l’essentiel
A Carla-Bayle, Mirepoix et Mazères, face à la crise sanitaire et à la concurrence du e-commerce, certaines librairies indépendantes se réinventent pour devenir de véritables lieux de vie. En plus de proposer des livres, ils organisent des jeux, des cafés et bientôt, pour certains, des dégustations de vins. Rapport.
Fragilisées par la crise sanitaire et les sites de e-commerce qui permettent d’accéder aux livres à toute heure du jour et de la nuit, les librairies diversifient de plus en plus leurs activités, devenant de véritables lieux de rencontres où l’on échange, danse et joue…
Dans leur librairie Mazette, à Mazères, Anna et Lucie, la trentaine, ont souhaité créer, en plus du coin lecture, un espace de jeu où enfants, adolescents et adultes se retrouvent pour un moment ludique. « Au départ, notre projet était de créer un salon de thé, mais on s’est rendu compte que c’était beaucoup moins excitant », raconte Lucie en riant.
Comme beaucoup de Français au moment du premier confinement en 2020, les deux amis se sont longuement interrogés sur leur avenir professionnel. Anna, alors directrice générale des services (DGS) à la mairie, et Lucie, actuellement en formation en tourisme équestre, ont donc choisi de tout quitter – pour l’une Luchon, dans les Pyrénées, et pour l’autre Gironde – pour s’installer la ville de Mazères, attirée notamment par l’ambiance du festival Manouch’muzik, rendez-vous incontournable de l’été. « Il nous tenait à cœur de créer un lieu qui ne fasse pas peur et qui soit accessible à tous en milieu rural », confie Lucie, et ajoute : « Il y a encore cette impression que la librairie est un lieu élitiste.
Leur concept a séduit toutes les générations depuis l’ouverture de la librairie en 2022. D’autant qu’ils organisent régulièrement des clubs de lecture, des séances de jeux pour les enfants et des soirées jeux de société. La librairie se transforme alors en un véritable lieu de vie, où l’on partage bien plus qu’un simple moment de lecture : des relations se créent, des passions se partagent et les solitudes s’effacent. « Ces moments où les clients parlent comme un boulanger nous rappellent pourquoi nous avons choisi ce métier : pour que chacun se sente chez soi.
“C’est un problème financier”
Si les librairies se réinventent, c’est aussi pour tenter de joindre les deux bouts. Car pour les deux amis, il est difficile en ce moment de gagner un salaire. « Les ventes sont en baisse cette année, impactées par la crise et la hausse des prix », observe Lucie avec une pointe d’amertume, sans compter que les deux gérants apprennent encore à gérer leur stock.
Non loin de Mazères, dans la cité médiévale de Mirepoix, Fabienne, 57 ans, exprime elle aussi sans détour ses difficultés financières : “C’est pénible, avec ce métier, on ne peut pas avoir un salaire décent.” Pour cet ancien professeur de lettres, la plupart du temps, les retraités qui souhaitent se verser un supplément deviennent libraires. Elle fait ce métier avant tout par passion et travaille à temps partiel dans un centre médical de la Bastide-de-Sérou.
Comme il est d’usage en Bretagne d’aménager un coin café dès l’ouverture d’une librairie, Fabienne a adopté ce modèle il y a trois ans avec “L’Alibi” dans la cité médiévale. Entre ses livres d’occasion, elle sert du café à un euro. Un prétexte, dit-elle, pour que les clients prennent le temps de lire, de se faufiler dans les rayons avec leur tasse ou leur boisson à la main ; un peu comme à la maison finalement. « Certains viennent simplement prendre un café parmi les livres », observe-t-elle.
Le libraire organise également des soirées lecture ou, plus rarement, des concerts. « Un client a été surpris de trouver les livres moins chers chez moi que sur un site de vente en ligne. En fait, elle avait oublié qu’il y avait des frais de port. Nous sommes dans une société consumériste où les gens veulent tout tout de suite », regrette-t-elle, car quoi qu’on dise, on ne pourra jamais remplacer les précieux conseils des professionnels. « Depuis trois ans, des habitués viennent me voir directement au lieu d’aller sur Amazon, car je connais leurs goûts et ils savent que lorsque je n’ai pas le livre que je cherche, je peux passer par d’autres libraires. “
Café, glaces et bouteilles de vin parmi les livres
S’il y en a un pour qui sa petite librairie reflète son parcours spirituel au fil des années, c’est bien Arthur, 37 ans, poussant encore plus loin l’originalité avec « Verticale » ouverte il y a un an et demi chez Carla-Bayle. Parmi les quelques jouets pour enfants, les bijoux fabriqués par sa compagne et les nouveaux livres axés sur la spiritualité, la poésie, les récits de voyages, figurent des bouteilles de vin naturel provenant de vignerons locaux.
Quelques bouteilles au début qui ont fini par prendre toute la place au fond de la boutique. Cette ambiance à la fois unique et conviviale ne manque pas d’attirer l’attention des passants, à l’image de cette pancarte colorée à l’entrée de sa librairie indiquant qu’on peut aussi trouver des bières artisanales, du café, du thé, et même pour ceux qui ont une douceur dent, glace.
« Au tout début, j’avais des instruments de musique et des pétards », rigole-t-il. La caverne d’Ali Baba s’est agrandie au fil du temps. Le trentenaire vient d’obtenir sa licence 3 lui permettant de proposer un nouveau concept, celui de bar à vin. L’occasion rêvée pour les clients, promet le gérant, de jouer, lire, déguster du vin local, le tout devant un coucher de soleil à couper le souffle.
Malgré les défis, ces librairies indépendantes prouvent qu’avec une touche de créativité et de passion, elles peuvent redéfinir leur rôle et assurer leur pérennité. Arthur n’hésite pas à se réinventer, comme d’autres libraires, pour « suivre » et faire en sorte que leur magasin soit au moins le plus rentable possible. Sur les marchés, les bouteilles représentent 50 % de ses ventes. Fort de cette licence, il prévoit désormais des soirées dégustation au milieu des livres. Une belle promesse d’un voyage hors du temps.
Une librairie qui fait également office de restaurant et de salle de spectacle
Sur la commune de Verniolle, la librairie Le Relais de Poche fait également vivre la culture en milieu rural en organisant des concerts, des expositions, des apéritifs slam, des cafés philosophiques et même en proposant de la restauration.
Dominique Mourlane, passionnée de lecture et des arts du spectacle, mais aussi restauratrice de métier, a créé ce lieu en 2017, en s’inspirant d’établissements similaires comme la librairie-tartinerie de Sarrant dans le Gers et le Café Plum de Lautrec. Le Relais de Poche se démarque par sa programmation de chanson française, avec des artistes de renom comme Bernard Joyet, Govrache ou encore David Lafore. Le libraire, soutenu par son épouse et des membres d’associations locales, a trouvé la combinaison parfaite pour rendre accessible la culture en Ariège.
Le lieu propose également des ateliers de chant, de théâtre et d’écriture pour les écoles.