Le transport aérien des Québécois | Nos émissions de GES atmosphériques ont explosé

La croissance n’est pas durable. Pour compenser les GES provenant de l’essor du transport aérien chez les Québécois, il faudrait construire l’équivalent de deux projets de transport collectif comme le REM… chaque année.


Publié à 2h30

Mis à jour à 6h15

La comparaison est frappante dans un contexte où les États investissent des milliards dans le développement des transports publics – cela va de soi – tandis que les effets de l’essor des vols aériens passent inaperçus.

Il convient de noter que les vols aériens internationaux ne sont pas inclus dans le rapport d’inventaire national des gaz à effet de serre (GES) (le NIR) des pays, contrairement aux vols intérieurs.

Une des raisons : il est difficile de séparer les GES des vols internationaux entre résidents et touristes. Qui est responsable des émissions de GES des avions décollant et atterrissant à Dorval ?

Pas de comptabilité claire et donc pas de responsabilité, pas de tarification et pas de débat.

Maintenant, grâce à Statistique Canada, entre autres, j’ai réussi à estimer cette répartition résidents-touristes pour le Canada. Ainsi, on peut raisonnablement calculer que les deux tiers du kérosène brûlé par les vols internationaux du Canada sont attribuables aux voyageurs canadiens et un tiers aux touristes. Les chiffres sont similaires pour le Québec1.

Résultat ? Les GES aériens des voyageurs québécois représentent l’équivalent de 1,8 million de voitures sur nos routes. Ce calcul inclut les GES des voyages internationaux aller-retour (4,9 millions de tonnes) et ceux des vols intérieurs (900 000 tonnes).

La croissance est exponentielle. Depuis 1990 – année de référence pour nos cibles de réduction d’ici 2030 – les GES provenant des voyages des Québécois à l’étranger ont triplé. Par rapport aux équivalents automobiles, l’augmentation est plus importante, puisque dans le même temps, les véhicules circulant sur nos routes sont devenus beaucoup plus efficaces. Un tableau vaut mille mots.

Les années 2020 à 2022 ont réduit ces déplacements aériens, compte tenu du contexte pandémique. Mais en 2023, les voyages ont repris.

Le nombre de voyages des Québécois à l’étranger en 2023 a ainsi dépassé de 9 % l’année record de 2019, avec 4,7 millions de voyages. A noter qu’une personne qui effectue deux voyages dans une année représente deux voyageurs dans ce calcul.

Et le REM dans tout ça ? J’y arrive.

La grande majorité des écologistes sont d’accord : pour réduire nos GES, il faut développer les transports en commun, densifier les paysages urbains et ainsi réduire notre dépendance à l’automobile. Et je partage pour l’essentiel cette opinion.

C’est ce que nous avons fait avec le projet REM de la Caisse de dépôt et placement, dont la facture s’élève à environ 8 milliards. Et c’est ce qu’on veut faire avec le plan de mobilité québécois (tramway et autres), qui pourrait coûter 15,5 milliards, et avec le tramway pour l’est de l’île de Montréal, 18,6 milliards.

La réduction des GES n’est pas le seul objectif de ces projets, nous en convenons. Ils visent à améliorer la mobilité, notamment pour les personnes à faibles revenus, et à mieux développer l’économie. Et ils s’inscrivent dans un plan environnemental global. Néanmoins, l’argument GES lié à chaque projet est central.

Deux firmes d’ingénierie ont maintenant estimé les GES qui pourraient être économisés grâce au REM. Leurs rapports sont publics.

La firme Hatch a calculé que le REM réduirait les GES d’environ 35 000 tonnes pour sa première année d’exploitation.2. L’entreprise Systra, quant à elle, réalise 98 613 tonnes d’économies de GES chaque année, essentiellement grâce « au report modal de l’automobile vers le REM ».3 « .

Bref, il s’agit d’une réduction significative et récurrente des GES, ce qui représente entre 11 000 et 32 000 voitures de moins sur nos routes à long terme.

Mais faire le calculcomme disent les Américains : les déplacements des Québécois ont ajouté l’équivalent de 1,3 million de voitures entre 1990 et 2019. C’est donc l’équivalent de 45 000 voitures de plus qui se sont ajoutées sur nos routes chaque année avec ces vols.

Autrement dit, l’explosion des déplacements des Québécois a fait augmenter les GES environ deux fois plus vite, chaque année qu’un projet comme le REM n’a pas réussi à les réduire.

Il aurait donc fallu, depuis 1990, construire l’équivalent de deux projets de REM pour compenser nos déplacements… par année.

La comparaison peut paraître folle, mais elle illustre l’ampleur de l’impact des vols. Cela suppose bien sûr que l’augmentation annuelle des vols soit permanente, ce qui est moins sûr que la permanence de projets comme le REM, une fois construits. Mais au rythme où vont les choses, rien n’indique que le volume des vols va diminuer, bien au contraire.

En règle générale, les défenseurs du transport aérien répètent que les GES de ce mode de transport ne représentent que 1 à 2 % du total mondial. Ou que les biocarburants propulseront à terme les avions Boeing et Airbus de ce monde. Ou que ce sont les voyages d’affaires qui sont responsables, et non nos voyages de loisirs personnels.

Premièrement, les voyages d’affaires et de conférence représentent moins de 10 % du total des voyages au Canada, selon les données de Statistique Canada.

Ensuite, les biocarburants ne peuvent pas être produits en quantités suffisantes et, surtout, ils coûtent trois à quatre fois plus cher que le kérosène. On ne voit pas le jour où la facture baissera et où ce carburant remplacera le kérosène, pas plus que l’hydrogène d’ailleurs.

Enfin, pour la proportion de 1 à 2 % du total mondial que représentent les GES aériens, ce portrait inclut des pays peuplés et pauvres, qui utilisent relativement peu le transport aérien.

Au Québec et au Canada, la proportion de GES liée aux vols aériens est beaucoup plus importante. Selon mes estimations, cela représente 6,6 % du total des GES au Québec (en 2019) et 3,7 % dans le reste du Canada.4.

Le Québec a une part plus importante parce que ses GES totaux (le dénominateur) sont plus faibles, grâce notamment à l’hydroélectricité. Il n’en reste pas moins que cette part croît beaucoup plus ici que dans le reste du Canada (ROC).

Au Québec, il est passé de 3 % du total des GES en 1990 à 6,6 % en 2019, dernière année disponible hors pandémie. Un graphique vaut mille mots, l’ai-je déjà dit ?

Autre mesure de la croissance : les GES aériens représentaient 16 % de ceux des véhicules de tourisme en 1990 au Québec, mais 31 % en 2022. Au ROC, cette proportion est passée de 23 % à 31 % pour la même période.

Bref, nous avons d’énormes débats sur les milliards à investir dans les transports publics, mais l’impact de nos escapades sur les GES passe inaperçu. Il serait pourtant si simple de modérer nos transports aériens, de les espacer par exemple.

Oui, mais ne sommes-nous pas exemplaires par rapport à d’autres pays riches, comme les États-Unis, la France ou le Japon ? J’y reviendrai en détail mercredi.

Un grand merci pour leurs précieux conseils et informations à Jean-François Boucher, professeur d’écologie à l’UQAC, Cindy Gagné, responsable des projets spéciaux à Statistique Canada, et Pierre-Olivier Pineau, professeur spécialisé en énergie à HEC Montréal.

1. En plus des données de Statistique Canada sur les voyageurs et résidents internationaux entrant ou revenant au Canada (24-10-0054-01), j’ai fait des estimations en utilisant des données sur les GES émis par le kérosène des vols internationaux qui déclarent les principaux pays dans un sous-ensemble Excel. -dossier à l’ONU. Les voyageurs québécois se sont vu attribuer une part de GES canadienne plus importante que leur proportion de voyageurs canadiens, car la distance de leurs vols est plus grande (71 % des voyages s’effectuent à l’extérieur des États-Unis comparativement à 48 % pour la moyenne canadienne).

2. Consultez l’étude sur les gaz à effet de serre liés au REM de la firme Hatch

3. Consultez le rapport « Émissions de gaz à effet de serre du REM, phase exploitation » de la firme Systra

4. Pour faire le calcul, j’ai ajouté au total des GES de l’inventaire officiel ceux que j’avais estimés pour le transport aérien international. La part du transport aérien est la somme des GES des vols internationaux et intérieurs divisée par ce dénominateur.

 
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