C’est l’histoire d’un gars qui donne le ton à la société. François Ruffin anime actuellement les projections de son quatrième film documentaire » Au boulot ! », tourné avec son complice Gilles Perret, une fraternité cinématographique poursuivie depuis « Merci patron ! » (sur Bénard Arnault), « Debout les femmes » (sur les métiers du lien social), et « J‘je veux le soleil » (sur les gilets jaunes).
Le député de la Somme reprend l’habit de reporter, et échappe pour l’occasion au maelström politique qui l’a laissé largement épuisé lors de sa rupture avec Mélenchon et son clergé, grâce à un règlement de comptes de la part de l’État. vieux ” avec ” frondeurs » qui lui auront pourtant longtemps servi de bols à soupe.
Traités de pestes déloyales après avoir osé réclamer une dose de démocratie interne au sein du conclave insoumis, ils ont été excommuniés au moment où la gauche tentait une initiative unitaire, grâce à Macron dissolvant sa majorité relative à l’Assemblée nationale.
Sur le chemin de la croix, Ruffin est ensuite sifflé lors de la Journée de l’humanité 2024, et incarné par ses ex-collègues dans « Le Fantôme de Doriot »du nom du dirigeant communiste qui s’est pris d’affection pour le nazisme et est devenu un farouche collaborateur.
Insoumis aux nuances, mais pas au ridicule, les boy-scouts de Mélenchon continuent néanmoins de mordre par des propos et des attaques haineuses à titre personnel via les réseaux sociaux ou YouTube. Conduisant le député, réélu de justesse dans la Somme, (et adopté depuis par le groupe parlementaire écologiste) à un certain recul politique de circonstance (il n’est quasiment pas intervenu à l’Assemblée depuis sa réélection), tel un orphelin désorienté, après consommant sa rupture avec le leader rebelle.
Son nouveau documentaire lui permet a minima de rebondir et de renouer avec la pratique de l’immersion populaire (sinon populiste, un terme qu’il revendique), gentiment culotté, qui caractérisait sa marque de fabrique du temps de l’émission de France Inter » Là si je suis là » réalisé par Daniel Mermet, son mentor radio.
L’intrigue du film, son fil conducteur, ou son gimmick, selon qu’on apprécie plus ou moins l’idée de Ruffin et Perret, consiste à plonger un représentant de la haute bourgeoisie parisienne, qui vit habituellement dans les eaux glacées du calcul. égoïste de l’ouest parisien, au plus profond de la réalité sociale.
Sarah Saldmann, avocate mondaine et fille à papa, apparaît devant l’écran en talons aiguilles, en compagnie de son chien » Triomphe « . On découvrira plus tard qu’elle ne se considère que comme une modeste représentante du « classe moyenne », car, argumentera-t-elle : « Je vole et je n’ai pas de jet « . Irréfutable.
Et quand elle parle des salariés qui travaillent à se rendre malades au micro de « grandes gueules » sur RMC, où elle a son rond de serviette, tout comme sur le tournage d’Hanouna, elle les insulte parce qu’ils « tombent malades pour rien, ces paresseux ».
Absence de scrupule, du moindre atome de compassion, la violence sociale bourgeoise semble réduite à une caricature chimiquement pure.
Ruffin revendiquait récemment sur France Inter le principe de la caricature, dans lequel il veut allier émotion et joie : « Ce film est un objet politique, mais c’est avant tout un objet de fantaisie ».
Le problème est qu’un fantasme politique ne se targue pas vraiment de rendre compte de la réalité. Ainsi, la représentativité du parigote perlé qu’il place dans des situations qui le dépassent, n’a pas grand intérêt, si ce n’est de surjouer un ” vengeance sociale » artificiel, et illustrent l’immaturité fondamentale du personnage, en la devinant honteusement verser des larmes de compassion hors du champ de la caméra, face au témoignage d’une aide-soignante évoquant son (difficile) métier comme « le plus beau métier du monde ».
De fait, la caricature d’une bourgeoisie ridicule et maquillée (il lui fallait un budget maquillage !), rend informe ou incohérente la fonction de repoussoir social à laquelle sont assignés Ruffin et Perret.
Pour surmonter cet état de fait, Ruffin affirme sur France Inter que les préjugés et les accusations dont elle est coutumière (salariés paresseux, chômeurs assistés, etc.) sont répandus dans de nombreuses couches sociales, à commencer par les classes populaires, celles qui souffrent tellement de choses du et au travail. Et il n’a pas tort.
D’autant que le ressentiment populaire transformé en fantasmagories morbides (les pauvres et les étrangers « à qui tout est donné ») abonde au mieux dans le vote d’extrême droite.
Cela dit, l’intérêt du film, outre le fait d’organiser une rencontre formalisée ou dramatisée, bref fictive, entre deux classes sociales qui d’ordinaire ne s’affrontent pas, est au moins d’incarner le salariat dans sa forme la plus courante. plus édifiant. C’est-à-dire la plus cliniquement juste du point de vue de la représentation, même si elle n’est paradoxalement représentée politiquement que par des individus étrangers au salariat des industries en déclin, et notamment de l’économie de services et de liaison. (économie dynamique mais très précaire), à quelques exceptions près.
Cependant, le personnage de Saldmann, dans toute son ignorance politique et sa bêtise qui repose essentiellement sur des croyances égocentriques, comme tant de bourgeois, petits et grands, n’est rien d’autre qu’un spectacle de carnaval qui serait pris au sérieux, s’est lancé dans un road trip d’une semaine sans conséquences parmi les prolos, ce que Ruffin lui-même craint dans le film, sentant le risque de « tourisme social » à laquelle il soumet sa créature en carton.
Mais aussi fragile soit-elle, la créature finit par lui échapper, sans que le spectateur comprenne exactement pourquoi. Saldmann disparaît tout simplement de l’écran lorsque Ruffin prépare une mise en scène cérémonielle des marches cannoises, pour rendre hommage aux personnalités présentées dans le film.
Nous apprendrons plus tard que le conflit au Moyen-Orient en est la cause. Saldmann considérant que la réponse d’Israël à Gaza et au Liban est précisément proportionnée…
En bon Samaritain, convaincu que l’on peut faire prendre conscience du problème, voire l’amender, Ruffin part régulièrement de cette volonté de susciter de l’empathie, à travers des connaissances documentaires et empiriques, chez ceux qui n’ont pas sur eux une logorrhée sociale d’exclusion et de haine. leurs lèvres.
Puisque la seule ayant accepté de suspendre son jugement de valeur, en tant que candidate à cette « vis ma vie » documentaire, selon Sarah Saldmann, le ressenti du téléspectateur rejoint le malaise ressenti devant une téléréalité à la sauce Endémol : tout sonne faussement vrai ou vraiment faux. Même si les intentions sont bonnes, les témoignages sont émouvants, et Ruffin aime sincèrement les gens dont il raconte la dignité et le besoin de reconnaissance, faisant du travail le barycentre de son credo politique.
Mais le principal problème n’est-il pas que Ruffin n’est pas vraiment l’homme du peuple, s’il l’a jamais été ? En retraçant (sincèrement) le quotidien et la condition des salariés maltraités et oubliés, il se place simultanément dans une trajectoire politique solitaire (tout comme il n’échappe quasiment jamais au champ de la caméra), au risque de brouiller son message, lui qui vient clairement de se positionner pour la présidentielle de 2027.
Au terme de son immersion prolétarienne de quelques jours, Sarah Saldmann avoue avoir « dit de la merde « . Et vous, camarade Ruffin, ne seriez-vous pas sur le point de le faire, en servant le principe funeste du monarque républicain, s’il était éclairé ?