Le rapport d’Amnesty International est l’un des nombreux signaux qui devraient convaincre le Canada de reconnaître le génocide en cours à Gaza, soutient ce doctorant affilié au Centre d’études et de recherche de l’Université de Montréal.
Marion Zahar
Étudiant au doctorat en science politique affilié au Centre d’études et de recherche de l’Université de Montréal (CERIUM)
Début décembre, Amnesty International a publié son rapport sur l’offensive militaire israélienne à Gaza depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023. L’enquête de l’organisation démontre que les actions d’Israël à Gaza constituent un génocide au sens de l’article 2 de la loi sur le génocide. Convention1 ratifié par l’État hébreu lui-même en 1950.
Des recherches menées entre octobre 2023 et juillet 2024 ont également permis aux enquêteurs d’établir le caractère intentionnel des crimes commis par Israël dans l’enclave palestinienne.
La publication de ce rapport accablant intervient après les ordonnances de la Cour internationale de Justice (des 26 janvier et 24 mai 2024) ordonnant à Israël de mettre fin à son offensive car elle impose « des conditions d’existence susceptibles de conduire à [la] destruction physique totale ou partielle »2 Les Gazaouis.
Le rapport a été publié à la suite de mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre, entre autres, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le chef des Brigades Al-Qassam du Hamas, Mohamed Deif.
Le rapport d’Amnesty International constitue une étape essentielle dans la future bataille juridique visant à faire reconnaître le génocide en cours. Surtout, il s’agit du dernier d’une série de signaux que le Canada ne peut plus ignorer.
2023, année zéro ?
Pris dans l’accélération des événements, peu de gouvernements ont fait preuve d’une compréhension approfondie de la situation. Le Canada n’a pas échappé à des positions inconditionnelles et simplistes.
Présentée comme le point de départ d’une guerre génocidaire dont il est difficile de dire le nom, la date du 7 octobre 2023 a mis fin à 75 ans d’occupation, de violations du droit international, de massacres et de violences contre le peuple palestinien.
En 2021 et 2022 déjà, Human Rights Watch et Amnesty International concluaient que la population palestinienne était soumise à un régime d’apartheid.3.
Comme les auteurs du rapport d’Amnesty International4 Il n’est pas question de minimiser la responsabilité du Hamas. Mais la guerre à Gaza s’inscrit dans un continuum de violences. Ce constat à lui seul devrait modifier nos analyses de la situation.
Gaza, tombeau de l’ordre international
En adoptant cette grille de lecture décontextualisée, la diplomatie canadienne démontre une vision de l’ordre international marquée par l’occidentocentrisme. Cette posture, que les experts en relations internationales s’emploient à déconstruire depuis plus de 20 ans5, a trop souvent conduit la diplomatie dans des impasses et alimenté des analyses stériles.
Souffrant de l’opération israélienne, les Palestiniens sont relégués à leur position éternelle de bénéficiaires de l’aide internationale. Ils ne sont pas présentés comme des interlocuteurs égaux, capables de s’autodéterminer et sont privés du pouvoir d’agir sur leur propre avenir politique.
Résistants à l’occupation israélienne et au risque d’anéantissement, ils ne peuvent être considérés en dehors de la catégorie « terroriste ». Ces étiquettes gênent une lecture pertinente de la situation, reproduisent des lieux communs, mais surtout mettent à mal un véritable processus de paix.
Face aux crises auxquelles la communauté internationale est aux prises, les représentants canadiens ne peuvent ignorer les préjugés de l’ordre qu’ils se targuent de représenter.
À cet égard, le rapport d’Amnesty International doit servir de signal. Cet avertissement est l’occasion de réformer radicalement la politique étrangère canadienne au Moyen-Orient et d’assumer les ambitions qu’elle affiche.
Cela impliquera la reconnaissance de l’État palestinien et un engagement en faveur d’un processus de justice et de vérité, notamment sur le génocide en cours.
En ignorant le génocide et en réclamant mécaniquement le « droit d’Israël à se défendre », les représentants de la politique étrangère canadienne démontrent une analyse dramatiquement limitée de la situation.
Ce n’est qu’au prix de réformes concrètes et de l’abandon du manichéisme que l’on peut espérer une paix durable. Face à un ordre international qui se meurt à Gaza, la crédibilité de la politique étrangère du Canada en dépend.
1. Visitez le site Web des droits de l’homme des Nations Unies
2. Consultez l’ordonnance de l’ONU pour la prévention du génocide dans la bande de Gaza
3. Consultez le document d’Amnesty International « Israël : les Palestiniens sont victimes de l’apartheid »
4. Amnistie internationale, « Israël/TPO : Les civils des deux côtés paient le prix d’une escalade sans précédent des hostilités entre Israël et Gaza alors que le bilan des morts s’alourdit », 7 octobre 2023
5. Pour une présentation claire des enjeux, lire : Barkawi, Tarak et Mark Laffey. «Le moment postcolonial dans les études de sécurité.» Revue des études internationales 32, no 2 (2006) : 329-52.
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