Les performances de la France en mathématiques et en sciences sont aussi mauvaises qu’il y a quatre ans, selon le classement général Timss.
Les contorsions du ministère de l’Éducation nationale autour de la notion de « verre à moitié plein ou à moitié vide » n’y changeront rien. Les résultats de la France en mathématiques et en sciences sont tout aussi mauvais qu’il y a quatre ans. Le bilan international Timss 2023 (1), publié le 4 décembre, place la France dans une position stable par rapport à 2019, mais toujours en bas du classement.
En mathématiques, discipline à laquelle le gouvernement français a consacré un plan de formation des enseignants du primaire, les élèves français de CM1 et de CM1 – les deux niveaux évalués – arrivent respectivement en dernière et avant-dernière position parmi les pays membres de l’Union européenne. Ils sont inférieurs à la moyenne de l’OCDE. Une position quasiment identique à Timss 2019.
En 42e Position au classement général en CM1 (avec un score de 484 points), la France présente, à ce niveau, des résultats comparables à ceux de la Belgique francophone ou de la Nouvelle-Zélande, loin derrière l’Angleterre (552), la Pologne (546), la Roumanie ( 542), en Suède (530) ou en Allemagne (524). En quatrième année, elle se classe 24e (avec 479 points), proche du Portugal, d’Israël et des États-Unis, mais loin derrière l’Angleterre (525), l’Irlande (522), la Suède (517), l’Autriche (512) ou la Hongrie (506).
Une France engluée dans la médiocrité ? « Sans être triomphant, on peut être un peu plus optimistedares the Rue de Grenelle. On ne peut évidemment pas se satisfaire de ces résultats, mais la France reste stable, alors que d’autres pays de l’Union européenne affichent un déclin. C’est peut-être une des conséquences du plan mathématiques, mis en place depuis 2019. » Il est vrai que, si la tendance globale dans l’OCDE est à la stabilité – avec une moyenne quasiment identique par rapport à 2019 -, les Etats-Unis subissent un recul spectaculaire (- 18 points en CM1 et – 27 points en quatrième !). Le Portugal, qui avait bien progressé ces dernières années dans le classement international de Pise, a également enregistré un recul (-25 points en quatrième position). Mais, dans le même -, la Roumanie réalise des progrès fulgurants (avec un bond de 60 points en CM1 et 17 en quatrième !), tandis que l’Angleterre progresse significativement en quatrième (+10 points) et la Pologne en CM1 (+26 points).
« Depuis trente ans, la France a tendance à reculer dans ce classement. La stabilité que nous observons aujourd’hui est peut-être annonciatrice d’un rebond », veut croire Thierry Rocher, membre de Depp, le service d’évaluation de l’Éducation nationale, et actuel président de l’IEA (2), cette association scientifique internationale qui, depuis les années 1960, a imaginé de nombreuses évaluations, parmi lesquelles Timss. « Un maths, 97 % des articles Timss sont dans nos programmes CM1, et 93 % dans ceux de quatrième », ajoute-t-il. Il n’y a donc théoriquement aucun parti pris qui nuirait à la France.
Mais en classe, la réalité est bien différente. « Si les décimales doivent être abordées dès novembre de l’année de CM1, en effet, seulement 10 % des classes le font, explique le mathématicien Charles Torossian, co-auteur, avec le médaillé Fields Cédric Villani, d’un rapport sur l’enseignement des mathématiques livré en 2018. Et 25 % commence après mai… » Date à laquelle a lieu l’évaluation internationale. Pourquoi ce retard ? Les enseignants des écoles ont tendance à reporter ce moment par crainte des difficultés des élèves, reflet de leurs propres défauts. En septembre 2023, le Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN) tirait également la sonnette d’alarme, en publiant une note pointant un « énorme déficit dans la compréhension des fractions » dès son entrée en sixième année. À la question « Combien y a-t-il de quarts d’heure dans 3/4 d’heure ? »seule la moitié des élèves sortant du CM2 a donné la bonne réponse.
Faible proportion d’étudiants très performants
A l’heure du Timss 2023, le ministère de l’Éducation nationale avance que les nouveaux programmes pour l’école primaire – publiés en octobre, ils entreront en vigueur en septembre 2025 – débutent l’apprentissage des fractions et des décimales dès le CE1. Des programmes aussi plus explicites, qui intègrent davantage de manipulations et d’expérimentations, comme la fameuse « méthode de Singapour ». « Le but est de favoriser l’acquisition d’automatismes en mathématiques », explains Rue de Grenelle.
Des automatismes qui sont loin d’être acquis si l’on regarde la proportion d’élèves qui ne maîtrisent pas les compétences mathématiques de base. En CM1, ils sont ici 15%, contre 7% dans l’UE. En quatrième année, ce taux atteint ici 17 %, soit 5 points de plus qu’en 2019. Une progression d’autant plus inquiétante que la proportion d’élèves performants reste stable, à 3 %. Sur ce point, les comparaisons avec d’autres pays sont vertigineuses : ces étudiants de « niveau avancé » sont 9 % en Roumanie, en Hongrie et en Irlande, voire 15 % en Angleterre. Cette future élite atteint même 46 % à Singapour et 40 % en Corée, dans ce classement largement dominé par les pays asiatiques.
La formation continue des enseignants toujours à la traîne
« Depuis le plan mathématiques lancé il y a cinq ans, 85 % d’enseignants des écoles ont été formés, en petits groupes, à raison de 30 heures tous les six ans et 9 heures chaque année. À Singapour, il est 100 heures par an ! », observe Charles Torossian, qui dirige désormais l’institut chargé de la formation des cadres de l’éducation nationale (IH2EF). Il décrit, dans ce petit pays asiatique, des écoles qui sont de « grandes usines de formation », où la moitié des écoles françaises sont de petites structures. « En France, tout repose sur les épaules des enseignants, il résume. En Allemagne, pays auquel on peut se comparer, ce n’est pas le cas. » Quant à la formation continue des enseignants des collèges et lycées, elle n’est pas obligatoire. Et quasiment inexistant. La faute en revient au décret de 1950, toujours en vigueur, qui fixe une durée hebdomadaire de travail (15 heures pour les diplômés et 18 heures pour les titulaires de Capes) et ne permet pas d’annualiser le - qui pourrait être consacré à la formation. « En Espagne ou au Portugal, les horaires annualisés permettent de former des enseignants au sein des établissements », ajoute-t-il.
Pour le mathématicien, les difficultés des élèves français en mathématiques tiennent moins à la discipline elle-même qu’à l’organisation du système éducatif dans son ensemble. « Les chefs d’établissement doivent être formés au management. La marge de progrès viendra de l’organisation et de la capacité des établissements à se transformer en lieux d’apprentissage pour les enseignants. », il croit.
Championne de France des écarts filles-garçons
Pourtant, l’apprentissage des mathématiques en France est bel et bien marqué par une spécificité. En CM1, l’écart entre filles et garçons ne cesse de se creuser à l’avantage de ces derniers, au fur et à mesure de l’évolution du classement Timss : 6 points en 2015, 13 points en 2019 et 23 points en 2023. La France est championne en la matière, à égalité avec Australie, Italie, Portugal ou Belgique. A l’inverse, l’écart n’est pas significatif en Roumanie, en Irlande et en Bulgarie. En Finlande, les filles ont même l’avantage. En France, le décrochage scolaire des filles se manifeste dès la première année. « Leurs résultats se dégradent, alors qu’en grande section maternelle ils sont équivalents à ceux des garçons, nous confirmons à l’Education Nationale. Peut-être parce qu’on commence à parler de mathématiques dès le CP. » Et les stéréotypes ont la vie dure. « Le plan de mathématiques prendra en compte cet élément dans la formation des enseignants pour combler les lacunes », promet-on.
« Les stéréotypes filles-garçons liés aux mathématiques sont encore très présents. A cela s’ajoute le fait qu’en France les mathématiques renvoient toujours l’image d’une matière sélective, explique Sébastien Planchenault, à l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (Apmep). L’annonce récente du ministère d’établir un test de mathématiques en première année en 2026 confirme cette idée ».
(1) Réalisée tous les quatre ans, l’évaluation Timss (Trends in Mathematics and Science Study) a porté, en 2023, sur 58 pays (dont 22 Membres de l’UE et 29 membres de l’OCDE) pour le grade 4 (l’équivalent du CM1) et 43 pays (dont 22 membres de l’UE et/ou de l’OCDE) pour le grade 8 (l’équivalent de la quatrième année). En France, 4 700 élèves de quatrième année et 4 500 collégiens de quatrième année ont passé les tests.
(2) Association internationale pour l’évaluation des résultats scolaires.