« Abandonner le FCFA pour déménager (…)

Yves Delafon, Directeur de la Banque du Commerce et de l’Industrie (Mauritanie, Mali, Guinée, Sénégal), Président d’honneur d’Africalink. ©DR

A ce jour, la mise en place de l’ECO en remplacement du franc CFA relève de la responsabilité exclusive des Etats de l’UEMOA, elle est la conséquence de la réforme de 2019. Mais en attendant une telle décision, et alors qu’en 2023 les huit pays FCFA d’Afrique de l’Ouest étaient les plus dynamiques du continent*, à égalité avec ceux du Comesa, quel est l’état de la situation ? ?

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Une contribution d’Yves Delafon

Directeur de la Banque de Commerce et d’Industrie (Mauritanie, Mali, Guinée, Sénégal)
Président d’honneur d’Africalink

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Entre ignorance, non-dits et désinformation idéologique, les avis sur le statut du franc CFA, son rôle et sa gouvernance, foisonnent tant sur les réseaux sociaux, dans la presse que par les responsables politiques français et africains, souvent exprimés pour stigmatiser l’outil, considéré comme l’instrument d’un néocolonialisme fantasmé menaçant les souverainetés nationales, et rarement pour informer véritablement et utilement.

C’est en 1945 que la instaure, dans ses colonies africaines et aux Comores, le « Franc des colonies africaines », est alors devenu le « Franc de la Communauté Financière Africaine » (pour les huit États de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), et « Franc de Coopération Financière en Afrique Centrale (pour les six Etats de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC).

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Un outil qui a profondément
transféré depuis l’indépendance

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Rappelons que l’objectif initial était d’assurer une parité de change fixe, d’abord avec le franc français, puis avec l’euro. Dans ce contexte, le Trésor français a apporté sa garantie de convertibilité illimitée, en échange de la centralisation de 50 % à 65% des réserves de change sur un compte d’opérations rémunéré. En échange de cette garantie, la France disposait de représentants dans les organes de gouvernance des banques centrales (UEMOA et CEMAC), en l’occurrence au conseil d’administration puis au comité de politique monétaire (la France n’étant représentée ni au Conseil des ministres ni au à la Conférence des chefs d’État et de gouvernement des Unions respectives).

En résumé, les deux groupes d’Etats indépendants, Afrique de l’Ouest et Afrique Centrale, ont respectivement et souverainement décidé de former deux unions monétaires différentes, pour maintenir le principe d’une monnaie commune, en conservant le nom de Franc CFA ayant une parité fixe et illimitée. convertibilité (avec le soutien de la France), et confier la gestion de la politique monétaire à une institution commune à chaque union (banque centrale comparable à la BCE) ayant le pouvoir exclusif d’émission monétaire.

Les dispositions institutionnelles en vigueur dans chacune des deux unions monétaires permettent à tout État signataire d’en sortir quand il le souhaite (Guinée et Mali en 1960, Madagascar et Mauritanie en 1973). Ils autorisent également l’adhésion de nouveaux membres (c’est-à-dire le retour du Mali en , l’entrée de la Guinée équatoriale en 1985 et de la Guinée Bissau en 1997).

Voilà pour la réalité des faits. Sachant que les deux unions monétaires continentales connaissent des évolutions politiques, économiques, financières et réglementaires différentes (toutes deux « Franc CFA » ne sont pas identiques). Dans ce contexte, la contestation de leurs relations économiques et monétaires avec la France s’est considérablement amplifiée, notamment dans certains États de l’UEMOA (dont et surtout le Mali, le Niger et le Burkina Faso), largement alimentée par les politiques d’opposition, la désinformation russe et l’activisme ambiant impactant une large part de la population. une partie des jeunes.

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Les quatre axes de réforme
politique monétaire de 2019

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La réforme de la coopération monétaire du 21 décembre 2019 au sein de l’UEMOA s’articule autour de quatre axes :

> Le changement de nom de la monnaie commune qui devrait devenir la « ÉCO « . Ce choix et sa mise en œuvre étant de la responsabilité exclusive des Etats de l’UEMOA. Sachant que la CEDEAO (15 États) a déclaré (Sommet de juin 2021) vouloir en faire, à terme, sa monnaie commune.

> La suppression de l’obligation de centraliser les réserves échange avec le Trésor français. En 2021, cette dernière a mis cinq milliards d’euros (3 280 milliards de francs CFA) à la disposition de la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest), libres du placement de l’intégralité de ses réserves là où elle le souhaite dans le monde.

> Le retrait de la France des instances de gouvernance de la zone monétaire (Conseil d’Administration et Comité de Politique Monétaire de la BCEAO)

> Mettre en place un mécanisme de dialogue et le suivi des risques susceptibles d’engager la garantie de change de la France.

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Le débat reste ouvert… entre

les seuls États africains concernés

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Les pays du Franc CFA de l’UEMOA (orange) et ceux de la CEMAC (rouge). © Capture ARTE

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En attendant une volonté similaire de la part des Etats de l’Afrique Centrale, que reste-t-il aujourd’hui du FCFA/ECO dans la zone UEMOA ? ?

Il s’agit essentiellement d’une monnaie commune appartenant aux États de la zone, avec un taux et une convertibilité garantis par la France (sans réelle contrepartie contraignante).

Son ancrage à une monnaie forte (l’euro) garantissant la stabilité monétaire et facilitant les importations (qui représentent plus de 50 % des échanges de l’UEMOA avec le reste du monde), mais susceptibles d’affecter la compétitivité de ses exportations – bien qu’elles concernent principalement des matières premières dont les prix sont en devises fortes et fixés par les marchés internationaux.

Le débat reste ouvert quant aux conséquences d’un retour à une parité libre ou partiellement indexée mais volatile, voire liée à l’abandon éventuel d’une monnaie commune. Ces choix difficiles et complexes sont les seuls véritables enjeux du débat sur le FCFA. Ils sont entre les mains, exclusivement, des gouvernements des Etats membres de l’UEMOA (ainsi que de la CEMAC). C’est également une préoccupation affichée du nouveau ministre sénégalais de l’Economie, Abdourahamane Sarr. Il est entendu que les dirigeants africains affirment également la nécessité d’évoluer vers une intégration plus régionale (voire continentale), et qu’une monnaie commune est une condition nécessaire pour atteindre cet objectif.

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La France n’en a plus
rôle dans l’UEMOA

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Quid du rôle et des intérêts de la France ? ?

Son rôle se limite désormais à fournir à l’UEMOA une garantie de change fixe et illimitée pour le FCFA. Une garantie financière sans compensation et dont les intérêts pour la France sont difficiles à identifier. La parité fixe limite marginalement les risques pour les entreprises africaines et européennes (y compris françaises) travaillant en euros, mais il faut savoir que ces dernières les contrôlent également dans leurs échanges de devises.

Sachant en outre que la France représente moins de 10 % du total des échanges de la zone UEMOA, et que ses principaux clients en Afrique sont hors zones CFA, et dans l’ordre : Maroc, Algérie, Tunisie, Nigeria, Angola et Afrique du Sud… ayant tous des monnaies peu, voire non- convertibles, ce qui les oblige à disposer à l’avance de réserves de change pour financer leurs importations.

La France n’a plus aucun rôle au sein de l’UEMOA, ni dans la définition ni dans la conduite de la politique monétaire que la Côte d’Ivoire, le Niger, le Burkina Faso, le Mali, le Togo, le Bénin, la Guinée Bissau et le Sénégal l’ont confiée à une Institution communautaire indépendante. . L’absence d’explications claires dans ce domaine, tant en France qu’en Afrique, ne peut se comprendre qu’à travers les prismes de l’ignorance, de la nostalgie, de l’émotion ou de l’idéologie.

La question du lieu de fabrication physique des signes monétaires du FCFA est un sujet idéologique (vestige symbolique du « Françafrique “), mais un non-sujet économique qui obéit à des considérations financières et sécuritaires. L’euro est fabriqué dans onze pays différents. L’UEMOA (comme la CEMAC) continuera à les faire fabriquer à l’étranger tant qu’il n’y aura pas d’imprimerie spécialisée dans sa zone. C’est un choix souverain.

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Afrique-France-Europe : une histoire
se termine, un autre naîtra…

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Une autre relation Afrique/Europe reste à écrire, et ce projet nous interdit, pour les uns de rester les bras croisés dans des certitudes arrogantes, pour les autres de camper sur les barricades d’un ressentiment qui ne peut que profiter aux extrêmes.

Les relations entre l’Afrique et l’Europe, et la France en particulier, connaissent une transformation, une profonde remise en question. Ils vivent “ La fin d’une histoire » comme l’écrit Cheikh Tidiane Dieye, le nouveau ministre de l’hydraulique et de l’assainissement du Sénégal. Ce n’est pas la fin de l’Histoire, et une autre relation reste à écrire. Ce projet nous interdit, pour les uns de rester les bras croisés dans des certitudes arrogantes, pour les autres de camper sur les barricades d’un ressentiment qui ne peut que profiter aux extrêmes.

Un avenir commun est possible, justifié par la proximité, les cultures et l’Histoire partagées, et rendu nécessaire face au risque d’une bipolarisation dangereuse et stérilisante qui s’opère entre la Chine et les États-Unis.

Et cela ne peut se faire que si nous sommes pragmatiques et réalistes, honnêtes et respectueux, en mettant en avant le mérite et l’efficacité plutôt que le nationalisme ou le communautarisme.

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Article publié avec l’aimable autorisation de l’auteur, publié pour la première fois par le site https://gomet.net/

* Atlas économique 2024 du Cian-Rapport 2024. Bientôt disponible en ligne ici : https://www.cian-afrique.org/publications/rapport-annuel-cian/

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REPLAY / Grand succès du XIIe Conférence des ambassadeurs africains à Paris, dédiée au partenariat renouvelé du groupe AFD avec l’Afrique

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