Florissante mais manquant d’eau, l’agriculture espagnole contrainte de s’adapter

Florissante mais manquant d’eau, l’agriculture espagnole contrainte de s’adapter
Florissante mais manquant d’eau, l’agriculture espagnole contrainte de s’adapter

Premier producteur européen de viande de porc (avec 4,9 millions de tonnes en 2023, contre 3,8 pour l’Allemagne et 2,1 pour la France), l’Espagne est aussi le leader incontesté de l’huile d’olive, avec environ 45 % de la production mondiale. Mais le changement climatique, marqué par de récents épisodes de sécheresse, met à mal son modèle agricole, qui utilise 50 % du volume de précipitations annuelles stocké pour l’irrigation (contre 5 % en France). L’agriculture consomme près de 80 % de l’eau du pays. Bassins et retenues d’eau, tant décriés de ce côté des Pyrénées, se sont largement répandus. Cependant, début mars, L’Économiste, grand journal, a rapporté que celles d’Andalousie, la principale région agricole, se trouvaient à quelques points seulement au-dessus de 20% de leur capacité.

Un modèle qui atteint ses limites

Par ailleurs, les 765 usines de dessalement d’eau de mer que compte l’Espagne semblent atteindre leurs limites. Si les autorités ont lancé un programme de construction de plus d’1 milliard d’euros en 2023, le gouvernement est conscient que ce modèle ne peut être dupliqué à l’infini : les impacts environnementaux de cette technologie très énergivore sont importants, notamment les rejets de saumures. Et si l’Espagne vacille, c’est tout un pan de la souveraineté alimentaire de l’Europe qui est menacé. Les industries de transformation locales sont souvent citées en modèle, comme l’usine Heineken, située près de Séville. Le site vise à utiliser 2,6 litres d’eau, contre 5 litres en moyenne, pour produire 1 litre de bière.

Mais les efforts restent insuffisants par rapport aux besoins en eau des cultures. Depuis quelques mois, les constructeurs ralentissent. La production de l’industrie agroalimentaire a chuté de 1,8% sur la période janvier-juillet entre 2022 et 2023, et reste inférieure de 2,3% à son niveau d’avant Covid, note une étude de la CaixaBank publiée en octobre 2023. La sécheresse intense a alimenté l’inflation et accentué la baisse des volumes.

Deoleo, champion mondial de la production d’huile d’olive, connu notamment pour ses marques Carbonell et Carapelli, surveille attentivement l’évolution des précipitations. Les immenses parcelles d’oliviers qui entourent l’usine ont été mises à rude épreuve par les sécheresses : la production espagnole d’huile d’olive devrait être réduite de moitié pour ce millésime 2023-2024. Deoleo dit qu’il a limité le saignement. « La première année, nous avions des stocks dès la première étape de transformation. L’année dernière, nous avons augmenté nos approvisionnements vers le reste du monde, notamment en Italie où nous avons une autre usine », déclare Carlos Sanchez, directeur des opérations. Malgré les précipitations des dernières semaines, une nouvelle sécheresse serait fatale. “La survie des arbres est en jeu” souffle un expert local en huile d’olive. L’irrigation ne couvrira pas toutes les surfaces. Le sort de l’usine de Cordoue, qui a dû réduire ses cadences de production, dépend des parcelles qui l’entourent.

Tomates et oranges importées pour compenser les pertes

Face au manque de matières premières locales, les industriels adaptent leur stratégie d’approvisionnement. “La perte actuelle de la production agricole espagnole est partiellement compensée par les importations en provenance d’autres pays, par exemple des tomates ou des oranges du Maroc et d’Egypte”, soulignent les experts d’ING dans une note de septembre 2023. En plus de rechercher de nouveaux fournisseurs, les industriels peuvent s’efforcer de rendre plus résilients ceux qui les fournissent déjà : Deoleo indique participer à un programme d’adaptation au changement climatique pour les pratiques agricoles des oliveraies. Alors que les politiques environnementales encouragées par l’Europe sont dans une impasse à la fin de ce mandat, la situation espagnole donne un avant-goût des défis et des risques d’une mauvaise adaptation. « Les industries alimentaires espagnoles sont les premières bénéficiaires de la politique agricole commune (PAC). Ils veulent le statu quo. » peste Marta Guadalupe Rivera Ferre, professeur d’économie agricole à l’Université de Cordoue.

Fin 2023, trois chercheurs espagnols ont sensibilisé sur le sujet via Iddri, un think tank axé sur les questions de transition : « Les décideurs politiques de l’UE devraient réfléchir aux défis auxquels sont confrontés des pays (…) comme l’Espagne, et élaborer une nouvelle stratégie pour soutenir plus efficacement la résilience de l’eau (…). La réalité et les prévisions se heurtent au contenu de nos lois et de nos projets : en Espagne, une augmentation des terres irriguées est prévue pour la prochaine décennie ; on espère, sans preuves suffisantes, que les économies de consommation dues à la modernisation des systèmes d’irrigation actuels compenseront l’augmentation de la demande résultant de cette augmentation de superficie. Cette hypothèse ne prend pas en compte le paradoxe de Jevons selon lequel une augmentation de l’efficacité favorise une augmentation de la demande. Voilà l’Espagne, malgré elle, dans la position d’un laboratoire de transitions.

L’agroalimentaire, première industrie espagnole

11% du PIB en 2021

50 entreprises de plus de 500 salariés

9,1 milliards d’euros de produits exportés vers la France, son premier client, en 2021

(Source : Ministère français de l’Économie)


Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle 3730 – mai 2024
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