Uje n’ai pas de crise cardiaque. Et un lapsus. C’est la conclusion officielle de l’enquête menée par les autorités autrichiennes suite à la découverte, le 29 avril 2012, du corps de Choukri Ghanem, flottant dans les eaux du Danube à Vienne. Mais selon des câbles diplomatiques divulgués en 2016 par WikiLeaks, de nombreux services de renseignement avaient des doutes sur la mort de l’ancien ministre libyen du pétrole. « Une mort hautement suspecte », relate par exemple une note adressée à la secrétaire d’État Hillary Clinton.
Moussa Koussa’s note
Coïncidence (ou pas) du calendrier, la mort de ce détenteur des secrets du régime du colonel Kadhafi est survenue à peine 24 heures après la publication par le site Mediapart d’une note attribuée à Moussa Koussa, chef des renseignements libyens, faisant état d’un projet de financement de Nicolas. La campagne Sarkozy de 2007 à hauteur de 50 millions d’euros.
L’ancien président a toujours formellement nié avoir pu être acheté par la dictature libyenne, rappelant à plusieurs reprises qu’il avait été l’un des principaux artisans de sa chute. « Si c’était une série, on dirait que le scénario est improbable » raillait l’ancien président en novembre 2020.
L’ordonnance signée par les juges Aude Buresi et Virginie Tilmont, plus de dix ans après la publication de l’article de Mediapart et qui constituera la base du procès qui s’ouvre ce lundi jusqu’au 10 avril, alimenterait facilement une série sur Netflix. Mais les magistrats ont estimé au contraire qu’il y avait suffisamment d’accusations pour soumettre à un tribunal le scénario selon lequel le candidat aurait demandé des fonds au dictateur libyen en échange, notamment, de la réhabilitation du « guide » sur place. international.
Sur le plan juridique, ce bilan se reflète dans les poursuites les plus spectaculaires jamais subies par des hommes politiques de ce rang. Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant sont poursuivis pour « association de malfaiteurs », aux côtés des sulfureux intermédiaires Alexandre Djourhi et Ziad Takieddine, l’homme d’affaires Thierry Gaubert ainsi que l’ancien dignitaire libyen Béchir Saleh et des financiers saoudiens. A cela s’ajoutent, pour les principaux prévenus (dont Nicolas Sarkozy), des poursuites pour « corruption », « détournement de fonds publics », ou encore « financement illicite d’une campagne électorale ». Éric Woerth, ancien trésorier de la campagne de 2007, est responsable de « financement illégal de campagne ».
Les cahiers du ministre du pétrole
Choukri Ghanem n’a jamais été interrogé. Mais son journal parlait pour lui. A la page du 29 avril 2007, le dignitaire Kadhafi évoque un financement de 6,5 millions destiné à Nicolas Sarkozy via trois canaux : Saïf Al Islam, le fils du dictateur ; Béchir Saleh, le directeur du fonds d’investissement de l’État libyen et Abdallah Senoussi, le grand patron du renseignement.
Pour les juges, le pacte corruptif aurait été conclu à l’automne 2005. A cette époque, alors que leurs fonctions ne consistaient en rien à établir ce type de contact, Claude Guéant, directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, ministre des Communautés, se sont rendus tour à tour à Tripoli pour rencontrer Abdallah Senoussi, loin des regards de la diplomatie française. L’entremetteur est un « intermédiaire », un homme chargé d’huiler les acteurs étrangers dans les contrats d’armement, du nom de Ziad Takieddine.
Interrogés par les juges, Takieddine et Senoussi ont confirmé (Claude Guéant et Brice Hortefeux nient) que ces réunions étaient dans le cadre de la campagne de 2007. Était-ce également le cas du mystérieux voyage du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy à Tripoli le 6 octobre 2005 ? Plusieurs dignitaires libyens l’assurent. Tout comme Youssef el Megarief, l’ancien opposant porté au pouvoir par la révolution libyenne et peu soupçonné de vouloir se venger des Français. De son côté, Ziad Takieddine, après l’avoir confirmé à son tour, s’est rétracté. Avant de fuir au Liban.
L’enquête a permis d’identifier deux circuits financiers. Le premier vise un compte ouvert au Liban par Ziad Takieddine, crédité de 6 millions d’euros du trésor public libyen et de ses services de renseignement. La seconde, plus complexe, met en scène un autre « intermédiaire », Alexandre Djourhi, également proche de la droite et qui était lié à Béchir Saleh qui aurait fait verser 10 millions d’euros en 2008 sur un compte panaméen.
Une campagne pleine d’argent
La défense de Nicolas Sarkozy insiste sur le fait qu’aucun argent libyen n’a été remis à l’ancien candidat à la présidentielle et que les sommes alléguées selon les témoins varient de un à dix. Cette faiblesse du dossier n’efface cependant en rien un éventuel pacte de corruption, selon les magistrats. Même s’ils ne sont pas en désaccord : « Aucun transfert monétaire n’a été effectué en faveur de Nicolas Sarkozy ».
Il n’en va pas de même pour Claude Guéant, dont les 500 000 euros prétendument reçus de la vente de deux tableaux flamands masquent de l’argent venu de Libye via un circuit offshore géré par Djourhi. Les 440 000 euros versés à Thierry Gaubert dans un Trust aux Bahamas, en provenance de Libye via Takieddine, intriguent tout autant. D’autant que sa condamnation dans l’affaire Karachi sur fond de financement illégal de la campagne d’Édouard Balladur aiguise le profil de cet ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy.
Quoi qu’il en soit, l’enquête a mis en évidence une circulation massive d’argent liquide non déclaré au sein de l’équipe de campagne du candidat UMP. De grosses coupures auraient servi aux compléments de salaire, aux primes de fin de campagne, au paiement des chauffeurs… Est-ce pour les stocker que Claude Guéant avait loué un coffre-fort de 12 mètres carrés à la BNP de mars à juillet 2007 ? L’ancien ministre de l’Intérieur a assuré vouloir y conserver « les discours de Nicolas Sarkozy ».
Cinq ans avant la martingale « Bygmalion » qui avait permis à l’ancien président de dépenser le double du plafond autorisé pour sa campagne de 2012, la campagne de 2007 avait peut-être, quelle que soit l’origine de ces liquidités, elle aussi dépassé les plafonds autorisés. L’affaire Bygmalion lui a déjà valu une condamnation. Tout comme l’affaire Bismuth qui va bientôt le conduire à porter un bracelet électronique. La vie politique de Nicolas Sarkozy est un sujet de recherche inépuisable pour la justice.