lui.
C’est pour mon personnage. Pour la profession, c’est une autre histoire. À 18 ans, j’ai dû quitter la maison et je me suis inscrit en droit. J’étais très bon à l’école mais je m’ennuyais. Je n’ai jamais atteint la dernière année. Finalement, je suis devenu avocat sans mon baccalauréat. Grâce à mes qualités, je me suis retrouvé dans l’un des plus grands cabinets d’avocats pénalistes de Seine-Saint-Denis. Je savais taper sur l’ordinateur et dès le lendemain de mon arrivée, mon patron m’a assigné des clients pour 15 jours. J’ai soigné les Roms à Montreuil, j’ai traité des accidents médicaux, du sang contaminé, des affaires pénales. Parallèlement, j’étudiais le droit des affaires et j’ai donné naissance à mon premier enfant. Après mon master et mon DESS, j’ai postulé en entreprise et me suis retrouvé en stage… après sept ans de métier ! Je suis allé chez Darrois, puis chez Rambaud Martel, uniquement politico-financier. Comme il était compliqué d’être embauché dans cette spécialité hyper compétitive, j’ai préféré créer directement mon propre cabinet.
AJ : Quand avez-vous pris conscience de votre différence ?
Maïder Lecomte Dufresne : Enfant, j’avais des diagnostics qui évoquaient déjà l’autisme, mais ma mère n’y est jamais revenue. Bien sûr, j’ai vu les différences, mon attention au travail vraiment bien fait, les grandes responsabilités. Ce diagnostic d’autisme est revenu lorsque je suis tombée malade, peu de temps après avoir créé mon cabinet et bien sûr cela a influencé ma pratique. J’ai suivi une formation en sophrologie et réalisé un DU Démocratie et Santé à l’Université des Patients de la Faculté de Médecine de Paris. J’ai également fait un DU en éducation thérapeutique du patient à Caen, pour apprendre aux médecins à créer une alliance harmonieuse avec les patients… Tout ce que fait en vérité un avocat. Le juridique n’est que l’apparence d’une relation de compréhension humaine, comme la médecine. Tout cela pour dire que ces ouvertures provoquées par l’adversité ont modifié ma pratique du droit. Je l’utilise aussi dans mes démarches avec des collègues, devant les tribunaux, je suis plaideur et je ne plaide plus du tout de la même manière qu’avant, c’est ce que j’essaie de transmettre dans les cours que j’ai dispensés à l’EFB où je travaille. sur la gestion du stress. Entre le droit et la pratique du droit, il y a une très grande différence et cela s’acquiert avec l’expérience. Je ne fais pas de TedX, je n’utilise pas de rétroprojecteur ni de modèle tout fait, je dispose les chaises en cercles et pendant 1h45 on pratique la sophrologie. Les retours sont magiques.
AJ : Est-ce pour cela que le cabinet Hominum Juris et l’agence DYSruptive sont deux activités complémentaires ?
Maïder Lecomte Dufresne : En affaires, j’apporte autre chose. Lorsque je réalise un audit juridique, je les aide à continuer à s’assurer qu’ils sont informés sur l’inclusion des personnes atteintes de maladie mentale et sur les risques psychosociaux. Je suis aujourd’hui le premier cabinet d’avocats d’affaires spécialisé en droit du handicap et de la RSE. Beaucoup de mes clients sont neuro-atypiques et cherchent à être accompagnés par une personne ayant le même profil. En tant que personne autiste, mon cerveau fonctionne au signal faible, il recherche des angles d’attaque différents de ceux auxquels les juges ont l’habitude d’entendre.
AJ : Diriez-vous que la profession s’est ouverte aux personnes neuro-atypiques et handicapées ?
Maïder Lecomte Dufresne : Je ne dirais pas que la profession est ouverte, déjà parce qu’il n’y a pas de recensement des personnes handicapées, pas d’outil spécifique. Certaines associations existent mais dépendent d’autorités ordinales. Mais d’une certaine manière, la norme me sert car avec l’éthique, nous avons inventé ce qu’il y a de mieux pour protéger nos clients et nous protéger aussi. L’éthique est un très bon outil : conditions générales remises, facturation, les clients signent tout, selon le texte du Code de la Consommation, on ne peut pas donner plus de trois mois de délais de paiement, et il y a le principe du contradictoire ! En revanche, aujourd’hui dans les entreprises de plus de 200 salariés, il y a un référent handicap, pourquoi l’avocat n’occupe-t-il pas ce poste de référent handicap, pourquoi sont-ils des consultants externes alors que le dialogue est notre cœur de métier ? Dans nos métiers, nous prodiguons les premiers secours en santé mentale, qu’il s’agisse de prévention, de droit du travail ou de travail criminel. Il existe des référents de mission locaux en milieu pénitentiaire : pourquoi les avocats ne sont-ils pas référents en milieu pénitentiaire alors qu’ils sont les mieux placés pour individualiser les conseils ? Ce sont des associations qui le font aujourd’hui. Mon cabinet d’avocats d’affaires est le premier en France dédié à la santé mentale en entreprise (l’aspect juridique étant associé à la sophrologie, à l’éducation thérapeutique et aux notions de premiers secours en santé mentale).
AJ : Vous avez été récompensé par le magazine Forbes, mais aussi grâce au prix Transfodroit, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Maïder Lecomte Dufresne : Je ne m’y attendais pas, c’est une reconnaissance, pas tant de ce que je fais, mais de ce que je peux apporter. C’est aussi une belle visibilité pour les personnes handicapées, et je suis heureux à mon humble niveau de contribuer à redonner une légitimité aux personnes handicapées. Après ces distinctions, on m’a proposé de participer à des conférences pour peut-être mettre en place des accords de branche, des contrats d’aménagement du handicap. J’ai été invité à une conférence sur le handicap, l’autisme et l’agriculture où j’ai discuté avec des professionnels au niveau européen. Nous reconnaissons qu’un avocat peut être un expert dans ce domaine et je trouve cela important pour la profession.