Situé au centre-ville de Noisy-le-Grand, sur l’une des plus grandes nécropoles de France qui abrite des sépultures datant de l’époque mérovingienne et carolingienne (entre le VIe et le XIe siècle), du nom du restaurant ouvert, à la fin du 2021, du chef étoilé Jacky Ribault, il y avait de tout : Les Mérovingiens*. Lorsqu’on entre dans cet établissement spacieux (70 places), les références faites à cette dynastie sont nombreuses, entre les épais rideaux de velours à l’entrée, les encadrements imposants, les rideaux en cotte de mailles qui séparent les tables et les peintures aux murs faisant revivre cette époque. , dont celui représentant Clovis, premier roi des Francs.
Assis devant une grande table ronde, notre hôte tape sur son téléphone et nous attend. Cheveux gris attachés, longue barbe hirsute et petites poches sous les yeux, Jacky Ribault a un visage à mi-chemin entre un Sébastien Chabal et un Vincent Cassel. “C’est drôle, les gens me disent souvent ça”répond l’intéressé. La comparaison s’arrête bien sûr à ces détails physiques car sa spécialité n’est ni le rugby ni le cinéma mais la cuisine. Propriétaire de deux autres restaurants Qui Plume La Lune, en 11e à Paris, et L’Ours, à Vincennes, pour lequel il a reçu à chaque fois une étoile Michelin (en 2014 et 2019), l’homme fait autorité dans son art. En 2017, sa participation à l’émission Toque Show, diffusée sur M6 et présentée par le cuisinier et animateur Norbert Tarayre, permet au grand public de le découvrir. Et pareil à noter qu’aucun défi culinaire (thème de l’émission) ne pourrait impressionner cet esthète fan du Japon.
Parce que Jacky Ribault aime les défis. L’ouverture d’une brasserie chic – mais pas inaccessible – à Noisy-le-Grand au lendemain de l’épidémie de Covid-19 en faisait partie. « Si j’avais choisi d’ouvrir Les Mérovingiens au 16e quartier, je doublerais mon chiffre d’affaires chaque annéenote le chef, avec sa plaisanterie inimitable et son franc-parler dévastateur. Mais ce n’était évidemment pas le but. La cupidité ne m’intéresse pas. Noisy-le-Grand est une commune que je connais bien pour y avoir vécu quelques années, je connais son potentiel. Aller à Paris où il y a une clientèle nombreuse et une multitude de possibilités n’avait aucun intérêt. J’aime les endroits où personne ne va. Bruyant, j’ai adoré, il y a de bons restaurants mais ce qui manquait c’était un endroit branché, avec une déco sympa et une cuisine qui sort des sentiers battus. En Seine-Saint-Denis aussi, les habitants ont de beaux palais, savent reconnaître les bons produits, ils ne sont pas plus bêtes qu’ailleurs. Je propose de la qualité à un prix juste : le midi, on peut manger pour 25 euros. »
« Clientèle variée, multiculturelle et jamais blasée »
Ouvert en novembre 2021 avec le chef exécutif Arnaud Baptiste (originaire de la ville et candidat à la saison 12 de Top Chef, ce dernier est parti au bout d’un an pour créer sa propre entreprise), le succès des Mérovingiens a été immédiat. La fréquentation dépasse largement les attentes (environ 5 000 invités par mois) et les bonnes critiques affluent. « Tant que la nourriture et le vin sont bons, pourquoi chercher ailleurs ? Les habitants du quartier et des communes voisines ont parfaitement compris qu’il ne sert à rien d’aller à Paris où se garer est devenu cher et impossible et qui est à plus d’une heure en cas de forte affluence.explique Jacky Ribault, qui regrette que d’autres chefs étoilés n’aient pas eu le courage de quitter Paris pour franchir le Rubicon. En effet, depuis que Jean-Claude Cahagnet, chef de l’Auberge des Saints-Pères, à Aulnay-sous-Bois, a renoncé à son étoile en 2023 et que Camille Saint-M’Leux (une étoile) a récemment rendu son tablier à la Villa9Trois, à Montreuil. , pour ouvrir un nouveau lieu dans le 16eLa Seine-Saint-Denis ne compte plus aucun restaurant labellisé le sacro-saint petit guide rouge. « A défaut d’un restaurant étoilé Michelin, un chef de bonne réputation suffit amplement à asseoir la notoriété d’un lieu. J’aimerais vraiment ouvrir la voie, donner envie à mes collègues de me rejoindre pour bénéficier d’une clientèle variée, multiculturelle et jamais blasée.ajoute Jacky. La Seine-Saint-Denis est un département dynamique et ce n’est qu’un début car avec le Grand Paris, on va voir arriver de plus en plus de familles. Les gens ne peuvent plus acheter à Paris et redécouvrent la banlieue. »
A la carte, les plats du jour cuisinés par Alexandre, chef transfuge de L’Ours, font saliver. On ne sait que choisir entre les gambas sautées au zaatar libanais (mélange d’épices traditionnel), le hot dog au homard, les pétoncles façon plancha, la blanquette de veau à l’ancienne et la bavette. Surlonge à partager. Et quand vient l’heure du gâteau au chocolat, vos papilles s’extasient et se mettent à souhaiter que ce moment ne finisse jamais. « Je cuisine sans chichi où seule la notion de plaisir compteexplique le chef. Star ou pas, vous devez toujours respecter vos clients. La décoration, soigneusement choisie, a été conçue à l’image de celle de mes deux autres établissements, avec des matériaux nobles et de qualité. »
Si succès et honneurs l’accompagnent aujourd’hui, notre cordon bleu a parcouru un long chemin. Issu d’une famille nombreuse (sept enfants) et sans le sou originaire d’Ille-et-Vilaine, Jacky s’est sali les mains en cuisine dès son plus jeune âge. « Mon père, qui cuisinait excellemment, m’a fait découvrir et m’a donné le goûtconfie-t-il. Il travaillait sur les marchés et je l’accompagnais souvent étant enfant. Le mercredi, c’était moi qui m’occupais de la cuisine mais, en général, c’était un échec (rires). Je m’occupais également des animaux de notre ferme. La traite des vaches et le vêlage étaient toujours à mon avantage. » A 14 ans, il entre comme apprenti dans une brasserie gastronomique à Rennes. Une première expérience qui aurait pu le dissuader de cuisiner tant les conditions étaient rudes, mais il s’est retenu et a encaissé les coups sans broncher. Cette force de caractère le propulse à La Fontaine aux Perles, restaurant étoilé où en l’espace de deux ans, il passe de commis à commis de cuisine. Mais Jacky est agité et veut autre chose. La mort de son père alors qu’il avait 20 ans le convainc de quitter la Bretagne. Il s’installe à Chamonix où il trouve du travail dans un hôtel. « Pâtissier, aide-cuisinier, je faisais un peu de tout, je me noyais dans le travail mais j’en garde un très bon souvenir. »
-Deux étoiles en cinq ans
Après une expérience à l’hôtel Ermitage à Zurich en Suisse, le jeune homme part tenter sa chance à Paris. Il apprend la cuisine lyonnaise au Bouchon de la Grille, établissement aujourd’hui fermé, qui remporte lors de son séjour le titre de « meilleur bistrot de l’année », décerné par Gault et Millau. Attiré par les stars, il postule auprès de maisons prestigieuses. Son profil le séduit et l’amène à L’Arpège, chez Alain Passard, puis à Taillevent sous la direction de Philippe Legendre, « un maître incontesté. » La pâtisserie étant son hobby, il cible Pierre Hermé, qui accepte de le recruter chez Ladurée, sur les Champs-Élysées, « après trois essais et après avoir beaucoup insisté ». Vibrant, doué d’une soif inextinguible de découverte et d’apprentissage, Jacky part polir ses casseroles et couteaux au Shozan, un restaurant franco-japonais du 8e arrondissement. Nous sommes à l’aube des années 2000, la cuisine japonaise est encore peu connue des palais français. « Je suis parti cinq mois à Tokyo pour apprendre les bases de cette cuisine, j’ai été frappé par sa richesse »note le chef. Mais le panneau se ferme. Son agent l’envoie alors chez Tsé, un restaurant chinois situé porte d’Auteuil. « Une grande brasserie dont j’étais le chef, mais où j’avais le sentiment de ne pas maîtriser grand chose, entre un personnel qui ne parlait que le mandarin et une cuisine que je ne connaissais pas. » Qu’à cela ne tienne, Jacky Ribault finit par imposer sa patte.
La quarantaine, alors que ses cheveux et sa barbe grisonnent, le cuisinier souhaite s’émanciper. De cette liberté retrouvée naît en 2010 son premier restaurant, Qui Plume la Lune, rue Amelot, à Paris. La presse est enflammée. Le guide Michelin est également tombé sous son charme, qui lui a décerné une étoile en 2014. Jacky entre dans l’élite de la gastronomie française. Sa vie change. La télé lui fait des yeux. L’émission Toque Show, sur M6, lui a apporté une notoriété supplémentaire qui lui a permis de convaincre ses banquiers d’ouvrir un deuxième établissement, l’Ours, à Vincennes, en 2018. ” bête “comme il aime l’appeler, obtient une étoile l’année suivante. «Je ne suis pas ambitieux, aujourd’hui je suis largement satisfaitassure-t-il. Plus je vieillis, plus j’aime les choses simples. Je serai vraiment heureux le jour où je pourrai déménager dans une maison à la campagne et voir pousser mes plantes. Le temps est toujours ce qui me manquait. » En attendant, le dirigeant consacre un tiers de ce temps précieux aux Mérovingiens qui, compte tenu de leur popularité – et contrairement à la dynastie mérovingienne – n’est pas près de s’éteindre.
Grégoire Remund
Crédit photo : ©Nicolas Mouldard
* Les Mérovingiens – 32 avenue Émile Cossonneau, Noisy-le-Grand – Open Tuesday to Saturday, 9:30 a.m. to 1 a.m.