Un manoir majestueux, ou « le projet d’une vie »

En 1995, lorsqu’elle a acheté la propriété située à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, Mme Dick-Deschênes ne savait pas qu’elle avait entre les mains un manoir majestueux et chargé d’histoire.

«Je savais que c’était la maison du poète Hector Saint-Denys de Garneau, mais personne ne m’a dit qu’il s’agissait d’un manoir seigneurial et qu’il y avait des vestiges d’un moulin», raconte Mme Dick-Deschênes, en montrant aux représentants de la Soleil.

Le nouveau propriétaire prend rapidement connaissance de l’histoire des lieux grâce aux nombreux papiers contenus dans le manoir.

Le salon du manoir, situé au rez-de-chaussée, est joliment meublé. Les fenêtres du bâtiment, toutes d’époque, sont en bon état. (Caroline Grégoire/The Sun)

D’ailleurs, sur les murs d’un couloir de la propriété, sont fièrement accrochés des documents juridiques d’époque dont certains officialisent la concession de la seigneurie au Juchereau Duchesnay.

Au fil des années, elle a investi des centaines de milliers de dollars, voire plus, dans l’entretien de la propriété patrimoniale. Mais surtout, elle a consacré d’innombrables heures à mettre en lumière l’histoire des lieux.

En 2000, avec l’aide de la municipalité, le propriétaire fait restaurer le séchoir à grains. Quelques mois plus tard, alors qu’un maçon effectuait divers travaux sur la propriété, ils découvrirent ensemble l’existence des ruines d’un moulin ordinaire.

« Le maçon m’a dit : « vous savez madame, il y a un bâtiment enterré ici ». Qu’est-ce que j’ai dit ?! […] Ils ont déblayé la terre et le sable, et l’année suivante, ils ont démonté les ruines pierre par pierre puis tout restauré. »

— Odette Dick-Deschênes, propriétaire du manoir Juchereau Duchesnay

Elle a également collaboré avec des historiens de l’Université Laval et de l’Université de Sherbrooke pour documenter l’histoire du bâtiment et des personnes qui y sont liées.

Les vestiges du moulin ordinaire, situés à quelques mètres de la rivière. (Caroline Grégoire/The Sun)

En partenariat avec la municipalité, le propriétaire a organisé plusieurs journées portes ouvertes, entre autres pour célébrer l’héritage d’Hector Saint-Denys de Garneau, et de sa cousine, l’écrivaine Anne Hébert, qui fréquentait également les lieux.

« Le projet d’une vie »

Pour Mme Dick-Deschênes, le manoir Juchereau Duchesnay représente « le projet d’une vie ». Après toutes ses recherches, elle rédige deux manuscrits, un sur l’histoire du manoir et un autre sur la famille Juchereau Duchesnay. Mais à sa grande consternation, elle n’a pas réussi à les faire publier.

Aujourd’hui âgée de 90 ans, elle a fait le choix déchirant de mettre la propriété en vente. Lorsque l’auteur de ces lignes lui fait remarquer que ce marketing semble la rendre triste, elle répond avec émotion, mais avec une pointe d’humour : “Eh bien, arrête de m’en parler !”

La vente comprend plusieurs objets qui ont notamment été trouvés dans le grenier du manoir. Sur la photo, des pages de New York Times datant de 1919 ainsi qu’un pinceau d’époque.

Pour que la vente soit conclue, il faut que les acquéreurs soient des amoureux du patrimoine qui mettront en valeur le bien, comme il l’a fait toutes ces années. Des gens l’ont approchée pour transformer le manoir en restaurant, ce qu’elle a catégoriquement refusé.

Elle souhaite avant tout que les futurs propriétaires réalisent son rêve, qui est de faire du lieu un musée ou une galerie d’art, que les touristes pourraient venir visiter en groupe.

« À l’automne, la propriété est si belle avec les feuilles qui changent de couleur. Les gens qui vont visiter les Premières Nations à Wendake pourraient s’arrêter ici en passant et visiter un manoir seigneurial », suggère Mme Dick-Deschênes.

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Le deuxième étage comprend la chambre principale, ainsi qu’une chambre « rose » et une chambre « verte » (photo). (Caroline Grégoire/The Sun)

En 2015, la propriétaire a reçu le Prix du patrimoine des régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches pour ses efforts de conservation.

De Juchereau-Duchesnay à Garneau

La lignée des seigneurs Juchereau Duchesnay remonte à Jean Juchereau de Maur (1592-1672), qui fut seigneur de Saint-Augustin. Son descendant Antoine Juchereau Duchesnay possédait cinq seigneuries à sa mort en 1806.

Le petit-fils de ce dernier, Édouard-Louis-Antoine-Charles, hérite des seigneuries de Fossambault et de Gaudarville en 1838. Dix ans plus tard, il construit le manoir Juchereau Duchesnay, quelques années avant l’abolition du régime seigneurial.

Au XXe siècle, la mère du poète Hector Saint-Denys de Garneau, descendant de l’historien François-Xavier Garneau, devient propriétaire du manoir. Le poète passa le reste de sa vie dans le manoir, où il mourut en 1943.

La cousine du poète, l’écrivaine Anne Hébert, a également séjourné au manoir durant son enfance. Le grand-père de ce dernier, Eugène-Étienne Tâché, auteur de la devise « Je me souviens » et architecte de l’Hôtel du Parlement du Québec, est probablement passé par là, même s’il est impossible de le confirmer sans l’ombre d’un doute.

Photo du manoir prise par Hector Saint-Denys de Garneau au début des années 1940.

Photo du manoir prise par Hector Saint-Denys de Garneau au début des années 1940. (Wikimediascommons, Fonds Georges Beullac)

« Il s’agit d’un bâtiment et d’un site exceptionnels car il témoigne du régime seigneurial et d’un pan important de l’histoire littéraire du Québec. Ce qui lui donne de la valeur, c’est que c’est un domaine, ça nous rappelle que le manoir s’inscrivait dans un contexte plus large, avec le moulin, le séchoir, la forêt, et ça, c’est assez exceptionnel», affirme Alex Tremblay Lamarche, directeur de l’Urban Société du patrimoine du Québec.

« Pendant longtemps, nous n’avons pas pu voir toute l’importance de ce bâtiment, mais le travail de Mme Dick-Deschênes a contribué au patrimoine historique et à la communauté de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier. importance du manoir », ajoute l’historien.

2,8 millions

La propriété, classée au patrimoine en 2014, s’étend sur 23 hectares. Il comprend le manoir, les vestiges du moulin ordinaire et du séchoir à grains, mais aussi une rivière et une érablière avec sa cabane à sucre.

Avec son mur de pierre, son lit immense et sa charpente apparente, la chambre principale est époustouflante.

Avec son mur en pierre, son immense lit et ses poutres apparentes, la chambre principale est époustouflante. (Caroline Grégoire/The Sun)

La propriété est en vente depuis un peu plus de deux mois au prix de 2 795 000 $, via la courtierne Alexandra Labrie de l’agence immobilière Engel & Völkers Québec.

Les 14 pièces, dont quatre chambres, sont dans un état exceptionnel. Les superbes meubles anciens qui occupent les pièces sont également inclus dans la vente. Lors de la visite du manoir, l’authenticité des lieux nous ramène à plus de 100 ans en arrière, malgré la présence de quelques appareils électroménagers.

Pour cet auteur, la chambre principale est le point culminant, avec les charpentes apparentes au-dessus de l’immense lit. À noter que le manoir possède également une véranda qui abrite un spa, ainsi qu’une piscine creusée à l’extérieur.

Les observateurs attentifs auront remarqué que le manoir n’a pas seulement deux, mais trois étages. Le niveau supérieur comprend une chambre à coucher à aire ouverte avec sa salle de bain attenante.

Vous avez des suggestions ou des questions sur le patrimoine, les bâtiments délaissés ou les démolitions à venir ? Écrivez-nous maintenant à [email protected]

 
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