Parmi les nominations, il y a deux ou trois surprises. Au point que même certains républicains ne les ont pas compris. Le plus grand est le choix du procureur général (ministre de la Justice), Matt Gaetz, qui est une personne sulfureuse. Il a fait l’objet d’une enquête à la Chambre des représentants pour relations sexuelles inappropriées et consommation de drogue. L’autre nomination qui retient l’attention est celle du secrétaire à la Défense Pete Hegseth, ancien major de la Garde nationale et diplômé de Princeton. Mais il n’a aucune expérience en matière de gestion militaire, aucune expertise en matière de sécurité. Et nous allons le mettre à la tête du Pentagone. Sa particularité est d’être présentateur vedette sur Fox News. Ce qui apparaît, c’est que Donald Trump privilégie la loyauté plutôt que la visibilité médiatique. Et enfin, les gens qui soutiennent l’idéologie Maga [Make America Great Again : Rendre sa grandeur à l’Amérique]. Il n’est pas certain que si Matt Gaetz réussit les auditions au Sénat, comme cela sera probablement le cas, tous les républicains le soutiendront.
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À cet égard, Donald Trump a fait allusion à l’utilisation d’une clause qui permet au président de procéder à des nominations lorsque le Sénat ne siège pas. Est-ce la fin du « check and balance », le contrôle bipartisan des institutions américaines ?
Donald Trump pourrait tenter d’utiliser cette disposition. Barak Obama avait déjà tenté de le faire, sans succès. Le Sénat ne doit plus siéger. Cela doit donc être une décision des sénateurs. Les républicains majoritaires pourraient voter pour. Mais le feront-ils ? Il faut rappeler que seul un tiers du Sénat est reconstitué tous les deux ans. Ainsi, un tiers des sénateurs actuels sont en poste depuis six ans. Tout le monde n’est pas fanatique de Donald Trump, à commencer par John Thune, qui vient d’être choisi comme chef des Républicains au Sénat. Rien ne garantit que les sénateurs accepteront de fermer les yeux sur tout ce que fait Donald Trump.
Si Matt Gaetz devait être confirmé au poste de secrétaire à la Justice, cela signifierait-il une politisation du ministère de la Justice et du FBI qui en dépend ?
Il est clair qu’il y aura une politisation de l’ensemble de la Justice. En nommant un ultra-loyaliste à ce poste stratégique, l’objectif de Donald Trump est évidemment de mettre un terme aux poursuites engagées contre lui. Et il n’est pas exclu qu’il lance à son tour une série de procédures contre la famille Biden, comme les républicains menacent de le faire depuis un moment. La particularité est qu’en principe le procureur général est indépendant, même s’il est nommé par le Président et confirmé par le Sénat. Il est censé être au-dessus du débat. Dans le cas de Matt Gaetz, on est assuré du contraire. L’étonnement d’un certain nombre d’élus, y compris parmi les Républicains, en dit long sur cette décision. Il est même effrayant de voir un ministère aussi important confié à une telle personnalité.
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Les institutions américaines sont-elles capables de résister à ce qui ressemble de plus en plus à une dérive antilibérale ?
C’est effectivement la grande question aujourd’hui. Les Pères de la Nation ont instauré avec la Constitution le système dit du « check and balance », pour contrebalancer les pouvoirs du Président. Car la crainte originelle était celle d’avoir un président tout-puissant, presque égal à un monarque. Ils n’avaient probablement jamais imaginé une personnalité comme Donald Trump. Mais en principe, les contre-pouvoirs devraient protéger contre cela. On voit qu’il n’y a plus de contre-pouvoir politique. La Chambre des Représentants et le Sénat sont contrôlés par les Républicains – et plus encore : ce sont les Trumpistes qui contrôlent. Joe Biden a par exemple eu des difficultés avec certains élus démocrates. On se rend compte que le Parti républicain, tel qu’il existait, a pratiquement disparu : c’est le parti trumpiste. La Cour suprême est d’ailleurs totalement gagnée à Donald Trump, on l’a vu. Les États-Unis sont un État fédéral. Restent des prérogatives qui appartiennent aux Etats. Mais le pouvoir central de Donald Trump est immense. C’est le premier président qui déclare qu’il pourrait se comporter comme un dictateur dès son premier jour de mandat. Cela dénote une conception assez particulière et autoritaire du pouvoir. J’ajouterai que pendant longtemps, la presse a été considérée comme le quatrième pouvoir, un véritable contre-pouvoir. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment le cas. Les journaux ont de moins en moins de poids, ils sont beaucoup moins lus. Et certaines sont contrôlées par des hommes d’affaires. Nous avons vu le cas de Washington Postpropriété de Jeff Bezos. Il a interdit aux journalistes de prendre position pendant la campagne. Enfin, quiconque pourrait s’opposer à Donald Trump sait que son désir de vengeance est immense. Il y a aussi une peur qui existe. Les contre-pouvoirs n’ont pas disparu mais sont fortement affaiblis.