« L’avenir est sombre pour la social-démocratie allemande »

« L’avenir est sombre pour la social-démocratie allemande »
« L’avenir est sombre pour la social-démocratie allemande »

FIGAROVOX/MAINTENANCE – Le chancelier allemand Olaf Scholz a décidé de limoger son ministre libéral des Finances, ce qui met en danger la coalition au pouvoir et pourrait conduire à des élections législatives anticipées début 2025. Le politologue Patrick Moreau, spécialiste de l’Allemagne, analyse les conséquences d’une telle décision.

Patrick Moreau est historien et politologue, spécialiste de l’Allemagne et de l’extrémisme. Il a notamment publié L’Autre Allemagne : le réveil de l’extrême droite (Vendémiaire, 2017).


LE FIGARO. – Le chancelier Olaf Scholz a limogé mercredi son ministre des Finances, le libéral Christian Lindner, quelques heures après l’élection de Donald Trump. Concrètement, que se passera-t-il d’ici la probable tenue d’élections législatives anticipées ?

Patrick MOREAU. – Pour l’instant, difficile de le savoir car aucune décision n’a été prise. Le chancelier Scholz, à la tête d’une coalition désormais rouge-verte après la démission de tous les ministres libéraux, a suggéré au leader de la CDU (Union chrétienne-démocrate) Friedrich Merz de ne pas convoquer immédiatement d’élections législatives anticipées. Son objectif est de faire adopter un certain nombre de textes avec l’aide du parti de centre droit, pour autant que la loi le permette. Naturellement, la CDU et son alliée la CSU (Union chrétienne-sociale) ont répondu par la négative et réclament des élections au plus vite. Olaf Scholz envisage d’appeler les députés à se prononcer le 15 janvier sur la tenue d’élections législatives anticipées, les conservateurs les réclament immédiatement. On les comprend, ils sont presque sûrs de gagner.

Un fait majeur est que l’actualité allemande coïncide avec l’actualité américaine majeure. Il est difficile de dire s’il existe une corrélation. En tout cas, l’hypothèse d’un retour de Donald Trump n’a pas été intelligemment gérée outre-Rhin. La ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock s’est explicitement positionnée contre Trump. Une grave erreur, car ce n’était évidemment pas son rôle d’exprimer cette opinion au nom du pays. Dans la foulée, celui qui était encore candidat à la Maison Blanche a pris acte publiquement de la désaffection allemande à son égard, tandis que Scholz peinait à tenter de recoller les morceaux. Cette impréparation à Trump 2 a peut-être accéléré une forme de désordre en Allemagne, même s’il serait audacieux de lier les deux événements.

Quoi qu’il en soit, de nombreuses nouvelles questions se posent concernant la guerre en Ukraine, l’avenir de l’OTAN, la tournure du commerce mondial, que les conservateurs de la CDU en route vers le pouvoir commencent sérieusement à aborder en interne. Les véritables opérations commenceront début 2025, une fois que Donald Trump aura pris ses fonctions et que l’Allemagne aura un nouveau chancelier, probablement le conservateur Friedrich Merz.

L’explosion de la coalition, aussi soudaine soit-elle, était-elle prévisible ?

A vrai dire, aucun observateur averti ne croyait que cette alliance baroque durerait jusqu’à l’échéance de 2025. La décision de Scholz fut soudaine, mais son gouvernement devait se disloquer d’une manière ou d’une autre. Il s’agissait d’une coalition tripartite, par nature relativement instable. Ses composantes ne se parlaient plus, ce qui pose problème pour gouverner ensemble. Le niveau d’agressivité atteint était tout à fait exceptionnel. Christian Lindner, également chef du FDP (parti libéral-démocrate), a allègrement exposé ses divergences sur les questions économiques en vue de faire exploser la coalition.

La cacophonie régnant dans la coalition tricolore était devenue néfaste et intenable à long terme aux yeux de la population, la personnalité très fade de Scholz n’aidant pas les choses.

Patrick Moreau

Les partis peaufinent leurs programmes et préparent leur financement de campagne depuis plusieurs mois. Il suffit à chacun de sortir du tiroir ce qu’il a développé, un peu prématurément certes, mais l’hypothèse a été largement réfléchie par tout le monde. Ces derniers temps, la chancelière a réagi de plus en plus brutalement aux provocations du FDP. Le Parti libéral a également pris un grand risque car, s’il passe sous la barre des 5 % et disparaît donc du Parlement, remonter s’avérera très compliqué. Sur le plan politique, cette désintégration ne risque pas de changer grand-chose, d’autant que les élections fédérales étaient prévues pour septembre 2025.

La dernière rupture de coalition remonte à 1982. Déjà, les libéraux du FDP avaient fait défection, le chancelier social-démocrate Helmut Schmidt avait démissionné et les conservateurs étaient arrivés au pouvoir. Le scénario pourrait-il se répéter ? Que disent les sondages en cas d’élections législatives anticipées ?

Oui, cela pourrait être dans la mesure où les mêmes acteurs qu’il y a 40 ans sont au centre du jeu. Mais le contexte n’a plus rien à voir puisque la réunification y a eu lieu. Dans les années 1980, l’extrême droite était bien moins puissante qu’aujourd’hui, tandis que les communistes du DKP se débrouillaient. En 2024, l’AfD est créditée de 15 à 20 % des voix, l’extrême gauche de Sahra Wagenknecht obtiendra entre 6 et 10 % des voix. Les deux ruptures de coalition sont à la fois comparables dans la mesure où les scénarios sont similaires, et incomparables dans la mesure où le système a connu de profondes modifications.

En termes de rapports de force politiques, la situation reste similaire à ce qu’elle était avant-hier. Nous ne sommes pas sûrs que le FDP restera présent au Bundestag, car il est annoncé légèrement en dessous de 5% des voix, le seuil représentatif. Le SPD devrait s’effondrer autour de 15%, peut-être un peu plus, ce qui constituerait un échec électoral considérable. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’avenir n’est pas rose pour la social-démocratie allemande.

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Nous aurons sans doute une grande coalition réunissant un SPD affaibli, détenant un petit nombre de ministères, et une CDU-CSU renforcée. Friedrich Merz, le chef de la CDU, dirigerait alors probablement le nouveau gouvernement. Nous pouvons être certains que les conservateurs de la CDU-CSU refuseront de s’allier avec les nationalistes de l’AfD et, même s’ils le souhaiteraient, il n’est pas dit que cela soit mathématiquement possible. Une alliance des conservateurs avec le parti de gauche radicale de Sahra Wagenknecht est hautement improbable. Enfin, l’hostilité de la CSU envers les Verts met en évidence En fait ce dernier hors jeu.

Comment les Allemands perçoivent-ils ce désordre politique ?

Les sondages d’opinion sont clairs. La majorité des Allemands est favorable aux élections, à 53 %. Les partisans de l’AfD et ceux de Sahra Wagenknecht, qui peuvent raisonnablement espérer des progrès, sont encore plus massifs. Les partisans des Verts et du SPD y sont largement opposés, car ils savent qu’ils ont beaucoup à perdre. Un changement n’arrive jamais sans crainte pour l’avenir : 40% des personnes interrogées sont hostiles à la dissolution du Bundestag. Mais la cacophonie régnant dans la coalition tricolore était devenue néfaste et intenable à long terme aux yeux de la population, la personnalité très fade de Scholz n’aidant pas les choses.

 
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