Nommé président de l’Académie Goncourt le 13 mai 2024, l’écrivain et réalisateur Philippe Claudel a accordé une interview au service Culture de France Télévisions, mercredi 27 novembre, dans un café parisien. Il nous fait part de sa très vive inquiétude concernant l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. L’auteur, âgé de 75 ans, a été arrêté samedi 16 novembre, à son arrivée en Algérie en provenance de France, et placé sous mandat d’arrêt pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ».
Franceinfo Culture : Avez-vous des nouvelles de Boualem Sansal ?
Philippe Claudel : Malheureusement, pas plus que ceux que tout le monde possède. Nous avons appris hier qu’il avait été inculpé. C’est la première fois que nous avons des nouvelles officielles de la justice algérienne. Je sais qu’évidemment le Quai d’Orsay et la Présidence de la République font tout pour avoir des informations plus précises et pour que Boualem Sansal revienne en France.
Que ressentez-vous par rapport à ce qui lui arrive ?
Un sentiment d’étonnement. Nous n’avons pas tout à fait le même âge, mais nous avons commencé à publier en même temps, en 1999. Depuis, nous nous connaissons. Je n’imaginais absolument pas qu’un jour, je verrais un de mes collègues en proie à une justice aveugle, et en tout cas irrationnelle, sous un prétexte qui me paraît extrêmement fragile. Je ressens également une grande inquiétude puisque vous avez un gouvernement, un État, qui détient, sans fournir d’informations, un citoyen. C’est extrêmement inquiétant et cela se produit près de chez nous. Nous sommes deux pays frères, deux pays amis, deux pays liés par une histoire difficile, mais nous nous connaissons, nous nous respectons. Nous souffrons de la guerre de décolonisation, mais je crois que nous avons beaucoup de respect mutuel.
Vous semblez contrarié…
Oui. Depuis que j’ai appris qu’il avait été arrêté, moi qui suis une personne assez solide, je suis vraiment perturbée dans ma vie quotidienne. C’est vrai que je pense constamment à Boualem Sansal et que je n’arrive pas à me rendre compte des choses.
Est-ce une forme de prise d’otages ?
Je crois que Boualem Sansal est victime d’une situation de plus en plus tendue entre la France et l’Algérie. J’ajoute, et je le sais en tant que président de l’Académie Goncourt, que l’attribution du Goncourt 2024 à Kamel Daoud pour son roman Houris Cela a beaucoup déplu aux autorités algériennes et je me demande si, dans une certaine mesure, Boualem n’en est pas aussi une victime collatérale. Il est victime d’une ambiance globale et c’est ça aussi qui est insupportable. Aucun individu, quel qu’il soit, ne devrait être victime de problèmes indépendants de sa volonté.
Le fait qu’il soit vieux est-il encore plus choquant ?
En effet, Boualem Sansal n’est plus jeune. Se retrouvant arrêté dès son arrivée dans son pays d’origine, détenu au secret sans l’assistance d’aucun avocat, sans avoir de nouvelles de lui, sans qu’il puisse en donner à sa famille et aujourd’hui sous le couvert d’une mise en examen qui semble encore absolument cela nous semble tiré par les cheveux, tout cela est très inquiétant et nous avons hâte de savoir comment il va, quel est son moral. Et surtout, j’espère qu’il sait qu’on pense à lui. Il existe un mouvement international d’intellectuels, d’hommes politiques, d’écrivains et de citoyens soucieux de son sort.
Que peut-on faire concrètement ? L’académicien Jean-Christophe Rufin a proposé de le nommer à l’Académie française…
C’est vrai que symboliquement, c’est fort, mais de telles décisions ne doivent pas jouer en sa défaveur. Nous sommes dans un champ de mines, inflammable, on le sent. Il faut donc être prudent dans toutes les initiatives pour ne pas heurter davantage un gouvernement algérien qui semble extrêmement tendu et faire confiance aux paroles, à la discussion, à l’humanisme, à l’intelligence pour trouver rapidement une solution.
Boualem Sansal représente-t-il un gros risque ?
Oui, si l’on s’en tient à la législation algérienne, les sanctions encourues sont énormes. Jusqu’à la peine de mort, même si l’on sait que depuis 1993, elle n’a jamais été appliquée, heureusement. On parle aussi de la réclusion à perpétuité et, au minimum, de cinq ans de prison, ce qui est considérable et sous une accusation assez curieuse, une sorte de remise en cause de l’intégrité nationale. Cela semble ridicule.
Qu’allez-vous faire pour essayer de le sortir de là ?
Il y a un mouvement général qui est intellectuel, littéraire, politique (…) mais que faire si ce n’est exprimer de bonnes intentions et ce désir humaniste, le droit de parole, le droit d’opinion, peu importe. Que le droit de regarder une histoire, ait été est-ce douloureux, un droit sacré de nos démocraties ? Si un État ne le reconnaît pas, il se place en dehors du champ démocratique. Nous nous mobilisons donc, mais nous faisons également confiance à notre État de droit pour qu’il soit libéré le plus rapidement possible.