La politique étrangère de l’Allemagne est fluctuante… Ainsi, depuis 2018, Berlin avait opposé son veto à la livraison d’une nouvelle commande de 48 avions de combat Typhoon fabriqués par le consortium Eurofighter composé des groupes européens BAE Systems, Airbus et Leonardo à l’Arabie Saoudite en raison de l’assassinat de le journaliste Jamal Khashoggi. Cela provoque une grave crise entre Berlin et Londres, qui diffèrent sur cette perspective, chasse gardée des Britanniques. Riyad a également été extrêmement agacé par le veto allemand, faisant passer le message à certains de ses interlocuteurs qu’il souhaitait acquérir des systèmes d’armes sans équipements et composants allemands (allemand libre). Berlin a finalement changé de ton :
“Nous ne voyons pas le gouvernement allemand s’opposer aux considérations britanniques concernant (la livraison de plus)Eurofighter en Arabie Saoudite »a annoncé la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock dans la nuit de dimanche à lundi, lors d’un déplacement en Israël.
Le veto a été décidé sous le mandat de l’ancienne chancelière conservatrice Angela Merkel. Il était ancré dans le contrat de coalition de la coalition SPD-Verts-libéraux du chancelier Olaf Scholz, les écologistes – parti d’Annalena Baerbock – se montrant particulièrement fermes dans ce refus également en raison du rôle de l’Arabie Saoudite dans la guerre au Yémen. Début novembre, le PDG d’Airbus est monté au créneau pour pousser Berlin à donner son feu vert à l’Arabie Saoudite pour le Typhoon. Guillaume Faury avait estimé que la position de Berlin était « dommageable pour la réputation de l’Allemagne en tant que pays exportateur ». “Cela crée une situation très difficile avec les pays partenaires de l’Eurofighter qui comptent clairement pouvoir l’exporter”il expliqua.
Conflit Israël/Hamas : le « rôle » de l’Arabie Saoudite
La raison invoquée par Berlin pour lever le veto est le « rôle » joué par Riyad dans la crise sécuritaire au Moyen-Orient depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre. Lors de sa visite en Israël, Annalena Baerbock a souligné que l’Arabie Saoudite et Israël avaient pas “n’a pas renoncé à sa politique de normalisation”. « Le fait que l’Arabie Saoudite intercepte désormais les missiles tirés par les Houthis sur Israël le souligne, et nous lui en sommes reconnaissants », a-t-elle précisé. L’Arabie saoudite, en guerre depuis 2015 contre les Houthis (chiites) soutenus par l’Iran, souhaite également protéger son espace aérien. Israël et l’Arabie Saoudite ont également l’Iran comme ennemi commun, même si les relations irano-saoudiennes sont actuellement en voie de normalisation.
« L’Arabie saoudite est un contributeur clé à la sécurité d’Israël, même aujourd’hui, et contribue à endiguer le risque d’une conflagration régionale. “, a-t-elle finalement argumenté. Toutefois, l’Arabie saoudite mais aussi le Qatar, le Koweït et les Émirats arabes unis (EAU) ont condamné les propos de deux ministres israéliens appelant les Palestiniens à quitter la bande de Gaza. Surtout, l’Arabie Saoudite « tient les autorités d’occupation (israéliennes) pour responsables des crimes commis contre le peuple palestinien »» a déclaré le prince héritier Mohammed ben Salmane le 11 novembre, lors de l’ouverture du sommet des dirigeants des pays arabes et musulmans. « Nous sommes convaincus que la seule façon de garantir la sécurité, la paix et la stabilité dans la région est de mettre fin à l’occupation, au siège et à la colonisation », il ajouta. Les dirigeants des pays arabes, dont l’Arabie Saoudite, ont rejeté l’argument israélien selon lequel ” auto défense “ dans la bande de Gaza
Dans ce contexte, l’Arabie saoudite a décidé le 14 octobre de suspendre les négociations sur une éventuelle normalisation avec Israël parrainée par les États-Unis, une semaine après le début du conflit déclenché par l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre. Cette suspension a été annoncée lors d’une visite à Riyad par le secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui s’est entretenu avec son homologue saoudien. Faisal ben Farhane avait appelé à un « cessez-le-feu immédiat à Gaza et ses environs ».
Peur du Rafale ?
La fragilité des justifications avancées par l’Allemagne pour reprendre les exportations de Typhoon vers l’Arabie Saoudite pourrait en réalité cacher l’horrible peur de voir le Rafale atterrir à Riyad. Lors d’une réunion début décembre avec l’Association des journalistes de la défense (AJD), le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, a confirmé avoir “Entamé des discussions avec l’Arabie Saoudite depuis plusieurs mois”. Ces discussions sont liées au veto allemand sur la livraison d’Eurofighters supplémentaires. Le PDG a également eu le bon goût de souligner que « le Rafale a été vendu dans les pays voisins (EAU, Qatar, Inde) et commence à être attractif, y compris en Arabie Saoudite, un nouveau pays pour nous ». Il est encore trop tôt pour évaluer les conséquences de cette volte-face allemande sur les discussions entre l’Arabie saoudite et la France ainsi que Dassault Aviation. Mais il paraît aujourd’hui évident que l’Eurofighter a bien plus à perdre que le Rafale dans ce duel dans le ciel saoudien entre les deux appareils.
Eric Trappier a rappelé que “si Dassault Aviation a déjà vendu des Falcon, l’avionneur n’a jamais vendu d’avions de combat en Arabie Saoudite, donc ce serait évidemment un grand succès supplémentaire pour nous si nous pouvions nous y implanter”.
Par ailleurs, le patron de Dassault Aviation avait posé la question cruciale de l’export du programme SCAF (Air Combat System of the Future). Eric Trappier a déclaré début décembre “inquiet de ce problème d’exportation” avec Berlin, notamment le « garantie donnée par les Allemands ». « Si un jour il y a un avion de combat franco-allemand, créé avec nos amis espagnols, il faudra pouvoir l’exporter vers des pays qui sont nos pays traditionnels. La question est valable. On me dit qu’il n’y a pas de problème. Je regarde ce qui se passe aujourd’hui et je vois que ceux qui disaient qu’il n’y avait pas de problème avec le typhon avant, il y a un problème aujourd’hui. ».
Que feront les Saoudiens ?
Deux questions se posent après la décision de Berlin. Les Allemands feront-ils ce qu’ils ont annoncé dans le cadre de la coalition ? Car le revirement de Berlin risque d’ouvrir un nouveau front politique à la coalition au pouvoir. Pour la coprésidente des Verts, Ricarda Lang, vendre ces avions était et reste ” une erreur “, « en tenant compte de la situation des droits de l’homme en Arabie Saoudite ». La question pourrait également diviser les sociaux-démocrates d’Olaf Scholz.
Échaudée, l’Arabie Saoudite fera-t-elle confiance à l’Allemagne ? Berlin devra donner à Riyad des garanties solides et à long terme pour convaincre les Saoudiens de reprendre le typhon. De son côté, la France n’a aucune ambiguïté sur cette question avec le Rafale. Le ministre des Armées Sébastien Lecornu a également reçu son homologue saoudien, Son Altesse Royale le prince Khaled bin Salman Al-Saud, en France les 19 et 20 décembre.