Quartier Latin | « Notre meilleure année depuis 35 ans »

C’est le coup de pied dans les tibias dont les commerçants du Quartier Latin se seraient bien passés, début 2025.

Vous avez peut-être vu cela se produire la semaine dernière. L’intersection extrêmement sensible des rues Saint-Denis et Ontario sera fermée pendant au moins deux semaines en raison de travaux imprévus de la Ville de Montréal.

Les propriétaires de bars et de restaurants ont appris la nouvelle quelques jours à l’avance.

Armés de pancartes, ils ont crié leur colère lors d’une conférence de presse organisée à côté du chantier – une jolie forêt de cônes oranges et de barrières métalliques. Certains craignent de ne pas se relever de cet énième obstacle.

Rien qui ne donne envie de jeter un oeil dans le coin…

Entre fermetures d’entreprises établies de longue date, ravages de l’itinérance et multiplication des chaînes de restauration rapide, l’ancienne Mecque de la vie culturelle francophone montréalaise a perdu beaucoup de son éclat ces dernières années.

La réputation du Quartier Latin n’est plus à faire.

J’ai moi-même documenté ce déconvenue dans plusieurs colonnes. L’un d’eux m’a valu un courriel courtois mais ferme de Michel Lavallée, propriétaire et fondateur du pub L’Île Noire.

Son message : oui, il y a des problèmes, mais tout n’est pas si grave.

Ma réponse : on prend une bière pour en discuter ?

Notre rencontre a finalement abouti jeudi dernier. Nous avons abordé des sujets variés devant deux spécialités de son établissement : une pinte de Black Velvet (moitié bière brune, moitié cidre) et un verre de scotch, sélectionnés parmi les centaines de bouteilles qu’il garde en réserve.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Michel Lavallée, owner of the L’Île Noire pub, rue Saint-Denis

Michel Lavallée est en quelque sorte l’âme et la mémoire du Quartier Latin. Il y ouvre son pub en 1989, l’un des rares commerces de l’époque à avoir survécu, avec son voisin le Bistro à Jojo.

Première surprise de notre entretien : ses affaires marchent bien.

Excellent, même.

“Nous avons connu le meilleur exercice de notre histoire, en 2024”, m’a confié l’homme de 65 ans.

Michel Lavallée explique ainsi la recette de son succès : son établissement a su conserver une « image forte » dans un quartier en déclin. Il gérait étroitement ses finances. Et il a su s’adapter aux nouveaux besoins des clients, en organisant par exemple des soirées à thème (quiz, humour…).

L’esprit des lieux – un pub réconfortant proposant une large gamme de bières et de scotchs – contribue à fidéliser les habitués. Son caractère intemporel attire également une nouvelle clientèle, composée en partie de Français et d’autres nouveaux arrivants.

Comme si L’Île Noire constituait un point de repère dans un quartier – et une ville – qui a bien changé ces dernières années.

Car Michel Lavallée le reconnaît : le Quartier latin n’a plus grand-chose à voir avec ses heures de gloire des années 1990 et du début des années 2000.

La plupart des restaurants et bars indépendants qui lui faisaient tout son charme (Pèlerin Magellan, La Sila, La Paryse, Saint-Sulpice…) ont fermé leurs portes. Ils ont cédé la place à des chaînes sans âme (PFK, Tim Hortons, Subway, Burger King, etc.).

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Nouveau restaurant de poulet frit d’une chaîne américaine, rue Saint-Denis

Autant d’entreprises où il est de plus en plus difficile d’être servi en français, constate Michel Lavallée. Le projet de l’administration Plante de renommer le secteur « Quartier de la francophonie » le rend très circonspect.

Ce n’est plus vrai. Je pense que la rue a changé, comme Montréal malheureusement.

Michel Lavallée

Mais le propriétaire estime, ou du moins espère, que l’arrivée de plusieurs nouveaux organismes culturels et institutionnels changera la donne. Qu’il redonnera ses lettres de noblesse – initialement francophones – au quartier.

Difficile de l’imaginer en se promenant aujourd’hui dans la rue Saint-Denis, où les poubelles débordantes côtoient les cornets oranges et les devantures de magasins barricadées. Mais dans trois à cinq ans, le Quartier Latin aura un visage bien différent. Plusieurs projets totalisant au moins 150 millions de dollars sont prévus.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Poubelle débordante rue Saint-Denis

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Deux groupes ont multiplié leurs acquisitions de terrains depuis 2021 : Gestion Georges Coulombe (GGC), spécialisée dans la restauration de bâtiments patrimoniaux, et la Société de développement Angus (SDA).

GGC mène à lui seul trois projets.

Il dirige la construction d’un bâtiment qui abritera l’École nationale de l’humour, il érigera le nouveau siège social de l’ADISQ et réalisera également les prochaines phases de rénovation du Théâtre St-Denis.

A ces projets s’ajoutera la transformation prochaine de la magnifique bibliothèque Saint-Sulpice en Maison du Chant et de la . Un investissement québécois évalué à près de 50 millions.

Et j’ai appris l’existence d’un autre projet d’envergure : la SDA a acquis un immeuble, là où est situé le restaurant Végo, pour y implanter de nouveaux bureaux pour l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). L’investissement projeté dépassera les 40 millions, si le montage financier est réalisé.

Plusieurs projets sur la rue Saint-Denis

  • Le futur bâtiment de l'Ecole Nationale de l'Humour, qui intégrera un bâtiment existant ainsi qu'une nouvelle section à l'arrière

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR LES ARCHITECTES FABG

    Le futur bâtiment de l’Ecole Nationale de l’Humour, qui intégrera un bâtiment existant ainsi qu’une nouvelle section à l’arrière

  • Le futur siège social de l'ADISQ, qui déménagera rue Saint-Denis

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR LES ARCHITECTES FABG

    Le futur siège social de l’ADISQ, qui déménagera rue Saint-Denis

  • Restoration project for a building acquired by the Société de développement Angus, which could house offices of the Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR PROVENCHER_ROY

    Restoration project for a building acquired by the Société de développement Angus, which could house offices of the Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec

  • La bibliothèque Saint-Sulpice, qui sera transformée en Maison du chant et de la musique pour un coût de 50 millions

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE ARCHIVES

    La bibliothèque Saint-Sulpice, qui sera transformée en Maison du chant et de la musique pour un coût de 50 millions

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Ces projets, à forte composante culturelle, attireront des centaines de nouveaux travailleurs et étudiants dans le quartier. Les nouveaux arrivants consolideront leurs liens avec les institutions déjà présentes, dont l’UQAM, la Cinémathèque québécoise et la Grande Bibliothèque.

Un vrai mouvement, très concret.

Tout cela pourrait permettre de restructurer un quartier très central, situé en bordure du centre-ville et à quelques minutes à pied de deux stations de métro.

« Ce qui est appréciable, c’est qu’il y aura des projets livrés chaque année, en 2025, 2026, 2027, 2028 », m’a fait remarquer Alain Milette, directeur du développement et des projets chez GGC. Cela va vraiment apporter de la vitalité au secteur. »

Dans cette même veine positive, la Ville de Montréal annoncera prochainement l’identité du groupe retenu pour réaménager l’îlot Voyageur. Le projet, à cheval sur le Village et le Quartier Latin, devrait compter au moins 700 logements – dont les occupants seront des clients potentiels pour les entreprises locales.

Malgré la promesse de lendemains plus ensoleillés, nous ne pouvons pas minimiser les problèmes qui affligent encore le Quartier latin, me fait remarquer Christian Yaccarini, président-directeur général de la SDA.

Parmi ceux-ci : le faible intérêt de nombreux commerces qui y ont pignon sur rue, comme toutes ces enseignes de grande distribution. restauration rapide. « L’enjeu, c’est le cadre commercial : qu’offre-t-on, et comment rapprocher les différentes clientèles, y compris sur la problématique de l’itinérance ? »

L’autre problème est celui dont je vous ai parlé au début : le manque de coordination dans les travaux routiers.

Le directeur général de la Société de développement commercial (SDC) du Quartier Latin, Julien Vaillancourt Laliberté, m’a donné un exemple frappant. La veille de sa conférence de presse pour dénoncer la fermeture impromptue de la rue Saint-Denis à l’angle de la rue Ontario, les commerçants apprenaient que la Ville fermerait également l’intersection Saint-Laurent-Ontario… jusqu’au 31 mars !

Comment les gens vont-ils faire pour venir dans le quartier ? Il y a eu des troubles intéressants au cours de la dernière année, mais pourquoi la main gauche ne parle-t-elle pas à la main droite ?

Julien Vaillancourt Laliberté, general director of the Latin Quarter SDC

Selon une étude de la DDC, la circulation piétonne a augmenté de 16% en décembre dernier dans le Quartier Latin, par rapport à l’année précédente.

Après mon verre du jeudi après-midi à L’Île Noire, je suis revenu rue Saint-Denis vendredi soir et ça se sentait. Il y avait du monde et certains restaurants étaient bondés.

Dans ce contexte d’amélioration, les commerçants sont en droit de demander à la Ville de redoubler d’efforts pour ne pas nuire à la relance.

Laissez-la coordonner ses chantiers et vider les poubelles, au minimum.

 
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