l’essentiel
La librairie auscitaine Les Petits Papiers accueille ce mardi 5 novembre la journaliste Amélie Poinssot. L’auteure vient présenter son dernier livre, “Qui va nous nourrir ?”, dans lequel elle évoque l’avenir de l’agriculture et les nouveaux profils qui intègrent le milieu agricole. .
Le déclin est continu depuis 50 ans : en 1970, la France comptait plus de 1,5 million d’exploitations agricoles. En 2020, ce chiffre s’élève à près de 390 000 et pourrait n’être que de 275 000 en 2035 (selon les données et prévisions de l’Insee, si les départs à la retraite ne sont pas remplacés). Un déclin démographique du monde agricole qui s’accompagne souvent d’un sentiment d’isolement par rapport au reste de la société, comme le souligne Amélie Poinssot dans son livre d’investigation « Qui va nous nourrir ? Au cœur de l’urgence écologique, la relance paysanne», diffusé le 7 février par Actes Sud. Le journaliste de Médiapart, spécialisé dans les questions agricoles, montre l’espoir que l’installation de personnes, souvent étrangères au monde agricole, représente pour l’avenir de la profession. Avant de venir à la librairie Les Petits Papiers d’Auch, ce mardi 5 novembre à 19 heures, l’auteur présente ces nouveaux agriculteurs « qui frappent à la porte ».
Lors de votre enquête, avez-vous pu identifier des profils précis pour ces personnes non issues du monde agricole (Nima) ?
Il n’y a pas encore eu d’étude sociologique réalisée sur ces différentes populations, mais je suis allé sur le terrain, en Aveyron et en Normandie par exemple, et j’ai également suivi un Brevet Professionnel de Chef d’Entreprise Agricole (BP REA). J’ai pu identifier trois catégories principales. Tout d’abord, des gens qui savent, dès le lycée ou l’orientation, qu’ils souhaitent se lancer dans le monde agricole. Même s’ils ne sont pas issus de ce milieu, ils ont souvent été en contact avec celui-ci. Ensuite, il y a une autre catégorie de personnes, qui bifurque après 10 ou 15 ans de travail : c’est une catégorie assez politisée qui est frappée par la crise écologique et climatique et qui se retrouve dans des métiers où elle perd son sens. Enfin, il y a des gens qui bifurquent plus tard, vers la quarantaine. Dans les témoignages recueillis, nombre de ces reconversions sont liées au Covid. Ce sont des personnes qui ont acquis un confort financier et fondé une famille et qui arrivent à une étape de leur vie où il y a une recherche de sens et une base économique qui leur permet de suivre un nouveau chemin. Mais attention, les Nima ne sont pas un mouvement de personnes issues de classes sociales privilégiées.
Vers quels secteurs se tournent-ils ?
Les principaux secteurs qui attirent, et il y a aussi un peu un effet de mode, sont le maraîchage, le métier de paysan boulanger ou encore les plantes aromatiques. Mais l’élevage attire aussi, malgré des bovins qui ont un gros problème de succession. Chez les ovins et caprins, le taux de remplacement est de 100 %. Enfin, les chèvres attirent souvent beaucoup plus de femmes que les autres filières d’élevage.
Comment ces Nima sont-elles accueillies dans le monde agricole ?
Localement, ils sont bien accueillis. Les agriculteurs des générations plus établies sont très heureux de voir arriver la prochaine génération, surtout lorsqu’ils travaillent. Et elle travaille dur, surtout les trois premières années. C’est un boulot de fou que de pouvoir se lancer dans l’agriculture. En général, il existe une entraide. Mais pour y arriver, la personne qui s’installe a déjà franchi pas mal d’étapes.
Dans votre livre, vous décrivez les difficultés rencontrées par les Nima pour s’installer.
Toutes les étapes qui dépendent des organisations agricoles et para-agricoles ne sont pas assez accueillantes pour ces personnes. Quand on est Nima, on part avec un handicap initial : il est bien plus difficile de convaincre les gens de la solidité et de l’intérêt de son projet que les gens de terrain. Surtout quand on est dans un modèle un peu alternatif : les Nima se tournent souvent vers le bio, vers la production de valeur ajoutée, vers des choses vertueuses et non vers le modèle productiviste. Ce n’est que très récemment que la FNSEA a pris conscience de l’importance de cette population. Traditionnellement, pour la formation, les organismes qui les soutiennent sont des associations, comme l’Adear, souvent affiliées à la Confédération paysanne. Pour l’accès au foncier, sans parler des prix, quand il y a deux dossiers concurrents devant un Safer pour l’attribution des terres agricoles, encore trop souvent, c’est le dossier de l’agriculteur déjà en place qui sera privilégié plutôt que celui d’un nouveau personne qui n’est pas originaire de la région ou de l’environnement.
Ces opérations sont plutôt récentes mais peut-on déjà avoir une perspective sur leur pérennité ?
Le livre suit la progression : l’envie de s’installer, la recherche d’une ferme… A la fin du livre, je pars rendre visite à des éleveurs de chèvres et de moutons du Larzac en Aveyron installés depuis plusieurs années. Ils se portent très bien économiquement : ils ajoutent de la valeur, ils ajoutent de la valeur à tous les produits animaux et ils gardent la maîtrise du circuit de commercialisation. C’est ce modèle qui attire le plus les Nima et ce sont des exploitations viables. Le modèle productiviste qui s’appuie sur la grande distribution n’est pas forcément souhaitable, surtout quand on voit des événements comme Lactalis qui suspend ses tournées et laisse les laitiers sans solution. Il n’y a pas de contrôle des prix lorsque l’on dépend d’un circuit long. Après, ce sont des fermes récentes, il faudrait refaire le livre dans 10 ans.
Quels retours avez-vous reçus du terrain ?
Je n’ai pas eu beaucoup de retours de la part des syndicats. Mais partout où je vais présenter le livre, déjà dans une trentaine de territoires agricoles, j’ai un très bon accueil et de bons retours des personnes que j’ai fait témoigner. Ce sont des vies que je raconte, mais aussi des engagements très forts, qui impactent la vie personnelle mais aussi celle de mon entourage. Ce n’est pas forcément évident de retranscrire tout cela.