Allier art et technologie est un défi pour Fabienne Giezendanner, dont le projet « Bloom » a été présenté l’automne dernier lors d’un festival de réalité virtuelle à Prague. Elle parle de la place de la VR en Suisse et de la possibilité d’avoir deux passeports.
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3 janvier 2025 – 10h30
Pour rappel, la réalité virtuelle (VR) est une forme artistique liée à la technologie qui lui donne forme. Participer à une « expérience » de ce type, que ce soit en VR ou en réalité étendue (RX), qui allie virtuel et réel, suppose d’enfiler un casque en plastique. Mais les charmes de l’illusion peuvent être brisés au moindre dysfonctionnement. Dès que des fils s’emmêlent autour des chevilles ou des poignets ou que des bruits du monde extérieur ou des sensations corporelles interfèrent.
L’artiste qui s’y mêle doit en principe aussi avoir une certaine idée de programmation dans son bagage. Si ce n’est pas le cas et que son ambition artistique dépasse ses compétences technologiques, il doit alors faire appel à un développeur, dont le réalisme technique peut restreindre la vision artistique initiale.
Ces limites formelles m’ont interpellé en octobre dernier à Prague lors de ma visite au Festival de Réalité Virtuelle et d’Art Immersif (ART*VR). Au DOX Contemporary Art Center, où se déroulait le festival, un espace accueillait des projets sélectionnés par les commissaires et pour lesquels le public était invité à enfiler n’importe quel casque. A un autre étage, pour les projets en compétition, un casque spécifique était dédié à chacun d’entre eux.
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Si la réalité virtuelle est considérée comme un art futuriste, la technologie qui la sous-tend reste primitive. En raison de contraintes techniques, de l’inconfort des casques et d’un risque avéré de nausée, les projets dépassent rarement les 25 minutes. La plupart des projets sont des films d’animation conçus par ordinateur ou des petits films tournés dans le monde réel avec des caméras à 360 degrés.
A y regarder de plus près, les graphismes utilisés pour ces animations ne seraient pas déplacés dans un jeu vidéo datant d’il y a dix ou quinze ans. Quant aux courts métrages baignés dans l’hyperréalisme, la plupart souffraient de compressions parfois trop visibles avec des ciels remplis de pixels.
A noter que tous les casques fournis provenaient de Meta, la société mère de Facebook, qui domine le marché de la production et de la distribution de ces appareils.
Un artiste VR suisse
Parmi les projets présentés, celui de l’animatrice 2D Fabienne Giezendanner intitulé « Bloom ». C’est à l’aube de cinquante ans (elle a 57 ans aujourd’hui) que cette Franco-Suisse a été attirée par les opportunités artistiques qu’offrait l’espace virtuel. Mais elle n’a jamais cessé lors de notre entretien de souligner que son travail était limité par le champ des possibles.
Fabienne Giezendanner, artiste RV
Michal Hančovský
« Cela peut être frustrant en tant qu’hôte. Je peux commander chez mon designer une dizaine d’oiseaux et il me dira que trois suffiront sinon ils seront trop petits. C’était encore pire lorsque j’ai commencé à m’intéresser à cet art en 2016. Disons qu’il convient désormais de s’en tenir à environ 200 mégaoctets par clip. Mais c’est difficile de garder le cap et l’adaptation est permanente », explique-t-elle.
Une série de contingences au niveau de la forme peuvent impacter la narration. « Pour un artiste immersif, c’est un véritable défi d’écrire des scénarios au conditionnel puisqu’il faut donc penser de la manière suivante : si le spectateur a l’œil fixé sur l’oiseau, une autre animation doit emboîter le pas. Mais attention, si vous réfléchissez trop loin, vous avez mal à la tête. C’est le soir en mangeant que je comprends les possibilités offertes », raconte-t-elle.
Une forêt numérique
La réalité virtuelle en est encore à ses balbutiements. Bon nombre des projets présentés l’automne dernier à Prague présentaient des caractéristiques identifiables. Le critique de cinéma Roger Ebert a un jour qualifié le cinéma de « machine à empathie ». C’est aussi devenu une manière de mythifier la réalité virtuelle.
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Dans ce festival, le public était « en situation » avec la possibilité de se glisser, par exemple, dans la peau de femmes souffrant de fausses couches ou de psychoses post-partum. L’occasion également d’assister aux mauvais traitements infligés aux « femmes de réconfort » coréennes pendant la Seconde Guerre mondiale, pour ne citer que deux exemples. Une œuvre hautement écrite et expérimentale comme « Oneroom-Babel » (2023) de l’artiste Lee Sang-hee a également été décrite comme une réponse à la crise du logement.
« Bloom » nous invite à un véritable cauchemar climatique se déroulant dans les rues d’Ornans en France. Où habite Fabienne Giezendanner. Ville natale de Gustave Courbet. Dans l’œuvre franco-suisse, le musée qui est dédié dans cette ville au peintre du 19e siècle est littéralement consommé. Les cendres tourbillonnent autour du bâtiment. On entend des sirènes au loin. La panique s’installe. Mais alors un oiseau apparaît guidant l’utilisateur vers une forêt pour échapper à la chaleur. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à regarder mes mains derrière la visière du casque. Mes propres mains. Des brindilles sont apparues. Mes poignets étaient couverts de mousse et ma main gauche était fleurie. J’étais la forêt.
J’ai ensuite demandé à l’animatrice comment elle faisait pour relever ce genre de défis et quelles contraintes elle devait surmonter. «J’écris d’abord une histoire», m’a-t-elle expliqué. « Avec mes collaborateurs, on assemble ensuite des sons, puis on passe aux animations de base. C’est ce qui s’est produit avec l’oiseau qui déclenche l’action dans « Bloom ». Vient ensuite la phase de fond. Fabienne Giezendanner précise que les spécialistes en programmation peuvent « proposer des déclencheurs dans ce monde imaginé ».
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Réalité virtuelle en Suisse
Fabienne Giezendanner, née en Suisse, vit et enseigne en France avant tout pour des raisons pragmatiques. «J’ai les deux passeports. Je peux facilement me déplacer d’un pays à l’autre en fonction des financements disponibles pour monter mes projets. Avoir les deux passeports est une véritable opportunité pour les artistes comme moi. Si un producteur se déclare dans l’un des deux pays, je peux être coproducteur dans l’autre, ce qui facilite grandement la situation”, explique-t-elle.
La communauté qui s’articule autour de la fiction immersive émerge en Suisse. Malgré le fait que des acteurs essentiels participent aujourd’hui activement à son expansion et à une meilleure diffusion de ce type d’œuvres d’art.
Selon Fabienne Giezendanner, cette communauté est comparativement beaucoup plus dense en France. « Avec des maisons de coproduction, des financements, des commissaires », énumère-t-elle. «En Suisse, nous avons le Festival international du film de Genève (GIFF) (où son travail a été présenté en avant-première, ndlr) qui est fantastique. Mais c’est vrai que nous n’en sommes qu’au début. En Suisse, où les salaires sont élevés, il y a moins de personnes qui souhaitent se lancer dans des projets liés à la réalité virtuelle.»
Si financer des projets est une chose, connaître ce sujet précis en est une autre. La réalité virtuelle ne s’est guère imposée dans l’esprit de nombreux jeunes artistes en Suisse, car cette forme d’art nécessite des connaissances de base en technologies de programmation.
« La plupart de mes étudiants viennent du cinéma, du théâtre, de l’animation ou de la danse. Dès qu’ils commencent à comprendre comment tout cela fonctionne, beaucoup imaginent que tout est possible. Mon travail consiste à leur dire que rien n’est possible », rigole-t-elle. Fabienne Giezendanner ajoute que ses élèves doivent avant tout réfléchir à des progressions logiques en se mettant à la place des utilisateurs. « Je n’aime pas vraiment les expériences passives. J’aime que le public sache pourquoi il participe à une expérience », dit-elle.
Les possibilités et les pièges
Toutes les formes artistiques sont limitées par leurs propres techniques. Mais une fois que, avec le soutien des technologies, ils peuvent être libérés des contingences formatrices, ils peuvent s’épanouir et se complexifier.
Il faut penser au cinéma, cousin éloigné de la réalité virtuelle malgré des similitudes très relatives. Les films numériques comme le populaire documentaire machinima Grand Theft Hamlet (2024) peuvent désormais être produits sans une seule caméra, distribués sans jamais être projetés en salle (même si ce n’était pas le cas pour Grand Theft Hamlet), et toujours être considérés comme des « films ». .
Mais peut-être que je suis trop coincé dans l’ancien monde. Quand j’ai vu « Bloom » de Fabienne Giezendanner, mon esprit n’a pas pu se détacher de la présence de fils gênants entre la visière de mon casque et les écouteurs. Autre bémol : avec une visière mal ajustée, l’effet virtuel était atténué par la vue de mes genoux visibles en petit angle dans le creux de mon nez. C’est le genre d’obstacles qui empêchent l’effet souhaité.
Ce festival a donné au public l’opportunité de s’immerger dans des mondes numériques, proches par certains égards du jeu vidéo, et au milieu d’espaces où plusieurs personnes étaient parfois rassemblées et connectées sans contingences temporelles. Se lancer dans ces mondes a apparemment ravi de nombreuses personnes. Preuve que les portes des possibles s’ouvrent peu à peu.
Relu et vérifié par Catherine Hickley/traduit de l’anglais par Alain Meyer/kr
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