«J’utilise les équations comme outils pour sculpter la matière»

«J’utilise les équations comme outils pour sculpter la matière»
«J’utilise les équations comme outils pour sculpter la matière»

A la fois peintre et scientifique, et à la fois ni l’un ni l’autre, Hicham Berrada est un alchimiste de la matière, un créateur de formes chimériques qu’il encourage à apparaître plutôt qu’à les représenter. Né à Casablanca, d’un biologiste et d’un pharmacien, celui qui baignait dès l’enfance dans les atlas spécialisés dans les roches et les champignons semblait prédestiné à poursuivre une carrière scientifique. Mais c’est dans le domaine des arts visuels que l’artiste a décidé d’entrer, empruntant à la science ses techniques et outils pour mobiliser et contrôler les phénomènes, et ainsi produire de la poésie. Formé sur les bancs des Beaux-Arts de Paris, puis ceux du Studio National des Arts Contemporains du Fresnoy, il a fait du bécher sa peinture et de paramètres comme la température, le magnétisme ou la lumière, ses pigments de peintre. Comme en témoigne l’une de ses premières séries, Présage, qui est toujours en cours et qui a été récemment présenté dans l’exposition « Avant la tempête » à la Bourse du Commerce. Il s’agit de l’activation de différentes réactions chimiques qui aboutiront à la création d’un paysage à l’intérieur de cuves de verre, le tout filmé à 360 degrés pour plonger le spectateur dans un microcosme en plein développement. Car c’est aussi ça l’art d’Hicham Berrada : collaborer avec des phénomènes physiques, chimiques et biologiques, tel un metteur en scène, pour laisser se déployer les forces de la nature.

Alors qu’il fait partie des dix-huit artistes qui questionnent les sociétés actuelles et rêvent des mondes de demain dans l’exposition « Arabofuturs – science-fiction et nouveaux imaginaires » à l’Institut du Monde Arabe, il revient pour nous sur son parcours et ses méthodes de travail.

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Hicham Berrada, Future Earth, après la pluie, 2022, terrarium en verre et acier, terre, mycélium, végétation, billes d’argile, composants informatiques, etc.
–Archives Mennour. © Hicham Berrada, Adagp, Paris, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et Mennour, Paris

De la science à la poésie

Les créations d’Hicham Berrada s’appuient sur des connaissances scientifiques de pointe. Pour ses travaux, il a été amené à travailler sur différents phénomènes tels que les métamorphoses des métaux sous l’action de l’électricité (Masse et Martyr) ; magnétisme (Les Fleurs) ; le taux de floraison des plantes (Mesk-Ellil)… Alchimiste de la matière, il agit sur les phénomènes en bousculant leurs paramètres.

J’ai adopté la méthode scientifique qui constitue la base de la science moderne et qui, outre les outils, est une sorte de philosophie et de technique pour comprendre la nature, observer un phénomène, le reproduire et petit à petit tenter de changer un paramètre. Quand on y pense, cela nous semble tout à fait normal car on nous a appris ça à l’école, mais en fait ça ne marche pas naturellement. C’est quand même très étrange d’avoir inventé la mesure, comme les mathématiques. Et ce genre de technique et de philosophie pour essayer de comprendre les matériaux ou la nature au sens large, c’est quelque chose qui m’a plu et que j’applique en atelier avec des outils parfois très simples. C’est une méthode pour regarder, recommencer, changer des petites choses et continuer à regarder et recommencer.

Véritable laborantin, l’artiste expose souvent des contenants comme des aquariums et des terrariums, qui contribuent à l’esthétique scientifique de son œuvre, mais qui sont avant tout fonctionnels, puisqu’il les utilise pour pouvoir contrôler les conditions à l’intérieur. . L’expérimentation scientifique n’est pas une fin ni un folklore pour l’artiste : c’est avant tout une méthode de travail, une technique au service d’une poétique. Le premier principe de son travail est de faire émerger les formes, de créer les conditions nécessaires à leur apparition plutôt qu’à leur représentation : exit la mimesis, Berrada fait ressortir ses propres paysages.

J’essaie de supprimer tout ce à quoi on pourrait s’accrocher en termes d’échelle, de temps et de grandeur, pour provoquer un léger instant chez le spectateur une sensation de flottement, pour qu’il finisse par chercher non plus à comprendre mais simplement à regarder. Je veux créer des surfaces qui incitent chacun à se projeter, à se souvenir, à tenter d’identifier des paysages, des moments.

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Hicham Berrada, Future Earth, après la pluie, 2022, terrarium en verre et acier, terre, mycélium, végétation, billes d’argile, composants informatiques…
–Archives Mennour. © Hicham Berrada, Adagp, Paris, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et Mennour, Paris

Morphogenèse : mettre les formes en mouvement

Comme le compositeur Pascal Dusapin avant lui, Hicham Berrada se dit fasciné par la morphogenèse, l’étude des lois qui déterminent les formes de la nature. Il nous raconte comment cette science a été introduite dans son œuvre :

J’ai commencé à m’intéresser aux formes de la nature et j’ai essayé de les comprendre jusqu’à une rencontre avec Sylvain Courrech du Pont qui est chercheur à Paris 8, en morphogenèse. C’est là que j’ai découvert ce mot, cette discipline et ses méthodes de travail. Comprendre pourquoi les formes ont ces formes, je trouve cela fascinant. Pour les physiciens, une forme n’est pas simplement une forme comme une sculpture ou une pierre : une forme est toujours un mouvement, elle vient de quelque part et elle va vers quelque part. Comprendre une forme, c’est donc comprendre un mouvement. Je l’ai trouvé très beau. Et même si avec mon travail je ne prétends pas apporter une brique à la recherche scientifique sur la théorie du chaos ou la morphogenèse, je m’empare poétiquement de ces idées et parfois de ces outils, surtout lorsqu’ils sont numériques.

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Hygre № 3, 2023, impression 3d Pla, résine, peinture et vernis corporels
-Matthias Kolb. © Hicham Berrada, Adagp, Paris, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et Mennour, Paris.

Cette science constitue pour lui un vivier inépuisable d’explorations et d’aventures, comme le Augures mathématiques (2019), une série de photographies et de sculptures générées par ordinateur à l’aide d’algorithmes de morphogenèse et qui imitent la façon dont les éléments du monde naturel prennent, se développent ou changent de forme.

« J’utilise les équations comme outils pour sculpter la matière. En général, je commence toujours par choisir une boîte, un pot ou un bécher, quelque chose de fermé dans lequel je pourrai contrôler la température, la présence d’eau, la présence de certains gaz, etc. Comme une sorte de petit monde fermé , différent du nôtre Cela commence aussi comme ça dans un espace informatique : quand on ouvre le logiciel, la première chose qu’on voit est une case avec X. , Y, Z. J’ai aimé pouvoir travailler de manière analogue avec ces équations qui sont des outils, comme si nous prenions un ciseau pour casser la pierre d’une manière particulière, si nous prenions une perceuse pour nous permettre de faire des trous… »

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Hicham Berrada, Hygre № 1, 2023, impression 3d Pla, résine, peinture et vernis corporels
-Matthias Kolb. © Hicham Berrada, Adagp, Paris, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et Mennour, Paris.

Dans l’exposition « Arabofuturs – science-fiction et nouveaux imaginaires » à l’Institut du Monde Arabe, Hicham Berrada présente « Les Hygres », des sculptures qui défient et hybrident les lois terrestres. Au cours de l’entretien, il nous explique comment est née cette œuvre et l’idée qui l’a fait naître :

Tout se passe dans un espace informatique au début. Au départ, on est dans un logiciel avec un monde complètement gris, on crée une boule et sur elle vont s’appliquer les forces qui sont ces équations que je récupère auprès des physiciens qui travaillent en morphogenèse. On va donc pouvoir le faire pousser comme s’il y avait des racines à la surface, puis arrêter cette croissance, faire gonfler ses racines comme s’il s’agissait de nuages, puis arrêter cette croissance. C’est donc cette idée de créer des formes, mais par le mouvement. Et je vois cela comme une sorte de loterie, la possibilité d’hybrider les formes que l’on connaît aujourd’hui pour tenter d’entrevoir ce qu’elles pourraient être demain. Il s’agit principalement d’hybridations minérales, qui finissent par ressembler à des papillons, des insectes ou des créatures. C’est l’idée de faire évoluer les rochers et les montagnes et que, peut-être, un jour ils ressembleront à des papillons. Peut-être que nous aurons des papillons de pierre.

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Plus d’informations sur son actualité :

  • L’exposition-événement «ARABOFUTURS – Science-fiction et nouveaux imaginaires» est à découvrir a L’Institut du Monde Arabe jusqu’au 27 octobre 2024. Présentation : « Vidéastes, plasticiens, photographes, performeurs… : les artistes du monde arabe et de la diaspora s’emparent de l’anticipation et de la science-fiction pour interroger et transgresser directement les sociétés d’aujourd’hui et rêver des mondes de demain Pour faire découvrir au visiteur ce laboratoire merveilleux et dynamique D’hypothèses, l’exposition d’art contemporain ARABOFUTURS rassemble les œuvres de 18 de ces artistes et autant d’expériences, de témoignages et de regards sur le monde.
    L’exposition rassemble les œuvres de Sophia Al-Maria et Fatima Al-Qadiri, Meriem Bennani, Larissa Sansour, Zahrah Al Ghamdi, Souraya Haddad Credoz, Ayham Jabr, Hala Schoukair, Ayman Zedani, Hicham Berrada, Aïcha Snoussi, Sara Sadik, Tarek Lakhrissi, Mounir Ayache, Skyseeef, Gaby Sahhar et Neïla Czermak Ichti. Une riche programmation – concerts, projections, cinéma, performances, rencontres et débats, ateliers, etc. – accompagnera l’exposition jusqu’au 27 octobre 2024.

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Sons diffusés pendant l’interview :

  • Lecture d’un passage des Mémoires d’Hector Berlioz (1870), sur la « Symphonie Fantastique op 14 H 48 (Épisode de la vie d’un artiste) : 3 Scène aux champs », par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, sous la direction d’Alain Lombard . Étiquette : Erato.
  • Le compositeur Pascal Dusapin dans “Surpris par la nuit” sur France Culture le jeudi 9 avril 2009.
  • Max Ernst dans le spectacle « Couleurs de cette époque », en 1953.
  • Le choix musical de l’invité : « Paper Scissors Stone » de Portico Quartet, album « Isla » (2009) | Étiquette : MONDE RÉEL.
  • Pierre Wat dans « L’art est la matière », France Culture, 2018.
  • Giuseppe Penone lors de sa masterclass sur France Culture, en 2019.

Son du jour : « La sympathie est un couteau » par Charli XCX

Avec son nouvel album Gosse, la Britannique Charli XCX s’impose définitivement comme l’une des artistes les plus réjouissantes de sa génération. Si vous ne la connaissez pas, sachez qu’elle l’est, du moins depuis son EP Vroum Vroum réalisé en 2016 par feu SOPHIE, l’une des actrices majeures de l’hyperpop, mouvement musical d’avant-garde qui hyperbolise les mythologies de la génération Z.

Avec Gosse, que l’on peut traduire par « sale gosse » ou « gosse », Charli Plus qu’un cérémonial pop, ce sixième album, d’une redoutable efficacité, pourrait bien devenir un nouveau maître standard du genre. A vous de juger avec le titre « La sympathie est un couteau », notre son du jour.

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