Le MBAL raconte l’histoire féminine de Monte Verità

Le MBAL raconte l’histoire de Monte Verità pour les femmes

Publié aujourd’hui à 14h21

Bien sûr, vous connaissez Monte Verità ? Ma question est formulée sous forme d’injonction. Comme si la chose allait de soi… Pourtant, certains n’ont jamais entendu parler de cette « montagne magique », bien différente de celle décrite par Thomas Mann. Personne n’est venu ici pour cracher ses poumons avec distinction. Cette grande colline située au dessus d’Ascona (la même où les Allemands viennent aujourd’hui finir leur vie entre la clinique et l’UBS) a plutôt attiré les utopistes. Aux yeux de leur époque, ils étaient en bonne santé, mais ils pensaient mal. Monte Verità a vu naître toutes les premières colonies alternatives, du naturisme au féminisme et au véganisme. Elle a également accueilli de nombreux artistes d’avant-garde depuis l’arrivée en 1869 de l’homme politique Bakounine dans la ville voisine de Locarno. Pensez à Vassily Kandinsky ou à Olga Fröbe-Kapteyn. Ces diverses anarchies furent quelque peu balayées après l’achat des lieux par le riche baron Eduard von der Heydt en 1926. Mais ce dernier, qui légua cette propriété au canton du Tessin en 1964, resta lui-même un personnage hors du commun. . Le moins qu’on puisse dire…

Mais c’est moins à ses propriétaires masculins qu’à ses artistes féminines que la nouvelle exposition du MBAL (Musée des beaux-arts du Locle) est aujourd’hui consacrée. Certes, au rez-de-chaussée, un vaste tableau synoptique nous raconte de manière impeccable l’histoire de la colline et de ses hôtes jusqu’à ce que son histoire soit mise sur orbite par l’historien de l’art Harald Szeemann, qui portait lui-même la barbe hirsute d’un apôtre (1 ). Mais un deuxième mur, situé à droite de la billetterie, se concentre uniquement sur les femmes. Selon les commissaires, ils ont tout fait, ou presque. La danseuse américaine Isadora Duncan côtoie ici Ida Hoffmann et Lotte Hattemer, deux des fondatrices de la colonie, ou encore la peintre russe Marianne von Werefkin. Le lieu est toujours resté chez eux une internationale de dissidence. Federica Chiocchetti, responsable du MBAL, et Nicoletta Mongini, « directrice culturelle » de la Fondazione Monte Verità, ont ainsi posé le cadre.

Une des gravures contemporaines de Luca Mengoni.

Afin de compléter cette dernière, des artistes plasticiens ont été sollicités. Celles-ci, au nombre de vingt-six, devaient « résonner avec le génie des lieux et de ses figures féminines ». Tous les médias ont été admis. Il ne s’agissait pas de se conformer aux canons esthétiques des époques révolues. C’est donc aujourd’hui aux côtés de la peinture, de la gravure, de la photographie ou du textile, des installations, des vidéos et une touche d’intelligence artificielle. La chose est répartie sur trois étages par thème, avec à chaque fois des pièces anciennes et contemporaines. Le grand mélange sous le signe du corps (si possible nu) et de la nature. Le couple Jean Arp et Sophie Taeuber sont voisins de l’actuel Tessinois Luca Mengoni. Marianne von Werefkin, dont il y a là de très beaux tableaux, se retrouve face au Collectif Fattuchiere (Marta Margnetti & Giada Olivotto). Ingeborg Lüscher, qui fut la compagne de Harald Szeemann, se blottit tout près de Maria Guta et Lauren Huret, en résidence sur place courant 2023.

Une capture de la vidéo de Maria Guta et Lauren Huret.

Ce mélange donne lieu à une belle mise en scène. Depuis le passage à la direction de Nathalie Herschdorfer (aujourd’hui à la tête de Photo Elysée), les équipes de MBAL font du bon travail dans ce domaine. Tout semble luxueux, alors que l’institution travaille en réalité avec très peu de personnes utilisant des bouts de ficelle comme moyen de financement. J’ai vu des fonds bleu canard audacieux, avec des œuvres bien exposées par-dessus. Le MBAL se soucie également de son patrimoine historique, même s’il ne semble pas très riche. Des œuvres d’Ernest Guy, Marguerite Sandoz Jeanneret (noms très jurassiens) et Alexandre Girod sont sorties des réserves. Leurs rêveries font écho aux réalités que Monte Verità tentait de promouvoir dans les années 1910 et 1920. Il y a bien eu là une forme de cristallisation. Finalement, les commissaires ont voulu laisser les rênes sur le cou d’Una Szeemann. La fille de Harald et Ingeborg Lüscher, devenus des figures quelque peu mythiques, bénéficie ainsi d’une immense salle et d’une longue vidéo au rez-de-chaussée.

Les céramiques dorées de Fabrizio Dusi.

En fait, tout irait mieux sans les cartels, qui ramènent des tonnes de gens au politiquement correct. Plus qu’inclusif, le langage multiplie les « x » et les « iels ». Déjà sèche, la lecture ne cesse de buter sur des voyelles et des consonnes moins libertaires que dictatoriales. Ces formes compliquées me semblent plus proches des « Précieuses ridicules » de Molière que des véritables luttes féministes des années 1970 et au-delà. Mais je suis probablement un peu dépassé ici. Au risque de me répéter, je suis surtout surpris de voir de tels discours être tenus au Locle, qui reste un gros village de 10 400 habitants. La moitié moins que Nyon. Un peu moins que Gland, cette ville dortoir poussée en terres vaudoises. Je l’aurais imaginé davantage dans une métropole, où la culture est avant tout vue comme une libération pour les manifestants. Avec ou sans public.

« Elisarion » de Marco Useli, « Il chiaro mondo dei beati ».

(1) Harald Szeemann est ainsi l’auteur en 1978 de l’exposition « Monte Verità, Le Mammelle della verita » présentée sur place, puis ailleurs. Je me souviens en avoir vu une version au Kunsthaus de Zurich.

Pratique

« La Scia del Monte », Musée des Beaux-Arts ou MBAL. 6, rue Marie-Anne Calame, Le Locle, jusqu’au 15 septembre. Tel. 032 933 89 50, site internet https://mbal.ch Ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 17h

Le Monte Verità des origines. Vers 1910.

Né en 1948, Étienne Dumont étudié à Genève qui lui furent de peu d’utilité. Latin, grec, droit. Avocat raté, il se tourne vers le journalisme. Le plus souvent dans les sections culturelles, il travaille de mars 1974 à mai 2013 à la Tribune de Genève, commençant par parler de cinéma. Viennent ensuite les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le constater, rien à signaler.Plus d’informations

Avez-vous trouvé une erreur ? Merci de nous le signaler.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Ottawa annonce 463,3 millions sur trois ans pour les petits ports de pêche
NEXT Les murmures de lundi : les adieux prodigieux d’Eric Frechon au Bristol, Benjamin Collombat au Château de Courcelles, les Gautier et leur Auberge de la Give, les nouveaux Relais & Châteaux de Drisco à Tel Aviv et l’ascension de Tomer Tal, les débuts de Philippe Mille nouvelle façon