IL ÉTAIT UNE FOIS… L’Empire des Sens, de Nagisa Oshima

IL ÉTAIT UNE FOIS… L’Empire des Sens, de Nagisa Oshima
IL ÉTAIT UNE FOIS… L’Empire des Sens, de Nagisa Oshima

Véritable histoire d’amour fou à la fois pierre philosophale du rapport réflexif et conflictuel entre érotisme et pornographie, le chef-d’œuvre absolu de Nagisa Oshima n’a encore rien perdu de sa puissance subversive ni des émotions violentes qu’il provoque et/ou qu’il met en scène. Au moment de sa sortie dans un gigantesque coffret DVD/Blu-ray de Carlotta (aux côtés de « L’Empire de la Passion », autre grand film du cinéaste), l’occasion était bien trop belle pour ne pas rentrer dans cette obsession » Empire des sens ». Mais d’abord, donnons la parole à l’intéressé…

« À mon avis, ce qu’on appelle l’obscénité n’existe pas à l’origine. Si l’on considère que l’obscénité existe, il faut préciser qu’elle n’existe que dans la tête des procureurs et des policiers chargés de la poursuivre. C’est leur conscience qui a forgé une définition de l’obscénité. Je pense qu’au cours de ce procès, il deviendra suffisamment clair qu’une telle définition est absurde, mais même en supposant que j’accepte une telle définition, pourquoi l’obscénité constituerait-elle une infraction au code ? criminel? Non, je déclare clairement que l’obscénité ne constitue pas un crime […]. Aujourd’hui encore, les principes universels de l’humanité, visant la libération de l’homme, empruntent le chemin de la liberté d’expression sexuelle. Si l’on considère la manière dont « L’Empire des sens » est accepté dans divers pays du monde, cela devient clair. Il ne me paraît donc pas nécessaire de développer une argumentation visant à démontrer que le film n’est pas obscène. Le monde et les principes universels de l’humanité ont déjà autorisé ce film. C’est le ministère public, au contraire, qui, ayant porté une accusation contre moi, doit me convaincre. En apportant des preuves et en développant une argumentation approfondie, je dois me convaincre des raisons pour lesquelles je serais coupable. Non, je pense que ce n’est pas seulement moi qu’il faut convaincre, c’est le monde entier. »

Ces propos de Nagisa Oshima ne sont pas tirés d’une de ses interviews, mais de sa plaidoirie. Celui qu’il a abandonné au terme des vingt-trois audiences de ce procès très médiatisé pour obscénité que la police japonaise a intenté contre lui en décembre 1976, en vertu de l’article 175 du code pénal japonais, à la suite de la libération de «L’empire des sens« . Il aura fallu trois ans pour qu’Oshima et son éditeur Takemura Ajime soient acquittés, certes, mais surtout pour lever un malentendu antédiluvien sur la notion même d’« obscénité ». Même si ce mot très simple a toujours soufflé le chaud et le froid, il ne reflète pas ici quelque chose à rejeter ou à adopter de manière irréfléchie. Conscient que ce que désigne ce mot n’est qu’une question de regard (le genre qui en dit davantage sur la perception morale de l’accusateur que sur la portée « morale » de l’œuvre incriminée), Oshima en fait le point de départ d’une vaste réflexion sur différents points critiques D’abord sur la frontière poreuse qui sépare l’érotisme de la pornographie (émotion versus). excitation? la beauté contre l’impureté ? esthétique versus anéthique ?), puis sur le pouvoir dévorant et ambigu du sexe, enfin sur le vertige total du sens et des sens. avant de le découvrir, regardez «L’empire des sens» pour la première fois est une expérience qui ne cesse de mettre son spectateur à l’épreuve. Le revoir après digestion ne fait qu’asseoir la certitude qu’un « caillou dans une chaussure » peut néanmoins donner naissance à l’un des plus beaux films jamais réalisés.

Tout au long de l’histoire, se limiter à une vision puritaine sur la question clé du visible et du montrable a toujours eu pour corollaire une mise en accusation du sexe. Partant de cette absurdité, l’accusation d’obscénité et de pornographie adressée à Oshima et à son film s’est rapidement dissoute. Est-ce parce que la définition établie du terme « pornographie » (c’est-à-dire « pornographie » représentation frontale et explicite de détails obscènes dans des œuvres artistiques » selon « Le Petit Robert ») peut-il s’appliquer – toujours subjectivement – ​​à d’autres choses comme la violence d’une scène, la grossièreté d’un propos verbal ou l’élaboration d’un cadrage cinématographique ? Oui, mais pas seulement. C’est surtout qu’à partir du principe visant à considérer que n’est montrable que ce qui peut – et ne doit pas – être montré, la question du regard de l’artiste devient le filtre idéal, celui qui guide le regard du spectateur sans lui imposer de filtre. point de vue hâtif et unilatéral. Le sujet même du film va dans ce sens : cette peinture d’un amour physique qui tente de se dépasser (très métaphysique, tout ça…) n’est en aucun cas une propension à la sollicitation, mais au contraire une sublimation d’un amour fou pour des fins triviales et poétiques. Ainsi, la mise en scène d’Oshima ne dessine pas seulement un mouvement exponentiel de jouissance au sein duquel plaisir et morbidité s’accouplent. Elle fait du sexe un acte de résistance et de l’amour passionné une religion de l’absolu. Pas moins.

Tout le monde aujourd’hui est plus ou moins au courant du fait divers à l’origine de «L’empire des sens» et qui fit couler beaucoup d’encre dans le Japon militariste de 1936. A cette époque, Sada Abe, ancienne geisha devenue successivement prostituée et servante, connut une relation amoureuse avec son maître Kichizo Ishida qui se transforma peu à peu en une spirale d’érotisme. impossible à freiner A l’arrivée, il n’y eut qu’une vision glaçante et inoubliable : celle d’une femme arrêtée après avoir erré plusieurs jours dans les rues de Tokyo, avec le pénis et les testicules de celui qu’elle tua par asphyxie érotique avant de l’émasculer à six ans. d’emprisonnement pour meurtre et dégradation de cadavre, Sada devient alors un objet de haine autant que de compassion aux yeux de l’opinion publique japonaise. cinéaste aussi engagé et violemment contestataire qu’Oshima (ses films précédents parlent pour lui) se soit intéressé à ce fait divers n’est pas surprenant, tant le cinéaste était déjà motivé par le passé à utiliser le sexe comme moyen d’expression critique et transgressif. Et sans aller jusqu’à regarder vers le pinku-eiga à la manière de Kôji Wakamatsu (autre grand cinéaste japonais transgressif qui fut également directeur de production sur «L’empire des sens“), le cinéaste de “Suspendu” et de “Nuit et brouillard au Japon» se concentre davantage sur la mise en scène d’un rituel, d’une authentique « corrida d’amour » (traduction littérale du titre original du film), elle-même consciente de l’apparition progressive du spectre de la mort à mesure que le plaisir tente d’élargir ses propres limites au sein de ce lieu fermé. espace.

En 1976, le Japon aurait-il pu accueillir, sinon un tel film, du moins un tournage aussi centré sur quelque chose d’aussi subversif ? Bien sûr que non, et c’est ce qui a conduit Oshima à utiliser le stratagème de la coproduction française avec l’apport du producteur Anatole Dauman, notamment en privant les journalistes japonais de tout accès à un plateau de tournage assimilé à un « territoire ». Français “. Si le caractère « pornographique » du film a ensuite provoqué une cascade de scandales et de censure dès sa sortie au Japon (scènes coupées ici, floutage partiel là), les spectateurs japonais ont souhaité découvrir le film dans sa version intégrale et non censurée. n’avait d’autre choix que d’aller dans les cinémas du reste du monde, notamment en France – une anecdote parmi tant d’autres à glaner dans les bonus de la première édition DVD du film. Avec, en apothéose, le procès absurde que nous évoquions plus haut… Cela montre l’impact du film, de cet « empire » désignant plus la naissance d’un règne des absolus que le système politique japonais (quoique…). L’art selon Oshima ne peut que s’affranchir des conventions et du jugement d’autrui (la morale n’a pas sa place dans son cinéma) tout comme l’espace clos sexuel dans lequel s’enferment Sada et Ishida devient peu à peu une entité autonome obéissant à ses propres règles. Ce que le film rend toujours plus tangible d’une scène à l’autre, c’est la reconfiguration d’une pièce en un nouveau « centre du monde », à la fois « offert » à la vue de tous (surfaces transparentes et insonorisation). zéro au programme de cette intimité révélée) et « fermé » à tous ceux qui tentent d’y entrer (surtout les domestiques, systématiquement expulsés). Un espace qui fait ainsi revivre des désirs tabous – parfois assez comiques et surréalistes ! – qui ont jusqu’à présent dérangé ceux qui y assistent. Un corps social contaminé par l’interdit. Un scandale garanti.

Avec une maîtrise royale du cadre fixe (on ne voit qu’Ozu égaler un tel degré de pureté) et un art ô combien consommé du « trou de serrure » (motif dont il fera plus tard le leitmotiv visuel du générique de “Max mon amour“), Oshima se place tantôt au plus près et tantôt à distance des corps en fusion. Ce qui résulte de ce cérémonial sensuel et morbide est autant un discours sexuel (le seul qui s’impose ici) qu’une percée politique de premier choix. Montrer une geisha qui prend le pouvoir sur son maître à travers sa lecture mystique de l’amour fou est en soi un acte presque féministe. Filmer la marche de cette même anti-héroïne à contre-courant des soldats japonais qui se lancent dans le combat. le conflit guerrier est en soi une provocation anti-système qui n’appelle aucun commentaire. Filmer le « sens » pour interroger ses multiples « sens » est en soi une invitation à briser les idées préconçues et les conventions qui y sont gravées. marbre En tout cas, en magnifiant à ce point le pouvoir intemporel et ambivalent du désir sexuel (aussi destructeur soit-il), l’empire d’Oshima aura su, du Sens à la Passion, faire de nous ses prisonniers consentants. Et comme cela a été souligné à juste titre depuis la sortie du film, toute la puissance de son chef-d’œuvre fait écho à la célèbre phrase de Georges Bataille : « De l’érotisme, on peut dire qu’il est l’approbation de la vie même dans la mort. « . Le sexe, cette pièce à double face, liant la célébration ultime de la vie à la quête d’un absolu perpétuellement inassouvi du fait d’un désir sans fin ni limites. Finalement, quelle différence y a-t-il avec notre propre passion de cinéphile ?

 
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