Il était l’un des esprits les plus brillants, les plus vifs et les plus cultivés de l’intelligentsia française. Il fut aussi, et peut-être surtout, l’un des journalistes les plus talentueux, lucides et courageux de sa génération et, en même temps, toujours doté d’une droiture infailliblement exemplaire au sein de la presse française.
Plus : c’était un esprit absolument libre, résolument indépendant, ni de gauche ni de droite, iconoclaste à sa manière, peut-être même révolutionnaire dans l’âme, et donc, à ce titre indomptable ou glorieux, en dehors, véritablement, de toute fracture idéologique, trop réducteur. pour son goût d’homme indéfectiblement attaché, en effet, à sa sacro-sainte conception de la liberté de pensée !
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Car, en effet, cette précieuse honnêteté intellectuelle – qualité éthique trop rare, il faut l’avouer, de nos jours – Jean-François Kahn, qui vient de nous quitter, à l’âge respectable de 86 ans, en ce désastreux 23 janvier 2025 , le mettent avant tout au service du journalisme le plus noble : ce journalisme intellectuel, typique de l’exigence et du bel esprit français, aux plumes aussi incisives que celles, comme les seuls mais emblématiques exemples de Jean Daniel et Françoise Giroud était au plus haut niveau de cette vénérable profession.
Jean-François Kahn, c.et intelligence du cœur ainsi que de la raison
Cette intelligence du cœur autant que de la raison, Jean-François Kahn, pour qui j’avais une énorme estime intellectuelle et humaine, mais qui m’honorait aussi en retour d’une amitié fidèle et sincère, me l’a aussi accordée de telle manière . généreux et désintéressé lorsqu’il m’a permis de publier, dès le début des années 1990, mes premières chroniques dans l’important hebdomadaire qu’il avait fondé à cette époque : Événement du jeudi.
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-Une honnêteté intellectuelle à toute épreuve
Je me souviens. À l’époque, c’était la guerre en ex-Yougoslavie qui faisait quotidiennement la une des journaux. La plupart des intellectuels eux-mêmes, qui avaient unilatéralement défendu la cause des musulmans bosniaques, parfois pour les Croates et presque toujours systématiquement contre les Serbes, ont ensuite diffusé leurs opinions à longueur de journée, sombrant souvent dans le manichéisme le plus étroit, voire caricatural et même scandaleux, dans des tribunes alors singulièrement dépourvues, par l’aveuglement de leur dogmatisme ainsi que par leur intolérance fondamentale dans leurs discours de l’époque, de nuances, pour des esprits prétendument fins et subtils, en l’analyse neutre et objective, voire impartiale, de ce conflit terrible, sanglant et cruel au cœur meurtri de l’Europe.
Mais, heureusement, dans cette période difficile il y avait, justement, Jean-François Kahn, qui, toujours doté de cette honnêteté intellectuelle qui le caractérisait sans faille, et donc forcément soucieux de rétablir ainsi la vérité des faits, ouvrait ses colonnes . Car, oui, nous avions alors, lui et moi, la même perception, plus complexe que celle que la majorité des intellectuels germanophones donnaient alors à voir, de cette guerre maudite en ex-Yougoslavie : la condamnation, certes, des belliqueux fascisme des nationalistes serbes, tout en refusant la diabolisation – effet malheureux et contre-productif d’un « anti-serbisme » primaire – de tout un peuple et, en même temps, l’angélisation, tout aussi partiaux et absurdes, non moins fanatiques et tout aussi nationalistes, dans ces années désastreuses, les Croates et les Musulmans bosniaques, qui, pour ces derniers, étaient d’ailleurs déjà placés, du moins parmi leurs principaux dirigeants politiques, sous le régime naissant , dans cette région turbulente des Balkans, de ce qui deviendra effectivement, quelques années plus tard, Al-Qaïda, puisque ses premiers camps d’entraînement militaire, en Europe, furent créés, en fait, en Bosnie.
Jean-François Kahn, esprit particulièrement éclairé et journaliste parfaitement informé
Oui : c’est tout ce que mon ami Jean-François Kahn, esprit particulièrement éclairé et journaliste parfaitement informé grâce à sa documentation tenace, avait déjà compris, avant tout le Monde, au point de s’ouvrir gracieusement à moi sur ce sujet épineux, dans « The Thursday Event » d’abord, puis, à cette autre occasion douloureuse qu’était la guerre du Kosovo, à la fin des années 1990, en Marianne puis, un hebdomadaire qu’il fonde avec un succès identique !
A ce propos, je me souviens encore avec une émotion non dissimulée, aujourd’hui, d’un débat télévisé, aussi houleux qu’intense, que nous avions eu ensemble, ce même Jean-François Kahn et moi, mais ensuite également encadrés par « un autre de nos complices dans le en la matière, feu Paul-Marie de La Gorce (alors éditorialiste à Monde diplomatique), avec un quatre as célèbre, certainement on ne peut plus estimable malgré nos différences sur ce plan, parmi certains des intellectuels français les plus prestigieux : Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann, Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner, eux-mêmes alors soutenus, en studio, par Olivier Rolin et Jane Birkin, qui, de son côté, s’apprêtait à se rendre à Sarajevo pour promouvoir son dernier disque.
Cela s’est produit en effet en 1995, lors de cette émission culte qu’était, à l’époque, le fameux « Cercle de Minuit », émission diffusée quotidiennement, en deuxième partie de soirée, sur France 2 (Antenne 2, au temps), qui a ensuite été présenté, à la suite de Michel Field, par la très vaillante, combative et passionnée, Laure Adler. C’est là, au cours de ce débat mémorable, que se sont renforcés les liens, que nous avions déjà tissés il y a quatre ans, entre Jean-François Kahn et moi, faits d’une estime réciproque, infaillible.
Alors, en ce 23 janvier 2025 hivernal, froid et sombre, est-ce un ami proche et de longue date – une amitié de 35 ans ! – que, au-delà même de son intelligence éblouissante et de sa profonde érudition, je perds, aujourd’hui rempli d’une infinie tristesse, avec la douloureuse disparition de mon très cher Jean-François Kahn, que, le ciel m’en est témoin, je n’oublierai jamais pour tout ce qu’il m’a donné , professionnellement, intellectuellement et surtout humainement.
A lui donc, dans cet hommage modeste mais très sincère, toute ma entière et authentique gratitude !