Livre –
Jonas Follonier dénonce «la diffusion du wokisme en Suisse»
Le jeune Valaisan nous offre ses bêtisiers avec toute l’agressivité qu’il peut avoir. Le livre ne plaira pas à tout le Monde.
Publié aujourd’hui à 17h55
Abonnez-vous maintenant et profitez de la fonction de lecture audio.
BotTalk
Ooh la la… Ça sent le soufre. La couverture du livre s’avère rouge comme l’enfer, même si elle reste pavée de bonnes intentions. Il y a d’abord le titre « La diffusion du wokisme en Suisse ». Une bombe. Jonas Follonier a également ajouté le sous-titre : « Censure, quotas, écriture inclusive, intimidation… » Tout un programme. L’auteur se limitera en réalité à la partie francophone du pays, comme il l’explique d’emblée au lecteur. Il y aurait tellement de choses à dire autrement… Pourtant, la documentation rassemblée ici a, à mon avis, peu de chance d’obtenir un article élogieux dans « Le Temps », qui sonne ici (1), ou une véritable diffusion sur TSR. (Télévision suisse romande), transformé en « punching-ball ». Notez qu’une bonne dézincification ne lui fait pas que du mal à mon avis. Cela rappelle l’existence de la chaîne aux moins de 60 ans, qui ne la regardent peut-être jamais.
Bref historique
Journaliste, éditorialiste et accessoirement chanteur, Le Valaisan commence par la quadrature du cercle. Il lui faut définir le wokisme, qui échappe à toute description rationnelle. Né peu après 1960 dans les universités américaines, où l’on fumait beaucoup de tapis, le mouvement avait initialement pour but de sensibiliser aux injustices sexuelles et raciales de ce monde. Les femmes, les noirs, les homosexuels, les transsexuels se considéraient comme des victimes d’oppression, surtout s’ils cumulaient plusieurs « handicaps » par l’intersectionnalité. Les agressions subies, même minimes, étaient systémiques dans la mesure où elles résultaient d’un sentiment de supériorité chez les hommes blancs hétérosexuels. Vous connaissez tous la chanson. Cependant, il a fallu plusieurs décennies avant qu’on l’entende d’abord aux États-Unis, puis ailleurs en Occident. Tout repose sur les thèses, devenues mantras, d’un certain nombre de penseurs et notamment de femmes penseuses. Pas besoin de penser à eux !
Avec ces rappels, Jonas Follonier pose les bases de son petit livre, tandis que le tout récent de Mona Chollet sur la culpabilité (dont je vous parlais récemment) m’a paru désespérément long. Cette fois on reste dans la dimension du pamphlet. Son auteur entend démontrer, preuves à l’appui, que le phénomène n’est pas resté en dehors de la Suisse, comme beaucoup voudraient encore le penser. Sa diffusion a transformé nos universités. Elle a corrompu la langue officielle et encerclé dans ses tentacules les milieux culturels, la culture étant essentiellement cantonnée à la Suisse d’État. Seule la population peut désormais réagir. A noter que cela s’est parfois avéré possible aux États-Unis. Fin 2023, les usines Disney, pleinement engagées dans le politiquement correct, ont annoncé faire marche arrière. Ils avaient perdu par refus public « 170 milliards de dollars depuis 2021, soit la moitié de leur valeur boursière ».
Nous n’en sommes pas encore là entre Genève et Bienne, où le phénomène reste exponentiel. Jonas Follonier va donc décharger sur nous son dossier omniprésent. La prédication par ce type d’exemple produit toujours son effet. Il y a quelques années, un politologue français avouait avoir utilisé « Le Monde Diplomatique » comme une plaisanterie. A noter que depuis 2018 l’Université de Neuchâtel utilise le féminin pluriel quels que soient les mots utilisés. Les administrateurs deviennent ainsi administrateurs, même s’ils sont des hommes. Ville périphérique, Neuchâtel doit faire un peu plus que les autres. Une réalisatrice valaisanne explique sans sourciller à TSR comment elle doit aujourd’hui réécrire Molière, “par nécessité de réinventer la manière d’assumer les rôles existants”. Enfin, à Genève, une affiche affirme sans rire que « le changement climatique impacte particulièrement les personnes LGBTIQ+ ?
Jonas Follonier parle de livres, de télévision, de musique (pensez à Nemo) ou de théâtre. Les beaux-arts manquent à son portrait choral. Et pourtant… Je ne cesse de voir des compétitions où la parité est de mise. Cela devient plus strict lorsqu’il y a plus de filles que de garçons. Les expositions des femmes augmentent, pour le meilleur et pour le pire. Le nouveau directeur américain du Kunstmuseum de Bâle est particulièrement fier de «Quand on nous voit», qui a fait un carton dans la presse romande. Uniquement des artistes noirs, la couleur restant le seul point commun entre des personnes sorties d’une grande école londonienne ou restées isolées et sans moyens au Niger ! Je crois avoir été le seul à émettre des réserves sur ce panorama raciste au sens originel du terme. L’art s’est ici retrouvé l’otage d’une juste cause au départ, mais un peu malavisé par la suite.
« Marguerite Dellencah a fait preuve de préjugés coloniaux et eurocentriques. »
Le collectif réclame que sa rue de Genève soit renommée
Tout cela n’est pas très sérieux. Là où les choses tournent mal, c’est quand il y a la censure. Et Jonas rappelle l’affaire Claude Inga Barbey, lâchée par « Le Temps » après les ukases lancés par les « wokistes » contre une de ses chroniques prétendument transphobes. Claude Inga s’est fait remarquer dans un quotidien qui se veut respectueux de chacun. Je ne connais rien de plus doux que « Le Temps », à part le savon dans ma salle de bain. Il y a eu aussi les douloureuses affaires de conférences empêchées par des militants de l’Université de Genève, dont celle de la controversée Caroline Eliacheff. Ces intimidations avaient pris un caractère violent, irrespectueux de la liberté d’opinion et de réunion, ce qui n’a pas empêché la direction de signer la paix avec les fauteurs de troubles. Visiblement, le rectorat lui a baissé sa culotte, et elle ne devait pas sentir bon. Toujours à Genève, comme par hasard, je me suis souvenu aussi de l’affaire Marguerite Dellenbach. A peine propriétaire d’une rue qui s’appelait autrefois Bergalonne, l’ancien directeur du Musée d’Ethnographie a failli se la faire enlever. Pour quelle raison ? Dans les années 1950, elle exprimait des « préjugés coloniaux et eurocentriques ». La police réveillée avait le devoir de dénoncer cet état de fait.
Jonas Follonier, 28 ans, termine son ouvrage préfacé par Olivier Massin par une conclusion faisant appel au bon sens suisse. Il serait permis d’être plus pessimiste. Je ne pense pas à la victoire de ce mouvement qui divise en prétendant réconcilier. Je pense plutôt aux victimes collatérales. Aux États-Unis, à l’exception des Noirs, le wokisme est dirigé par des gens qui n’ont à craindre aucune réaction négative. Ils sont généralement, admirablement contradictoires, blancs, aisés (2) et hétérosexuels. Ces personnes agissent au nom de minorités parfois fragiles. Ils les surexposent, quitte à les mettre en danger. En parlant de « trans », ils créent un rejet au lieu d’une nécessaire intégration. L’abondance des mots rendait la situation insupportable. La centième affiche contre le harcèlement de rue fait sensation. Son concepteur pense malheureusement plus à sa belle âme qu’aux conséquences possibles. Selon moi, Follonier aurait dû en parler.
Je terminerai sur une note légère. Le wokisme ne concerne pas de loin l’ensemble de la population, même si les jeunes, convertis par leurs professeurs, y sont assez sensibles. Alors l’autre jour, j’ai dû expliquer le sens de tous les mots à la mode à une amie qui était mère et grand-mère, qui était un peu déphasée. La leçon de choses n’a pas été facile. Je me suis gentiment répété. À la fin, elle m’a dit : « Alors, si je comprends bien, je suis cisgenre ? J’ai adoré.
(1) « Le Temps » lui a tout de même donné un « Avis », dont il s’est bien entendu distancié.
(2) Le mot « aisé » reste ici le moins important. Pour de nombreux observateurs, le wokisme avait l’avantage pour les Américains de mettre l’accent sur le sexe ou la race et non sur d’énormes disparités économiques. Au revoir, Karl Marx !
Pratique
« La diffusion du wokisme en Suisse » de Jonas Follonier, Editions Slatkine, 115 pages.
« La semaine d’Etienne Dumont »
Chaque vendredi, retrouvez l’actualité culturelle croquée par le célèbre journaliste.
Autres bulletins d’information
Se connecter
Né en 1948, Etienne Dumont étudié à Genève qui lui furent de peu d’utilité. Latin, grec, droit. Avocat raté, il se tourne vers le journalisme. Le plus souvent dans les sections culturelles, il travaille de mars 1974 à mai 2013 à la Tribune de Genève, commençant par parler de cinéma. Viennent ensuite les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le constater, rien à signaler.Plus d’informations
Avez-vous trouvé une erreur ? Merci de nous le signaler.