Lettre américaine | Courir avec Jefferson, FDR et Luther King

(Washington) Dans le Guide du coureur de Washingtonnous vous proposons des dizaines de sentiers peu fréquentés.


Publié à 1h12

Mis à jour à 6h00

J’ai couru jusqu’à Rock Creek, près du zoo et de ses deux stars : Bao Li et Qing Bao, deux pandas arrivés dans des camions FedEx le mois dernier, au milieu d’un convoi suivi par des hélicoptères de télévision.

Je connais le vieux canal qui part de Georgetown et remonte au 19èmee siècle et même le Maryland.

Cependant, je reviens invariablement au plus gros cliché : le National Mall, ses institutions, ses monuments, ses grands musées. Il y a d’abord la pente pour y arriver, ce qui m’encourage. En partant du Nord-Ouest, on ouvre la porte et il suffit de se laisser débouler vers le Potomac.

Mais, même si l’aveu me coûte un peu, la vérité est que je suis toujours émerveillé par cette architecture et cet urbanisme. Ce n’est pas une course, c’est un voyage de philosophie politique. Une sorte de triathlon constitutionnel nostalgique entre les branches de l’État américain.

L’ingénieur militaire Pierre Charles L’Enfant, choisi par George Washington pour dessiner les plans de la future capitale fédérale en 1792, était le fils d’un des architectes de Versailles. L’esprit français transparaît dans l’organisation de ce plan divisant la ville en quatre, avec le Capitole en son centre. Les concepts derrière la géométrie finement dessinée de la ville, inspirée autant des capitales européennes que des villes anciennes, sont extraordinairement subtils.

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PHOTO J. SCOTT APPLEWHITE, ARCHIVES ASSOCIED PRESS

Le Capitole (en arrière-plan) se trouve au cœur de Washington.

Peut-être un peu trop, en fait, car Washington a fini par virer L’Enfant, mais son concept a survécu.

Ce qu’il fallait, c’était une ville monumentale, où les idées politiques américaines fondamentales s’exprimeraient à travers l’emplacement des bâtiments et leurs relations les uns avec les autres.

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INFOGRAPHIES LA PRESSE

Le parcours de course à pied de notre chroniqueur

Arrivé à la fin du 7eou le 5eou le 4eJe remonte Constitution Avenue en direction de Capitol Hill et son esplanade. Je vois juste derrière le bâtiment de marbre blanc de la Cour suprême, qui surveille les actions des élus, parfois bien, parfois de travers.

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PHOTO MAANSI SRIVASTAVA, ARCHIVES DU NEW YORK TIMES

Siège de la Cour suprême des États-Unis

Je contourne le Capitole, redescends la colline, pour arriver sur le Mall, avec l’obélisque au milieu en mémoire du premier président.

Je longe le canal de Washington, avec ses pêcheurs d’achigan à grande bouche (c’est une ville de lobbyistes), et j’arrive au monument à Thomas Jefferson. Le brillant auteur de la Déclaration d’Indépendance était aussi un hypocrite, ayant engendré six enfants jamais reconnus avec Sally Hemings, son esclave – car il en possédait 600 sans libérer une seule personne.

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PHOTO ANNA ROSE LAYDEN, ARCHIVES DU NEW YORK TIMES

Au loin, l’obélisque à la mémoire de George Washington

Il n’en a pas moins posé les bases de ce qui fait parfois la grandeur de ce pays.

« Si je devais choisir entre un gouvernement sans journaux ou des journaux sans gouvernement, je n’hésiterais pas un instant à choisir la seconde option », écrivait-il à un ami en 1784. « Mais tout homme devrait recevoir ces journaux et pouvoir les lire… Ne soyez pas trop sévère envers les erreurs des gens, mais essayez de les corriger en les éclairant. Car s’ils devenaient inattentifs aux affaires publiques, vous et moi, ainsi que le Congrès, les assemblées, les juges et les gouverneurs, deviendrions des loups. »

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PHOTO AL DRAGO, ARCHIVES DU NEW YORK TIMES

Au fond, aperçu derrière les branches d’un cerisier, le monument à Thomas Jefferson

Deux cent quarante ans plus tard, c’est toujours vrai. Les Américains savent lire, mais qu’est-ce qu’un « journal » aujourd’hui sinon une espèce en voie de disparition ? LE artistesles influenceurs et les propagandistes de la désinformation entourent le prochain président et il me semble déjà entendre des loups…

Un kilomètre plus loin, je me retrouve devant Franklin Delano et Eleanor Roosevelt avec, pourquoi pas, leur chien Fala.

Son cousin Teddy s’en est pris aux trusts et aux monopoles au tournant du 20e siècle.e siècle, en s’appuyant sur le pouvoir de la presse. Cela pourrait arriver !

FDR est arrivé au pouvoir pendant la Grande Dépression, avec un langage qui semble aujourd’hui impensable pour un président des États-Unis.

Dans son discours inaugural à la convention démocrate de 1936, il s’en est pris de front au grand capital américain. Dans ce pays fondé en opposition à la tyrannie d’un monarque, ces ultra-riches constituent une nouvelle aristocratie, dit-il.

Le progrès technologique, la production industrielle, les nouveaux moyens de télécommunications – il a parlé du télégraphe et de la radio – ont conduit à l’émergence d’une « nouvelle civilisation », a-t-il déclaré aux délégués.

Une nouvelle civilisation qui pose des problèmes « à ceux qui veulent rester libres ».

« Parce que cette civilisation moderne a vu naître de nouvelles dynasties. De nouveaux royaumes construits sur un contrôle concentré des choses matérielles. » Tous les progrès techniques, impensables pour les fondateurs du pays, ont servi à créer cette royauté.

« Ils ont créé un nouveau despotisme, enveloppé de légalité. »

Nous sommes en 1936, j’insiste. La télévision n’a même pas été inventée. Les géants de la technologie d’aujourd’hui ont encore plus de pouvoir et forment eux aussi une nouvelle aristocratie au-dessus des lois.

Même sans que Trump lui ait donné les clés de l’État, Elon Musk est lui-même un duché, un royaume, avec plus de pouvoir que la plupart des hommes politiques et que plusieurs États.

Un peu plus loin, je ne manque pas de monter les marches pour saluer Abraham Lincoln. Celui qui a sauvé l’Union et aboli l’esclavage au prix de sa vie. Il se trouve devant la grande piscine et regarde droit vers le Capitole.

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PHOTO JOSÉ LUIS MAGANA, ARCHIVES PRESSE ASSOCIÉE

Faisceau de lumière s’élevant au-dessus du Lincoln Memorial pour commémorer les 20 ans du 11 septembre, en 2021

Il n’y a pas de démocratie sans l’engagement des hommes et des femmes du peuple, qui ne la respecteront que si elle leur garantit sécurité et dignité, a-t-il déclaré.

Je prends Constitution Avenue, où il faut résister aux food trucks, pour arriver un peu plus haut devant la Maison Blanche, mais quand j’y arrive, je pense surtout aux côtes levées que le président a mangées à Château de cartes, et je rentre vers chez moi entre les scooters électriques qui, étonnamment, ne font pratiquement aucun mort.

Il n’y a rien d’original dans ce voyage, je sais. Mais comme je ne suis que de passage ici, j’y projette ma mythologie américaine. Qu’est-ce qui est actuel ou actualisable dans les textes fondateurs de ce pays, à l’ère de l’intelligence artificielle ? Dans les bâtiments et monuments anciens, comme les musées politiques ?

Certains à l’extrême droite parlent d’une ère « post-constitutionnelle ». Mais pas à cause de la mainmise au pouvoir des nouveaux barons de la technologie et de la finance. Plutôt parce que, selon eux, l’État fédéral est devenu si grand qu’il néglige le monde politique tout entier, impose ses idées « libérales », « éveillées », et l’empêche d’exercer le pouvoir au nom du peuple. D’où le projet de le démanteler.

Dans un podcast conservateur, JD Vance affirmait en 2021 qu’il n’existe plus de république constitutionnelle, mais un « État administratif ». Il n’est pas le seul dans ce mouvement à penser que les États-Unis se trouvent dans une phase crépusculaire de leur histoire, où une sorte de tyrannie éveillée a pris le dessus.

Ce matin, je retourne courir sur Mall, là où le 47e Le président prêtera serment le 20 janvier de « défendre et protéger » cette Constitution. Plus de chance cette fois, Donald…

J’ai oublié de mentionner le monument à Martin Luther King, où l’on peut lire : « D’une montagne de découragement, une pierre d’espoir ».

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PHOTO MATT MCCLAIN, ARCHIVE LE WASHINGTON POST

Le monument à Martin Luther King

 
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