Dans une puissante série de baladodiffusions, la journaliste de Cogeco Bénédicte Lebel donne la parole aux survivantes d’une tentative de féminicide. Des témoignages puissants qui permettent de mieux comprendre le cycle des violences dans un contexte conjugal.
J’ai passé une partie du week-end dernier avec Sabrina, Gabrielle et Anita. Ces femmes ont toutes survécu à une tentative de féminicide. Avec mes écouteurs vissés, j’ai parcouru les rues de mon quartier en écoutant le podcast dans lequel ils racontent la fois où ils ont failli mourir aux mains de leur partenaire. Des histoires qui donnent des frissons dans le dos.
Vous avez peut-être vu la journaliste Bénédicte Lebel au Tout le monde en parledimanche dernier. Elle était là avec Sabrina Bélair-Dubois, une des personnes courageuses qui ont accepté de raconter leur histoire.
Confession : Je suis une grande fan du travail de Bénédicte Lebel, que l’on peut entendre en matinée à l’émission de mon collègue Patrick Lagacé au 98,5 à Montréal. J’aime la façon dont elle couvre les affaires juridiques, et l’actualité en général, avec ce grain d’émotion dans la voix. Elle nous raconte des choses terribles avec empathie, sans jamais tomber dans le sensationnalisme ou le mélodrame.
C’est cette empathie qui l’a motivée à créer la série de podcasts. « Chaque fois que je couvrais un féminicide, je me disais qu’il me manquait quelque chose », explique-t-elle. On va voir des amis, des voisins, des experts, mais il y a une partie qui reste sans réponse. Il nous manque l’essentiel de ce qui s’est passé, la version féminine. »
Les féminicides en hausse
Selon les Nations Unies, 85 000 femmes ont été tuées par un homme en 2023. Assassinées PARCE QUE c’étaient des femmes. Cela représente une victime toutes les 10 minutes. Au Québec, 2024 n’est pas encore terminée et on compte déjà 24 féminicides. C’est 6 de plus que l’année dernière.
J’ai rencontré Bénédicte lundi, Journée internationale contre les violences faites aux femmes, en compagnie de Maryse Filion, une survivante qui témoigne dans le quatrième épisode de la série. En 2014, l’épouse de Mmoi Filion l’a poignardée cinq fois. C’est un miracle qu’elle soit encore en vie aujourd’hui quand on sait que le couteau a atteint le péricarde, la membrane qui entoure le cœur…
Avant le moment fatal qui a failli coûter la vie à Maryse Filion, une série de comportements s’étaient installés, raconte cette quinquagénaire au sourire éclatant. Inscrite à un cours d’hôtesse de l’air, elle mange avec un pilote un midi. Lorsque son partenaire le découvre, son comportement devient oppressant. « Il m’a dit : ‘Je t’accompagne, je ferai le transport, tu seras moins fatigué.’ Je préparerai ton déjeuner, tu viendras le manger dans la voiture avec moi », même si c’était l’hiver à l’époque. Je l’ai vu comme un geste d’amour, mais c’était un geste de contrôle qui m’a enlevé le pouvoir sur ma vie. »
C’est ce qu’on appelle le contrôle coercitif, ou le harcèlement et le harcèlement constants. Des comportements qui pourraient bientôt être punis par la loi si le projet de loi C-332 modifiant le Code criminel (contrôle coercitif d’un partenaire intime) est adopté au Parlement.
Bénédicte Lebel est convaincue que les témoignages de ces quatre femmes permettent de mieux comprendre les étapes qui mènent aux féminicides. Mais comprendre, c’est aussi prévenir.
Pas un geste improvisé
Le podcast permet également de déconstruire le mythe de la perte de contrôle de l’agresseur, de l’acte impulsif commis par colère. “Ce n’est pas une dispute et puis d’un coup ça dégénère, l’homme voit rouge et il poignarde sa compagne”, explique Bénédicte. Il y a des choses qui s’installent petit à petit. Dans le cas de Gabrielle, son agresseur a conduit pendant deux heures. Dans le cas de Sabrina, il avait prévu de faire garder les enfants. Dans le cas d’Anita, il a fait quelques recherches sur Internet. »
La journaliste rappelle que les féminicides se déroulent presque toujours dans un contexte de séparation, de séparation imminente ou de remise en question de la relation.
Maryse Filion considère que c’est désormais sa mission de sensibiliser les gens à la violence conjugale. «Je veux que mon histoire soit utile. »
En 10 ans, elle constate que les choses ont évolué. A commencer par le vocabulaire. « On ne parle plus de drame passionnel ou familial, mais de fémicide », souligne-t-elle.
« Et lorsque l’agresseur rate son tir, on précise qu’il s’agit d’une tentative de fémicide. C’est important de nommer les choses», ajoute Bénédicte Lebel.
Une autre chose déchirante que l’on comprend intimement en écoutant ces femmes nous raconter la tragédie qui a bouleversé leur vie, c’est que rien ne sera jamais fini. Nous ne pouvons pas laisser derrière nous une tentative de fémicide. « On apprend à vivre avec, ça fait partie de nous », me confirme Maryse, qui aimerait qu’on soit aussi attentif aux proches de la victime qui vivent eux aussi les répercussions de ce drame.
La vie de toutes ces personnes sera à jamais menacée par les violences qu’elles ont subies. Et par la crainte que l’agresseur ne refait surface.
Les deux premiers épisodes du podcast La nuit où j’ai failli mourir sont disponibles sur le site Internet du 98.5, dans l’espace Paul Arcand. Les trois autres épisodes sortiront tous les lundis jusqu’au 16 décembre.
Les 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes se poursuivent jusqu’au 6 décembre, jour de commémoration du 35e anniversaire du massacre de Polytechnique.
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