Une énième crise politique en en quatre questions

Mécontents des changements apportés au système de sécurité sociale, les partis de gauche et d’extrême droite en ont annoncé qu’ils soutiendraient un vote de censure qui se tiendra mercredi à 13 heures (heure de l’Est) et qui pourrait faire tomber le gouvernement. Des explications en quatre étapes.

1- Que se passe-t-il en France ?

Pour comprendre l’incertitude politique qui prédomine en France, il faut revenir aux élections législatives de l’été dernier, où aucun bloc politique n’a obtenu la majorité absolue. Même si le Nouveau Front populaire est arrivé en tête, cette coalition de gauche (La France insoumise, le Parti socialiste, le Parti communiste et les écologistes) n’a pas été invitée à former le gouvernement. Le président Emmanuel Macron a notamment jugé que le parti La France Insoumise était radical et ne pouvait pas entrer au gouvernement.

Le Rassemblement national (RN), groupe d’extrême droite dont la figure de proue est Marine Le Pen, est le parti qui a remporté le plus de sièges aux élections de juillet, mais pas suffisamment pour obtenir la majorité. Le président Emmanuel Macron, après plusieurs semaines de négociations, a fini par nommer Michel Barnier (Les Républicains) à la tête d’un gouvernement de droite.

Les Français sont politiquement divisés.

Photo: AFP / EMMANUEL DUNAND

Ce gouvernement s’est rapidement retrouvé sur la sellette, puisqu’il lui manquait une soixantaine de sièges pour faire adopter ses projets.

La gauche et l’extrême droite avaient promis dès le début de faire tomber rapidement le gouvernement, et elles pourraient tenir leur promesse mercredi. En début de semaine, le Premier ministre Barnier avait en effet tenu pour responsable son gouvernement d’avoir adopté le budget de la Sécurité sociale sans vote, comme le prévoit la Constitution, s’exposant ainsi à un vote de censure.

Engagez votre gouvernementc’est l’équivalent d’un vote de confiance envers le Canada : c’est décisif.

Et, dans ce cas, cela pourrait casser, puisque la gauche et le RN a déposé mardi des motions de censure contre le gouvernement Barnier. Ils seront débattus mercredi à partir de 16 heures (10 heures HNE) et le vote est attendu vers 19 heures (13 heures HNE).

2- De quoi est accusé le gouvernement ?

Alors que la France voit son déficit public se creuser plus que prévu cette année (de l’ordre de 5,6% du PIB, contre 3,5% dans la zone euro), le gouvernement Barnier prône l’austérité budgétaire (même s’il s’en défend), et cela passe mal en France.

La désindexation temporaire des retraites à l’inflation a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vaserésume Julien Robin, doctorant en science politique à l’Université de Montréal et membre affilié de CÉRIUM.

Le gouvernement a bien tenté des manœuvres de dernière minute, notamment concernant le projet de réduction du remboursement par l’État des médicaments en 2025, pour convaincre le Rassemblement national de ne pas recourir à la censure, mais cela n’aura pas suffi. LE RN a également exigé que les retraites restent indexées sur l’inflation, ce qu’il n’a pas obtenu.

Le seul et unique La raison qui guide le choix de la formation d’extrême droite est celle de protéger les Français d’un budget dangereux, injuste et punitif qui, par ailleurs, aggrave les déficits déjà monstrueux de sept années de macronismea déclaré Mme Le Pen sur X mardi.

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Marine Le Pen s’adresse aux journalistes en novembre 2024.

Photo : afp via getty images / GEOFFROY VAN DER HASSELT

Selon Laurent Saint-Martin, ministre du Budget et des Comptes publics, le gouvernement a toujours été ouvert à la négociation.

Ce que je constate, c’est que désormais nous ne sommes plus dans un dialogue de l’autre côté. Nous sommes constamment sous des prétextes.

Une citation de Laurent Saint-Martin, ministre du Budget et des Comptes publics

Lors d’un déplacement en Arabie Saoudite, le président Emmanuel Macron a dénoncé cynisme insupportable de RN s’il votait pour la motion déposée par la gauche. Et il a accusé le Parti socialiste de faire preuve perte totale de repères. Il a également rejeté les appels à sa propre démission.

3- Que va-t-il se passer mercredi ?

Pour faire tomber le gouvernement, il faudra 288 voix (289 habituellement) sur 577. Ce serait une première depuis 1962. Sauf revirement spectaculaire, la motion de censure a toutes les chances d’être approuvée, un avis que ne partage pas le Premier ministre Barnier.

Je pense qu’il est possible qu’il y ait ce réflexe de responsabilité où, au-delà des différences politiques, des divergences, des contradictions normales en démocratie, on se dit qu’il y a un intérêt supérieura-t-il déclaré mardi soir dans un discours.

Il faut s’attendre à un vote majoritaire contre le gouvernement» estime de son côté Julien Robin. Car même si les députés ne sont pas tenus de suivre une ligne de parti comme au Canada, le désir de changement est fort.

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Julien Robin, doctorant en science politique à l’Université de Montréal et membre affilié du CERIUM.

Photo : Fourni par Julien Robin

Entre autres scénarios possibles, M. Robin ne voit pas une majorité de socialistes rompre le pacte de gauche et s’abstenir de voter, car ils auraient beaucoup à perdre. Et du côté de RN, l’incertitude politique est la bienvenue puisqu’il braque les projecteurs ailleurs que sur les déboires judiciaires du parti. Celles-ci pourraient notamment se traduire par une période d’inéligibilité pour Mme Le Pen.

Si le gouvernement Barnier tombe, le Premier ministre devra démissionner au profit du président Macron et ce dernier devra trouver un autre Premier ministre. Ce ne sera pas facile, car chacun des trois grands blocs (gauche unie, camp présidentiel et extrême droite) est capable de se retirer et de faire tomber le gouvernement. De plus, la culture du consensus n’est pas à la mode.ADN politiciens.

Il est également impossible pour le président français de convoquer de nouvelles élections, car il faudra attendre un an avant la prochaine dissolution de l’Assemblée nationale, l’été prochainexplique M. Robin.

4- Quelles seront les conséquences économiques ?

Si le gouvernement tombe, il n’aura pas eu le - d’adopter le budget 2025 qui prévoyait de réduire son déficit public à 5% du PIB, afin de satisfaire en partie aux demandes de Bruxelles. Cependant, le tempête redoutée par le gouvernement n’aura pas forcément lieu, selon certains économistes.

Un éventuel nouveau Premier ministre pourrait décider d’adopter un budget édulcoré, avec des concessions aux partis d’opposition, ou de renouveler à l’identique le budget 2024 avec un gel des dépenses de l’État. Même si cette mesure permettrait des économies de 20 à 27 milliards de dollars, elle aurait aussi pour conséquence, entre autres, de nuire aux services en région.

Et comme les dépenses sociales sont indexées sur l’inflation et que le gouvernement ne pourrait pas répercuter sa surtaxe sur les très hauts revenus et les bénéfices des grandes entreprises, l’Etat serait privé de 30 milliards de dollars.

Les conséquences de la censure pourraient nous coûter la confiance de nos créanciers et de nos voisins.

Une citation de Patrick Martin, président du MEDEF, première organisation patronale

L’incertitude politique est jusqu’à présent estimée à 0,2% du PIB pour 2025, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques.

Cette incertitude aura également des conséquences sur les marchés financiers. Après que le Premier ministre français ait demandé des comptes à son gouvernement lundi, le taux de l’emprunt public français à 10 ans a immédiatement grimpé, passant de 2,86% à 2,92% en quelques heures.

Avec des informations d’Associated Press, de l’Agence France-Presse et de Reuters

 
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