La radicalisation des élèves inquiète dans les écoles : « Enseigner est devenu dangereux »

La radicalisation des élèves inquiète dans les écoles : « Enseigner est devenu dangereux »
La radicalisation des élèves inquiète dans les écoles : « Enseigner est devenu dangereux »

Depuis plusieurs années, les enseignants assistent à un rejet des concepts scientifiques, historiques et communément admis : l’infini en mathématiques, la théorie de l’évolution, la laïcité, l’égalité des sexes, le corps humain, etc. seraient en contradiction avec les valeurs de l’Islam. “Je n’entends plus que ‘C’est haram’ en classe (NDLR : “C’est interdit” en arabe)”, témoigne Maud, professeur d’histoire depuis 39 ans. “Certains étudiants me disent que je n’ai pas le droit de parler de l’islam, que je n’ai pas le droit de parler de religion.»

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L’université n’est pas épargnée par le phénomène. Récemment, le recteur de la VUB a mis en garde contre l’impact de la religion sur les étudiants musulmans : refus de soutenir les principes de l’État de droit démocratique, du port de manches courtes dans le secteur de la santé, occupation des salles de prière sans autorisation, etc.

« C’est violent ce qu’on entend parfois. Au moment des attentats, les étudiants applaudissaient dans les classes, j’ai trouvé au tableau le nom du Tunisien, auteur de la fusillade qui a tué deux Suédois. Certains soutiennent le comportement des Afghans envers les femmes», poursuit Alicia, qui a été insultée et qualifiée de raciste par un père après avoir fait une remarque à sa fille parce qu’elle portait la abaya, ce qui est interdit dans le règlement de l’école.Je me retrouve à devoir expliquer comment nous vivons en Belgique, ce qui n’est pas mon rôle. Lorsqu’elle était enseignante, elle a également dû faire face à des parents qui refusaient d’envoyer leur enfant avec elle parce qu’elle est blonde aux yeux bleus et voyaient la pression des enfants plus âgés qui vérifiaient que les plus petits allaient bien pendant le Ramadan.

Menaces

L’assassinat de Samuel Paty en France pour avoir montré en classe une caricature du prophète Mahomet a ébranlé le monde de l’éducation. “Enseigner est devenu dangereux. Même si nous connaissons nos étudiants, il y a un sentiment d’insécurité car nous ne savons pas s’ils en parleraient à un frère, un oncle, un cousin.» lâcha Maud. “Mes proches m’ont déjà dit que ma tête serait mise à prix si je continue.

Le refus d’entendre certains enseignements peut aller jusqu’aux menaces et au harcèlement. Il y a quatre ans, Bernadette, professeur d’économie, en a fait les frais. “Plusieurs étudiants albanais m’ont demandé si j’avais la permission de mon mari pour travailler. Une fois, j’ai retiré un élève parce qu’il perturbait le cours. Cinq d’entre eux m’ont attendu après les cours près de ma voiture et l’un d’entre eux a sorti un couteau. Je ne sais pas ce qui me serait arrivé si le professeur de sport n’était pas apparu.elle murmure. “Avant et après l’école, j’ai pleuré. L’année suivante, j’ai refusé d’y retourner. Les professeurs de religion ne sont pas non plus épargnés.

Le conflit israélo-palestinien a jeté de l’huile sur le feu. “Il y a de l’ignorance et des préjugés. Dès qu’il s’agit des Juifs et d’Israël, tout est disproportionné et manipulé parce qu’ils n’en savent rien. Lorsque j’ai essayé d’expliquer comment l’État d’Israël avait été créé, j’ai été accusé de prosélytisme et un étudiant est entré dans une colère incontrôlable. Il n’y a plus moyen d’avoir un discours objectif”note Maud, qui a vu l’année dernière une dizaine d’élèves musulmans refuser le voyage scolaire au Fort Breendonk. “On leur apprend dès leur plus jeune âge à haïr les Juifs. C’est de l’antisionisme comme on dit et non de l’antisémitisme.»

Sur le conflit israélo-palestinien, certains parents insistent pour que leurs enfants ne s’expriment pas. “Dès que nous abordons un conflit ou un pays en développement, nous sommes beaucoup plus attentifs, nous pesons nos mots et nous réfléchissons à deux fois avant de parler.ajoute Bernadette.

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Aucune donnée

Ces témoignages rejoignent le film sorti l’année dernière « Amal : Un esprit libre ». « Allah n’a rien à faire dans ma classe », un livre de Laurence D’Hondt et Jean-Pierre Martin qui paraîtra prochainement, aborde également le sujet.

« Il faut briser le silence pour ne pas laisser aux extrémistes le soin de s’emparer de ces sujets pour exacerber certaines opinions »expliquent les auteurs. « Nous sommes dans un étau. Il y a le soupçon d’être perçu comme faisant le jeu de l’extrême droite, ce qui nous empêche de nommer les choses. Le mot islamophobie est également utilisé pour faire taire le débat sur l’idéologie islamiste ultraconservatrice.

Le livre sera bientôt publié en Belgique. ©DR

Contrairement à la France, la Belgique francophone ne dispose pas de chiffres sur les comportements radicaux des étudiants liés aux faits religieux. Fin 2023, la Flandre s’est penchée sur la question et a constaté que le nombre de signalements, commentaires et comportements radicaux de la part des étudiants était passé de trois ou quatre par an en 2019 à trois ou quatre par jour en 2023.

«Il y a de la censure, nous ne voulons pas aborder des sujets qui suscitent la colère sur la place publique. C’est une année électorale très importante, nous essayons de garder les choses simples”suppose Djemila Benhabib, politologue et présidente du collectif Laïcité Yallah. Elle mène actuellement une enquête auprès de 1.000 jeunes Bruxellois sur leurs croyances religieuses et leurs convictions philosophiques car le phénomène est principalement observé à Bruxelles. “Nous avons du mal à aller à l’école parce qu’il y a de la peur. »note Djemilla Benhabib qui espère présenter les résultats à la fin de l’année. “Des pressions sont exercées sur les étudiants et les enseignants musulmans qui ne se conforment pas à un certain mode de vie.

“L’école est une cible”

Les jeunes n’ont pas l’expérience de l’influence de la religion dans leur vie, ce qui conduit à l’indifférence, voire à l’hostilité envers l’importance de la laïcité et l’héritage du combat des aînés pour cette laïcité. “commente l’auteur Laurence D’Hondt. “Depuis 30 à 40 ans, nous assistons en Europe occidentale à une large sécularisation de la société. Mais il y a une partie de la population d’origine musulmane qui ne suit pas du tout ce chemin et se réislamise dans une vision binaire du monde et le divise entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas »adds Jean-Pierre Martin.

Joël Kotek, politologue et historien, observe une amplification d’un phénomène apparu il y a quelques années. “Il y a un renouveau de la religion, une réislamisation par le bas. Cela est plus évident chez les jeunes car ils sont en contact avec une éducation qui devient un lieu de conflit. Chez l’adulte, c’est moins visible mais on peut le constater, par exemple, avec le refus d’être soigné par une femme ou un homme.il élabore.« Les jeunes sont plus religieux que les grands-parents et on le voit aussi dans le monde arabe. Cela est peut-être lié à une sorte de désenchantement, à la difficulté d’États comme l’Egypte, le Maroc ou Israël à se construire.»

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Selon Radouane Attiya, professeur de religion et islamologue, la famille n’est pas toujours responsable. “De nombreux parents sont impuissants face au radicalisme de leurs enfants. Il faut regarder du côté de la camaraderie, des réseaux sociaux et des imams radicaux. Les jeunes recherchent de l’autorité mais cela peut contribuer à une sorte de division dans la société et au retour d’un certain rigorisme religieux.»il croit. “Il s’agit avant tout d’une question d’identité.” Maud, professeur d’histoire, met en avant la religion comme une bouée de sauvetage face à la perte de repères, à l’angoisse de l’avenir et à la peur d’aller en enfer. Les jeunes constitueraient un public facile à atteindre et le lieu serait idéal. “Il y a une idéologie islamiste à l’œuvre qui cible les écoles parce que c’est là que se forment les esprits.»prévient Laurence D’Hondt.

Joël Kotek ne va pas si loin mais il reconnaît que «l’école est un lieu de rencontre et elle est devenue une arène où surgissent des contradictions« .

Sentiment d’abandon

L’éducation fait état d’un sentiment d’impuissance face à cette montée des comportements radicaux. “J’ai signalé les faits aux autorités organisatrices qui n’ont rien fait.fait remarquer Alicia. Bernadette se sentait elle aussi abandonnée par sa direction.

« Il ne faut surtout pas baisser les bras car sinon c’est un aveu d’impuissance et d’échec. Ce serait une catastrophe pour l’enseignement et pour la nouvelle génération. Éviter les questions qui nous irritent, c’est laisser la victoire à l’obscurantisme. »» plaide Radouane Attiya qui est témoin chaque jour d’actes de radicalité.

Certains enseignants osent s’en tenir à leurs positions et défendre leurs idées, mais cela demande beaucoup de patience.“Je n’abandonnerai jamais!”» déclare avec force le professeur d’histoire.

Valérie Glatigny (MR), ministre de l’Enseignement obligatoire, entend mettre en place un nouveau contrat entre écoles, parents et élèves. Pour restaurer l’autorité et le respect des enseignants, un service d’écoute sera étendu aux questions d’autocensure et à partir du 30 septembre, un baromètre du respect est lancé pour les 130 000 enseignants. “Sur la base des résultats de cette enquête, nous serons en mesure de proposer des solutions possibles.

 
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