Choléra à Mayotte, histoire d’une faute collective : Actualités

Choléra à Mayotte, histoire d’une faute collective : Actualités
Choléra à Mayotte, histoire d’une faute collective : Actualités

L’épidémie de choléra à Mayotte aurait-elle pu être évitée ? Probablement, si certains bidonvilles avaient bénéficié d’eau potable. Mais le sujet a longtemps été freiné par le manque d’action des pouvoirs publics, face à la forte mobilisation anti-migrants d’une partie de la population.

“Nous sommes ici confrontés à la survenue d’une épidémie de choléra, un événement jamais vu en France depuis le XIXe siècle”, souligne l’infectiologue Renaud Piarroux, référence sur cette maladie, dans un rapport commandé par les autorités sanitaires locales, mais resté confidentiel. .

Ce document, consulté par l’AFP après avoir été révélé par L’Express, est sans ambiguïté sur les causes de l’épidémie qui a frappé une centaine de personnes et fait deux morts dans cet archipel de l’océan Indien d’environ 320 000 habitants.

« La priorité est de garantir un accès minimum à l’eau potable et à des installations sanitaires adéquates dans les bidonvilles et autres zones vulnérables », conclut ce rapport, soulignant la situation souvent catastrophique en la matière dans ce département le plus pauvre de France et, par conséquent, l’absurdité de certaines recommandations. .

« Quel sens donner à un message invitant la population à se laver fréquemment les mains, si la seule ressource est l’eau sale ? demande M. Piarroux.

La bactérie responsable du choléra, Vibrio cholerae, est en effet largement transmise par les eaux usées. Et pour de nombreux habitants des bidonvilles de Mayotte, il n’y a guère d’autre choix pour boire ou se laver.

Un regard sur le quartier Kirson, dans la commune de Koungou, illustre cette situation. C’est là que l’épidémie avait atteint son principal foyer, depuis atténué, et qu’une fillette de trois ans est décédée début mai.

Ce bidonville, qui abrite environ 5 000 personnes, est séparé en deux par une rivière qui sert à tous usages. Une bouche d’incendie est installée à l’entrée du quartier mais la plupart des habitants sont trop éloignés pour s’y approvisionner.

Certes, les équipes de l’Agence régionale de santé (ARS), bras armé du ministère de la Santé sur place, ont finalement mis en place une rampe d’eau en avril, une installation gratuite et au plus près des habitants. Mais l’épidémie, qui touche plus largement cette région du monde et importée des Comores voisines, était déjà là.

« Si cela n’a pas été fait auparavant, c’est par manque de volonté politique », a déclaré le membre d’une ONG qui a souhaité garder l’anonymat.

– Installations vandalisées –

Car pour la préfecture, qui représente l’Etat, comme pour les élus locaux, le sujet est particulièrement sensible, alors que le département souffre depuis des décennies d’une crise de l’eau qui s’est aggravée l’année dernière.

Faute d’infrastructures suffisantes pour couvrir les besoins, les habitants ont été privés d’eau deux jours sur trois, de fin août à mi-février. Actuellement, ils le restent un tiers du temps.

Dans ce contexte, auquel s’ajoute une immigration massive et clandestine en provenance des Comores, de nombreux habitants s’opposent, verbalement et physiquement, à l’implantation de points d’eau dans les bidonvilles.

Des « collectifs citoyens » ont régulièrement résisté à de telles installations, exprimant à la fois la crainte de gaspiller l’eau et encourageant l’immigration.

En effet, lorsque les autorités installent un point d’eau, celui-ci est souvent vandalisé. C’est le cas dans le quartier Cavani, à Mamoudzou, où sont regroupés de nombreux migrants africains et où le choléra a fait fin mai une deuxième victime, une femme d’une soixantaine d’années.

Inutilisable, un point d’eau n’a pas pu être réparé car “les agents ont été menacés et (les) manifestants ne les ont pas laissés faire”, a expliqué à l’AFP Anthony Bulteau, délégué de l’ONG Solidarités International.

Les groupes citoyens ont-ils changé d’avis face à la crise sanitaire ? Certains représentants affirment avoir évolué.

– Peur des contrôles –

L’opposition à l’installation de points d’eau “était une position légitime alors qu’il y avait 48 heures de coupures d’eau et que les conduites d’eau coulaient en continu : nous avons subi les coupures et nous avons dû payer une facture astronomique”, Yasmina Aouny, porte-parole des “Forces”. vives», explique à l’AFP.

Mais face à l’épidémie, son collectif “a exprimé son inquiétude et revoit son positionnement”, a-t-elle indiqué.

De même, les autorités affirment avoir pris la mesure du problème. Sollicitées par l’AFP, la préfecture et l’ARS ont expliqué conjointement qu’un « plan d’action » devrait conduire « à partir de juin » à l’installation de nouveaux points d’eau. Il prévoit également de réparer les installations endommagées.

Il n’en demeure pas moins qu’il est difficile de concilier ces enjeux de santé publique et la priorité affichée par le gouvernement de lutter contre l’immigration clandestine, qui a déjà donné lieu à une opération de « dédouanement » médiatique en avril.

Des ONG dénoncent des contrôles de police à proximité des points d’eau qui découragent les habitants de s’y rendre, ce que confirment des témoignages recueillis par l’AFP.

« La police en profite pour nous contrôler lorsque nous faisons la queue au terminal. Et je n’ai pas de papiers», confie Hadidja – un prénom d’emprunt –, une habitante de Kaweni, le plus grand bidonville de Mayotte. .

« Il arrive qu’on procède à des contrôles autour des fontaines », concède un agent de la police aux frontières (PAF) souhaitant garder l’anonymat.

Interrogé, le ministère de l’Intérieur a renvoyé l’AFP vers la préfecture. De même, le ministère de la Santé réoriente vers l’ARS locale.

Quels que soient les obstacles, le monde médical et scientifique considère qu’il est inacceptable de laisser perdurer un tel manque d’accès à l’eau. Ce n’est « pas défendable », selon une note rédigée début mai par Covars, héritier du Conseil scientifique de l’ère Covid. Transmis au ministère de la Santé, il l’a publié discrètement quelques semaines après sa rédaction.

Et le caractère injustifiable de la situation est également évoqué par de grandes personnalités de la santé publique, comme l’épidémiologiste Antoine Flahault.

“La France se laisse rattraper par le sous-développement d’un de ses territoires d’outre-mer, en l’absence de conflit, de catastrophe naturelle ou d’événement climatique extrême”, a-t-il fustigé auprès de l’AFP.

« Il s’agit d’un cas d’école qui devrait amener le gouvernement français à réfléchir sur ses devoirs en matière de respect des droits humains fondamentaux lorsqu’il décide de maintenir sa présence en dehors des limites métropolitaines », conclut M. Flahault.

 
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