Nos chroniqueurs reviennent pendant le temps des Fêtes sur des sujets qui n’ont pas reçu toute l’attention qu’ils méritent au cours des 12 derniers mois.
Une scène toute montréalaise se déroule depuis des mois à l’angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue Ontario.
Il y a un embouteillage quasi permanent quand on remonte la Principal vers le nord, en raison du rétrécissement des voies. Des cornets orange par dizaines, en Ontario. Obstacles pour les piétons et les cyclistes. Des ouvriers bourdonnent autour de profondes fondations en béton, sur lesquelles un bâtiment sera bientôt érigé.
Ce projet ressemble à tous les autres, mais il cache une série de bonnes nouvelles. Ce qui se passe ici démontre plusieurs avancées discrètes dans la construction de logements.
Parce que oui : il y a eu des progrès dans le secteur de l’habitation au Québec en 2024.
La crise, ou plutôt les crises, sont loin d’être terminées. Il y a encore trop de monde dans les rues. Les loyers deviennent de plus en plus inabordables. L’accès à la propriété reste un fantasme inaccessible pour de nombreux jeunes.
Mais certaines choses fonctionnent bien. Ou du moins, mieux qu’avant. Je vous en propose six pour terminer l’année sur une note semi-positive.
Logement étudiant
Le projet dont je vous parlais depuis le début, à l’angle de Saint-Laurent et de l’Ontario, est mené par l’Unité de travail pour l’implantation de logements étudiants (UTILE). Il comptera 168 appartements locatifs abordables. Et représentera, en quelque sorte, la démonstration d’un nouveau business model. Le projet a bénéficié de plusieurs allègements réglementaires de la part de Montréal, souvent critiquée pour ses longs délais. La Ville a mis tout en œuvre pour faciliter la navigation dans le dossier à travers les rebondissements municipaux. Il a également autorisé une plus grande densité sur le site. Tout cela a permis de raccourcir le calendrier de construction et de réduire la facture de plusieurs millions. Résultat : des loyers moins chers pour les futurs locataires. D’autres villes du Québec ont également été accommodantes (Sherbrooke, Québec, Rimouski, Trois-Rivières), ce qui permet à UTILE d’avoir actuellement 1 600 logements en construction ou à l’étude.
Pour les seniors aussi
Il y a également eu un mouvement vers la construction de logements abordables pour les personnes âgées en 2024. « Abordable » étant ici le mot clé. Le Québec a revu ses programmes de subventions, devenus moins restrictifs au cours des deux dernières années. Ils permettent entre autres aux philanthropes d’investir dans des projets tout en bénéficiant d’investissements publics. C’est sur cette base que l’homme d’affaires Luc Maurice a fait cette proposition inédite : construire 1000 logements, répartis dans dix immeubles, répartis dans dix villes du Québec. Dans 24 mois, maximum. M. Maurice a utilisé son réseau de contacts – architectes, ingénieurs, entrepreneurs – pour négocier des marges serrées. Et il s’est appuyé sur une formule assez simple, quand on y pense : tous les bâtiments seront identiques. Un seul plan, répliqué dix fois. La construction des logements coûtera en moyenne 240 000 $, soit près de la moitié du prix des projets traditionnels du même type. Les loyers, quant à eux, seront pour la plupart inférieurs à 600 dollars par mois et réservés aux personnes âgées à faible revenu. Tout avance comme prévu, me dit-on1.
Des super pouvoirs à gogo
Une autre nouveauté commence à faire son chemin : le recours par les villes à des « superpouvoirs » prévus par une nouvelle loi provinciale. Le nom est pompeux, c’est vrai. Mais les pouvoirs sont bien réels. Grâce à une disposition de la « Loi 31 », les municipalités peuvent autoriser des projets de logements qui auraient pu auparavant être bloqués par des référendums citoyens. Ce qui, croyez-moi, est assez courant. Les villes doivent respecter un ensemble de conditions claires, mais cela semble bien fonctionner jusqu’à présent. Magog a été l’une des premières villes à profiter de ces pouvoirs pour autoriser un projet contesté de 20 logements. L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, à Montréal, les a également utilisés pour faire avancer deux projets majeurs au cours du dernier mois2.
Zonage incitatif
Une autre innovation québécoise de 2024 est celle du « zonage incitatif ». Au fond, il s’agit d’un outil qui permet aux villes d’autoriser des projets plus denses que leur zoning habituel – avec plus d’étages par exemple – en échange de compensations financières versées par les promoteurs. Le concept, proposé par la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, et enchâssé dans une nouvelle loi provinciale, privilégie la carotte plutôt que le bâton. Autrement dit : l’exercice se fera sur une base volontaire, et non coercitive. Longueuil vient d’adopter un règlement pour intégrer ce zonage incitatif à sa réglementation dès le début 2025. Les millions perçus en redevances seront utilisés par la Ville pour financer des logements sociaux. Ma prédiction : d’autres communes emboîteront le pas en 20253.
Molson, Place Versailles, etc.
L’année qui s’achève aura aussi été celle du déblocage – et de l’émergence – de certains mégaprojets. Je pense, entre autres, au réaménagement de l’ancienne brasserie Molson, près du pont Jacques-Cartier à Montréal. Les développeurs ont présenté ce mois-ci un master plan plutôt inspirant. Il prévoit à terme 5 000 logements, dont 2 000 sociaux ou abordables, une promenade fluviale, un parc, etc. Le tout dans le respect du patrimoine industriel des lieux. A l’Est, un projet de 2,2 milliards est proposé pour transformer la place Versailles en un nouveau quartier mixte. Des progrès ont été réalisés dans les dossiers Hippodrome-Namur et Pont-Bonaventure. L’énorme projet de densification de la Place Fleur de Lys, à Québec, avance également. Il y en aura encore pendant des années, mais je sens une volonté de la part de plusieurs villes d’aider les promoteurs, plutôt que de leur nuire.
La construction redémarre
C’est un peu une surprise de fin d’année. On apprenait à la mi-décembre que les mises en chantier de logements locatifs avaient été spectaculaires au Québec en 2024, notamment à Montréal. Quelque 14 000 nouveaux appartements ont été achevés dans la métropole. C’est un peu moins que l’an dernier, mais ça reste très proche d’un record. Et c’est plus du double de ce qui a été réalisé à Toronto et à Vancouver. C’est une bonne nouvelle pour l’offre, car il y a beaucoup plus de logements disponibles. Pour preuve : le taux d’inoccupation a augmenté pour la première fois depuis la pandémie à Montréal, à 2,1 %. En revanche, ces logements neufs coûtent cher. Souvent même très cher. Dans la fourchette dite « abordable », soit en dessous de 1 150 $ par mois, le taux d’inoccupation reste inférieur à 1 %. Affamé4.
Vous l’aurez compris, la crise est encore loin d’être résolue. Celui de l’abordabilité, avant tout. Des dizaines de milliers de Québécois sont toujours sur des listes d’attente pour obtenir un logement social. Mais les quelques progrès réalisés en 2024, pris avec du recul, laissent encore une lueur d’espoir pour l’avenir.
1. Lire la rubrique « 1000 logements, 10 bâtiments, un modèle »
2. Lire la rubrique « « Superpouvoirs » aux villes »
3. Lire la chronique « Logement : sortir la carotte plutôt que le bâton »
4. Lire le dossier « Marché locatif : une offre en hausse… les prix aussi »