40 ans après l’affaire Grégory, l’énigme reste entière en France

40 ans après l’affaire Grégory, l’énigme reste entière en France
40 ans après l’affaire Grégory, l’énigme reste entière en France

Un juge qui se suicide, un suspect assassiné, trois mises en examen annulées : 40 ans d’enquête chaotique ont laissé entier le mystère du meurtre de Grégory Villemin, retrouvé noyé le 16 octobre 1984 dans une rivière des Vosges.

“Un anéantissement total (…) Je me demande comment nous avons survécu”, confesse Jean-Marie Villemin, le père du bambin de quatre ans, dans “Grégory” (Les Arènes), une bande dessinée sortie très récemment, comme tant d’autres. d’ouvrages consacrés à cette affaire tentaculaire.

Jean-Marie and Christine Villemin

Photo JEAN-CLAUDE DELMAS / AFP

“17 765 pièces de procédure, 42 volumes, sept juges d’instruction”, résume pour l’AFP Philippe Astruc, procureur de la République de Dijon, où l’enquête est toujours menée.

Le 16 octobre 1984, le corps noyé du « petit Grégoire » est découvert ligoté dans la Vologne, une rivière des Vosges. “Voici ma revanche. Pauvre salaud”, clame une lettre anonyme adressée au père par un “corbeau” qui harcèle depuis plusieurs années la famille de Jean-Marie Villemin, 26 ans, et de son épouse Christine, 24 ans.

L’enquête se concentre sur le « clan » Villemin.

Sous la pression de journalistes cupides, dont l’un est allé jusqu’à cacher un micro dans la garde-robe d’un membre de la famille, Jean-Michel Lambert, un juge d’instruction de 32 ans d’Épinal à l’allure fringante. étudiant en droit, veut briller pour son premier poste.

Et il l’a fait rapidement : moins de trois semaines après la mort de Grégory, Bernard Laroche, un cousin du père, est mis en examen, terme utilisé à l’époque pour « mis en examen ».

Le coupable semble avoir été découvert. À tel point que le père de Grégory en fut convaincu et le tua en mars 1985, alors que son cousin avait été libéré quelques semaines plus tôt.

Peu avant cet assassinat, la belle-sœur de Bernard Laroche, Murielle Bolle, une adolescente de 15 ans un peu perdue, avait retiré ses déclarations accusant Laroche.

Les enquêteurs s’étaient déjà tournés vers la mère, Christine.

Inculpée le 5 juillet 1985, son procès est ordonné fin 1986.

Mais la cour d’appel de Dijon, à laquelle l’enquête fut transférée en 1987, après les erreurs de celle de Nancy, débouta le dossier en sa faveur en 1993.

“Sauvez l’enquête”

« Le système judiciaire était complètement lamentable. Le juge d’instruction a été incompétent”, résume Thierry Moser, avocat historique dans le dossier, qui défend les époux Villemin depuis 39 ans.

Le juge Jean-Michel Lambert ne peut pas répondre : il s’est suicidé le 11 juillet 2017.

Changer le revêtement de sol ne suffira pas à éviter les contretemps. En 2017, c’est au tour de Marcel et Jacqueline Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory, d’être mis en examen, tout comme Murielle Bolle. Moins d’un an plus tard, ces mises en examen ont été annulées pour vices de forme.

Aujourd’hui, l’enquête tente de rebondir. En mars dernier, de nouvelles expertises ont été commandées : sur l’ADN, mais aussi sur la « fréquence vocale », sorte d’« ADN vocal », des appels téléphoniques du corbeau.

Cette technique, encore très avant-gardiste, nécessitera d’abord une étude de faisabilité, et donc du temps, mais les tests ADN devraient donner des résultats « d’ici cinq à six mois », estime Me Moser. «Je suis raisonnablement optimiste», dit-il.

“Il y a neuf ADN, auxquels il faut ajouter des mélanges d’ADN, qui n’ont pas trouvé d’identification malgré 410 comparaisons avec des ADN connus”, explique le procureur général Philippe Astruc, se refusant à tout autre commentaire.

En tout cas, « imaginer qu’une expertise puisse couper d’un coup le nœud gordien est illusoire », dit-il. « C’est un élément supplémentaire à d’autres éléments », tempère le magistrat.

Il y a déjà eu cinq évaluations depuis 2000. Alors pourquoi d’autres ? « ADN n’a pas dit son dernier mot », répond Marie-Christine Chastant-Morand, autre avocate du couple Villemin. “La période est plutôt favorable” à l’investigation “car elle permet de bénéficier de l’évolution de la science”.

« Aujourd’hui, nous pouvons percer le mystère des pharaons. Alors pourquoi pas celui-ci ? renchérit son collègue François Saint-Pierre, pour qui il reste possible de “sauver une enquête qui part si mal”.

L’acharnement ?

« Oui, l’ADN peut parler 40, 50 ans après », estime le professeur Christian Doutremepuich, fondateur du laboratoire bordelais spécialisé dans les cas non résolus. « Les gens travaillaient déjà bien il y a 40 ans. Nous savions préserver l’ADN”, assure celui surnommé “le pape de l’ADN” et qui a travaillé sur l’affaire Grégory.

«Je suis un peu sceptique là-dessus», estime en revanche l’ancien colonel de gendarmerie Étienne Sesmat, premier directeur d’enquête sur l’affaire. “Car nous n’avons pas d’ADN lié à l’affaire (sang, sperme), mais seulement de l’ADN de contact, l’ADN qu’on laisse en manipulant des objets : je te serre la main, tu prends un couteau, tu tues quelqu’un, c’est peut-être mon ADN qui sera retrouvé sur le couteau», explique l’enquêteur.

Dans son nouveau livre « Les Deux Affaires Grégory » (Editions Presses de la Cité), l’ancien gendarme réaffirme qu’il est « établi » que Bernard Laroche, tué par Jean-Marie Villemin, a enlevé et tué Grégory.

En 1993, dans son arrêt innocentant Christine Villemin, la cour d’appel de Dijon estime qu’il existe des « accusations très graves » selon lesquelles c’est Bernard Laroche qui a enlevé Grégory.

C’est également l’avis des avocats du couple Villemin : « Nous pensons que Bernard Laroche a kidnappé l’enfant et que ses acolytes l’ont tué. »

Quarante ans après les événements, est-il encore possible de connaître la vérité ? “Je ne pense pas. Elle serait déjà partie», répond Alexandre Bouthier, avocat de Jacqueline Jacob, la grand-tante de Grégory, qui dénonce un «acharnement». « La seule expertise ADN a coûté en 2017 400 000 euros » à la justice, souligne-t-il.

« Il faut continuer », répond le procureur général. “Nous le devons à un petit garçon, à ses parents.” « Il y a encore des témoins qui sont de ce monde. Il existe encore des éléments scientifiques qui peuvent contribuer à l’affaire. Essayer de découvrir la vérité n’est jamais un combat », conclut-il.

 
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