Olivier de Kersauson se confie à l’occasion de la sortie de son nouveau livre

Olivier de Kersauson se confie à l’occasion de la sortie de son nouveau livre
Olivier de Kersauson se confie à l’occasion de la sortie de son nouveau livre

Je ne me souviens pas des jours de tristesse à Brest. C’est presque une île. La mer entre dans le détroit, dans le port, elle est partout. Au cas où on l’oublierait, le vent marin vient vous chercher du fond des rues de la ville. Les Brestois sont très agréables. Il y a quelque chose en eux, une réserve. Le contact avec eux peut être très amical, chaleureux, mais toujours très convenable. Les gens ne vous tapent pas dans le dos et ne vous disent pas « ça va Bébert ? « . J’aime cette retenue bretonne qui est une forme de politesse.

A quel âge as-tu commencé à monter sur un bateau ?

Ce devait être entre 1948 et 1950, à Locquirec (29), sur un bateau appelé Gwalarn. J’avais 4-5 ans. Nous allons pêcher jusqu’à Locquémeau (22). Comme je suis petite, j’ai une odeur de poisson coupé sur le banc pour amorcer la ligne près de mon nez. Je garde un souvenir éblouissant de ce premier voyage à la mer. Près de soixante ans plus tard, j’emmène Géronimo au port de Locquirec. Je voulais boucler la boucle avec ma première navigation.

Vous étiez pensionnaire à l’école, de 13 à 19 ans. Autant dire que vous avez eu le temps de rêver à la mer !

Quand j’ai dû quitter le bord de mer pour retourner dans mon internat – j’en ai fait onze ! – ce fut, à chaque fois, un déchirement. Je lis pour m’évader. Dès que j’ai pu larguer les amarres, j’ai beaucoup moins lu. Mon rapport à la mer n’est pas intellectuel.

Entre votre première sortie, enfant, à Locquirec, et votre service militaire dans la marine, sur la goélette Pen Duick III, vingt ans plus tard, comment s’est formé le jeune Kersauson ?

J’étais marin éclaireur. Dès l’âge de 15 ans, j’ai commencé à travailler sur des bateaux : je les peignais, les entretenais.

Que signifie « avoir le sens de la mer » ? Est-ce inné ?

Quand vous aimez quelque chose, vous êtes bon dans ce domaine.

Vous parlez de votre misanthropie dans votre livre. Et surtout le rêve que vous faites parfois : vous vous réveillez seul sur Terre. Souhaitez-vous vous soutenir ?

Assez ! J’aimerais que lorsque j’ouvre mes fenêtres le matin, il n’y ait pas un être humain dans un rayon d’au moins 200 kilomètres.

« C’est vraiment bien d’être seul », dites-vous : « vivre ensemble », ce n’est pas vraiment votre truc, n’est-ce pas ?

Les gens n’ont jamais été pour moi un besoin mais souvent un plaisir. Je suis disponible uniquement pour ce que je souhaite faire.

Les années passées auprès de Tabarly ont été magiques. Il avait quatorze ans de plus que moi. J’étais son marin puis son commandant en second. En le regardant décider, j’ai appris à décider.

On comprend en vous lisant que vous préfériez les courses en solo. Mais avec qui avez-vous aimé naviguer ?

Les années passées auprès de Tabarly ont été magiques. Il avait quatorze ans de plus que moi. J’étais son marin puis son commandant en second. En le regardant décider, j’ai appris à décider. Lorsqu’il était critiqué, il s’en fichait. Comme lui, je pensais que n’étant pas gestionnaires du cerveau des autres, nous n’étions pas responsables de leur pensée. C’était leur problème, pas le nôtre. Eric était un homme serré.

C’est de toute façon ainsi que vous vous présentez. Quand deux hommes aussi soudés vivent ensemble sur le même bateau, la relation doit être sèche, non ?

Nous nous parlions très peu. Seule l’action nous intéressait. De temps en temps, je le faisais rire. Il était comme les Américains : tu enlèves ton chapeau, il rit, tu le remets, il rit aussi !

La Bretagne est difficile à naviguer. C’est l’endroit au monde où il y a le plus de pierres, de bornes et de phares au mètre carré. Sans compter les courants. Celui qui s’y est beaucoup formé est capable de naviguer un peu partout dans le monde.

Il y a de très beaux passages dans votre livre sur vos équipages et la façon dont vous avez choisi vos hommes. En quoi aviez-vous confiance ?

Il suffit de regarder un gars traverser le pont pour savoir ce qu’il vaut.

Considérez-vous la Bretagne comme le meilleur endroit au monde pour apprendre à naviguer ?

Les six skippers engagés sur l’Arkéa Ultim Challenge 2024 étaient bretons et leurs bateaux étaient construits en Bretagne. Avez-vous besoin d’un autre argument ? Cela s’explique : la Bretagne, surtout au nord, est difficile à naviguer. C’est l’endroit au monde où il y a le plus de pierres, de bornes et de phares au mètre carré. Sans compter les courants. Celui qui s’y est beaucoup formé est capable de naviguer un peu partout dans le monde.

Vous pourriez avoir l’impression que le monde de la course automobile ne vous intéresse plus. Pourtant, dans votre livre, vous ne tarissez pas d’éloges sur ce concours remporté par Charles Caudrelier…

J’ai fait de nombreux voyages autour du monde en multicoque. Voir ces gars partir en solo sur des bateaux de cette taille, qui voyagent à 27 nœuds de moyenne, pendant plus de quarante jours, ça m’a émerveillé. Cela me rend très heureux de voir qu’il y a une génération qui continue ce que nous essayons de faire depuis cinquante ans.

Parmi les six skippers, y en a-t-il un qui vous a plus impressionné que les autres ?

Pour mener ces bateaux, à cette vitesse, sur ce parcours, il faut être un grand champion. J’admire. Thomas Coville était marin avec moi. Il a fait son premier tour du monde à mes côtés. Son sponsor, Sodebo, est une entreprise familiale vendéenne qui a axé sa communication sur la voile, avec tous les risques que cela comporte. On ne parle pas assez de cet engagement.

Avez-vous déjà eu envie d’aller voir ce qui se passe sous l’eau, d’explorer les abysses avec un sous-marin océanographique ?

J’ai plongé avec Perle, le sous-marin nucléaire d’attaque. J’étais dans la mer comme je ne l’avais jamais été auparavant. Je suis claustrophobe mais pas là. Quand vous écoutez, vous voyez le chalutier devant, le cargo derrière ralentir, plus que si vous étiez en surface. C’est extraordinaire.

L’audition, est-ce le véritable secret du marin ?

Les vieillards me racontaient qu’ils pouvaient se repérer dans la brume grâce au bruit des vagues sur les pierres lorsqu’ils traversaient ce qu’on appelle « la chaussée de Sein », entre l’île de Sein et le phare d’Ar-Men. . C’est de la géographie sonore. Savoir ancestral.

Vous avez commencé à naviguer en 1967-1968. N’aviez-vous pas soixante-huit ans ?

J’avais 24 ans en 1968. Ayant un peu de culture, j’ai appris que ceux qui lançaient les révolutions devenaient souvent les premières victimes. Cela ne m’intéressait pas vraiment. Le propre de l’homme est de s’adapter. Mais sans y parvenir, les révolutionnaires veulent changer le monde. C’est leur problème.

Est-ce au contact des Polynésiens que vous êtes devenu un peu plus écolo ?

Il y a soixante ans, personne n’était vert. Dans les ports, les gars qui changeaient l’huile jetaient l’huile à la mer. Quand j’étais enfant, on ne pouvait pas nager dans le nord de la Bretagne sans toucher au goudron. Tout ce qui avait coulé dans la Manche pendant la guerre avait laissé tomber des tas de détritus. L’écologie est passée de l’observation aux déclarations, au comportement et, parfois, à la religion. Dans tout cela, il faut faire le tri.

Les risques sont censés être pris. N’est-il pas plus dangereux de ne pas risquer sa vie ? La peur s’avère presque toujours être une mauvaise conseillère.

L’aversion pour le risque de notre époque vous horrifie. Sommes-nous entrés dans ce que le philosophe Pascal Bruckner appelle « la civilisation de la pantoufle » ?

Les risques sont censés être pris. N’est-il pas plus dangereux de ne pas risquer sa vie ? La peur s’avère presque toujours être une mauvaise conseillère. Un de mes parrains, Henri Lachmann, m’a demandé un jour : « Olivier, quels sont les risques ? « . J’ai répondu : “Henri, il n’y a que des risques”. Il a donc eu cette phrase : « C’est bien ! Nous devons y aller. Magellan ne s’est pas soucié de ce genre de considération ! Le plus grand de tous les marins, c’est lui ! Son expédition est le premier geste de mondialisation.

Qu’est-ce que la mer ne vous a pas appris ?

J’étais heureux, on ne peut pas savoir à quel point je suis heureux. J’ai adoré mon travail. Je ne me suis jamais ennuyé. J’ai perdu un bateau, cassé des mâts. A la fin de mon livre, je publie mon rapport de navigation. Je naviguais en moyenne huit mois par an !

Au début de cet entretien, vous avez évoqué les tombes de vos grands-parents et de vos parents. Y allez-vous parfois pour méditer ?

Je vais voir mes morts, oui. Je prends le temps de rester un moment avec eux. Cela me permet de réfléchir.

Nous ne pouvons pas imaginer qu’un marin comme vous veuille être enterré après sa mort…

Je m’en fiche! Ils peuvent aller au Canigou avec moi s’ils le souhaitent. Le seul but de la tombe est de maintenir un lien.

Pratique

 
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