C’est une première au Québec : le gouvernement a commandé une étude ethnographique pour son projet de parc national de la Côte-de-Charlevoix. Que mange-t-il en hiver, une « étude ethnographique » ? La presse » a demandé l’anthropologue qui s’apprête à passer un mois dans Charlevoix pour discuter du projet de parc avec les citoyens « autour d’un café, d’un feu de camp ou sur une motoneige ».
(Québec) L’anthropologue Méralie Murray-Hall connaîtra un hiver chargé. Elle s’apprête à passer plusieurs semaines dans deux villages, Saint-Siméon et Baie-Sainte-Catherine, dans cet endroit où Charlevoix devient la Côte-Nord.
«Je vais dormir là-bas. Idéalement avec la population locale. Les amis des amis des amis sont les meilleurs informateurs ! S’il y a des soirées autour d’un feu de camp, j’essaie d’être invité”, explique M au bout du fil.moi Murray-Hall.
Cet anthropologue-ethnographe et consultant pour la firme Humain Humain vient de se voir confier par Québec la réalisation d’une « étude spécialisée en ethnographie » dans le cadre du projet de création du parc national de la Côte-de-Charlevoix.
Qu’est-ce qu’une étude ethnographique ?
« Une étude spécialisée en ethnographie consiste en une observation participante du comportement des citoyens et en une écoute de leurs besoins à travers des entretiens individuels, anonymes et confidentiels avec une personne non impliquée dans le processus », explique le ministère de l’Éducation. ‘L’environnement dans un e-mail. « La méthode se démarque par la relation de proximité et de respect qu’elle instaure avec les acteurs et communautés locales. »
C’est la première fois que le ministère de l’Environnement commande une telle étude pour la création d’un parc. Mais l’idée n’est pas venue de nulle part.
Dans un autre projet de parc national, celui des Dunes-de-Tadoussac, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a regretté que le ministère ait ignoré une étude « sociale ou ethnographique ».
«Cela permettrait au ministère de démontrer à la communauté d’accueil qu’il compte vraiment dans la définition du projet», écrit le BAPE dans son rapport d’août 2024.
Les citoyens s’inquiétaient du fait que ce parc situé à quelques kilomètres de Tadoussac limite plusieurs pratiques traditionnelles comme la cueillette des moules, la cueillette des champignons et même le piégeage des lièvres.
Le ministère de l’Environnement a pris note du rapport. Il vient d’octroyer un contrat d’un peu plus de 100 000 $ pour réaliser une étude ethnographique dans Charlevoix « afin de mieux comprendre les dynamiques locales par rapport au projet et favoriser l’accompagnement social », écrit le ministère dans un courriel.
Des Charlevoisiens inquiets
L’arrivée du futur parc de la Côte-de-Charlevoix ne fait pas que des heureux, notamment dans le secteur isolé de Baie-des-Rochers. L’endroit est entouré de forêts. Les habitants craignent de perdre le droit de s’y rendre, voire d’utiliser le quai, l’un des rares accès publics au fleuve dans une région où de riches acheteurs ont mis la main sur plusieurs parcelles côtières.1.
« Tout cela pour le tourisme sans penser aux gens qui vivent ici », s’est récemment plaint un citoyen sur la page Facebook du maire de la commune, qui soutient le projet. « La pêche, la chasse, ce sont des sports largement pratiqués dans ces montagnes […]. Des générations à conduire une heure le soir et le matin pour aller travailler pour nous garder proches de nos passions, mais cela n’a aucune importance pour Saint-Siméon… »
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La peur de perdre le droit de circuler en quad en montagne, de ne plus avoir accès au quai public, voilà le genre de nuances qui peuvent échapper au processus traditionnel d’étude d’impact environnemental. C’est là qu’intervient l’étude ethnographique.
«Il y a des gens qui ne se présenteront pas forcément aux soirées de consultation, pour plein de raisons», explique Méralie Murray-Hall. Parfois, ils sont résistants, ne connaissent pas les codes ou sont intimidés. »
Avec son équipe, l’anthropologue s’apprête à passer plusieurs semaines sur le terrain, « nouer des relations, recueillir des discours, des témoignages difficilement accessibles » et « discuter autour d’un café, d’un feu de camp ou sur une motoneige ».
« On les verra dans leur cadre de vie, avec leurs codes. C’est bien l’anthropologue qui s’insère dans les milieux en apprenant les langues, les codes, les savoir-faire… On crée un lien de confiance, un « safespace » où les gens peuvent, de manière confidentielle et anonyme, s’exprimer. »
L’anthropologue va chercher sur le terrain les « clés de voûte », ces détails qui peuvent faire changer d’avis la population sur un projet. Elle fera plusieurs rapports au Ministère, jusqu’à ce qu’un rapport final soit rédigé.
Le parc national de la Côte-de-Charlevoix pourrait voir le jour en 2028, après les audiences du BAPE prévues en 2026-2027. Les travaux de Méralie Murray-Hall doivent servir à approvisionner le Québec avant les audiences du BAPE.
« Il va y avoir des questions. Il est important que les clients avec lesquels nous travaillons en prennent conscience, dit-elle. Nous ne pouvons pas nous lancer dans un projet gravé dans le marbre. »
L’anthropologue espère que ce projet pilote sera « reproductible » et pourra être réutilisé dans d’autres projets d’envergure au Québec. « C’est un projet pilote avec une réflexion très profonde sur le dialogue. »
1. Lire « Création d’un parc national à Saint-Siméon : une « bouée de sauvetage » pour le village »