D’un 20h avorté à l’autre. Le 18 septembre, Michel Barnier a failli s’inviter à cette grande messe télévisée. Non pas pour révéler son gouvernement, mais pour jeter l’éponge. Le Savoyard est alors affligé par les caprices de ses alliés, déjà soupçonnés de privilégier leur boutique au détriment de leur pays. Sa lettre de démission est prête. Il faudra toute la diplomatie de Gérard Larcher pour éviter le pire. « Prenez 24 heures pour réfléchir », exhorte le président du Sénat. Le négociateur du Brexit suit ce conseil avisé et forme son équipe. Il rêve vite de réformes structurelles, sa « ligne d’horizon ». Le JT et Michel Barnier, une compagnie douloureuse. Un homme au bord du gouffre recevait ce mardi 3 décembre TF1 et France 2, à la veille d’une probable censure.
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La situation est grave, son cabinet a contacté les deux chaînes pour cet entretien solennel. Avec une demande de délocalisation de la maintenance à Matignon. « Cela l’élève à un poste plus élevé que le sien », sourit un proche. Un quart d’heure présidentielle, en l’absence d’un an rue de Varenne ? Le sort de Michel Barnier semble scellé. Le Rassemblement national a décidé d’unir ses voix à celles de la gauche pour faire tomber le gouvernement, malgré des concessions en cascade sur le budget de la sécurité sociale. Avant l’émission, un partisan du Premier ministre lui soumet trois interventions possibles. Un simple appel à la responsabilité, sage mais sans chance de succès. Une attaque de grande ampleur contre le RN, formation d’un populisme incorrigible. Ou une ultime concession sur les retraites pour mettre l’extrême droite au pied du mur.
Entre testament politique et dernière chance
Michel Barnier invente une curieuse quatrième voie. Le chef du gouvernement nourrit son éternelle ambivalence envers le RN, diable de la République et faiseur de roi. Ainsi, il pointe du doigt Marine Le Pen, qui se livrerait à « une sorte de surenchère ». “Je ne veux pas entrer dans une forme de chantage”, dit-il, refusant tout nouveau geste sur l’indexation des retraites, la ligne rouge de l’extrême droite. Le voilà habité par une modestie sans précédent. L’évocation de Marine Le Pen dans un communiqué de Matignon sur l’absence de remboursement des médicaments en 2025 ? «C’était le dernier à en parler», se défend Michel Barnier. “Cette exigence figure également dans les propositions de la gauche.” Lequel cite également Laurent Wauquiez, apôtre d’un geste envers les retraités.
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Dans le même -, Michel Barnier multiplie les appels phares auprès des députés RN, avec les votes décisifs mercredi. Il ne leur concède certainement aucune victoire culturelle, sur l’immigration ou l’identité. Elle joue plutôt sur l’effet répulsif d’un vote commun avec la gauche, invariablement qualifiée d’« extrême gauche ». Le Savoyard déroule le CV abrasif de La France insoumise. Ici, une proposition visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme. Là, un incident provoqué lors d’un hommage rendu ce mardi à René Couanau, ancien député décédé le 30 novembre. Et puis, il y a cette motion de censure déposée par le NFP, citée par le chef du gouvernement devant les Français. Ne vise-t-il pas les « viles obsessions » de l’extrême droite ?
C’est ce que dit Michel Barnier. Il ne s’adresse pas à une gauche réfractaire mais au RN, tout en mettant des épines sur sa main tendue. L’opération de séduction prend la forme d’une attaque de pression. “Ils veulent nos voix et pas nos têtes, ça fait quarante ans qu’on vit ça !”, s’agace Marine Le Pen dans Le monde le 28 novembre. Elle parlait des électeurs. Le Premier ministre craint le visage du patron des députés RN, moins le visage de ses ouailles. Cette tentative est aussi un appel aux « onze millions d’électeurs » du RN aux législatives, comme le souligne le Premier ministre.
« Le Premier ministre ne pouvait qu’échouer »
Michel Barnier et le RN. L’ancien commissaire européen est placé « sous surveillance » depuis sa nomination. La nécessité est la loi. Il doit envoyer des gages à cette formation pour sauver sa tête. Mais le chef du gouvernement veut dans le même - s’immuniser contre tout procès en collusion avec le RN, accusation lancée par certains alliés du « socle commun », avec lequel la corruption n’a jamais pris racine. Négocier avec l’extrême droite vous impose une obligation de résultat. Sans succès, il n’y a personne pour vous défendre. « Nous pourrions l’excuser s’il y avait une vraie affaire et une absence de censure. Sinon, il sera perdant sur tous les tableaux», a confié lundi le député de l’Ensemble pour la République (EPR) Jean-René Cazeneuve, gêné par le communiqué. de Matignon citant Marine Le Pen. Cet « accord » n’aura pas lieu. « En inscrivant son budget dans la continuité catastrophique d’Emmanuel Macron, le Premier ministre ne pouvait qu’échouer. En revanche, il avait le choix, et le devoir, de ne pas mentir”, a réagi le député RN après l’entretien avec le Premier ministre.
Cette interview télévisée est pleine d’ambiguïtés. Cela ressemble à une ultime tentative pour éviter l’inévitable censure. Le Premier ministre s’est engagé dans une rencontre en tête-à-tête avec les électeurs du Rassemblement national, laissant une partie du pays sur la touche. Mais il délivre en même - une forme de testament politique. L’autoportrait d’un homme désintéressé des honneurs. « Les dorures qui nous entourent, les voitures officielles, l’or de la République, je m’en fiche, ce n’est pas le sujet, ce n’est pas moi qui suis coupable. Ce qui se passe va bien au-delà de ma seule condition.» L’autoportrait d’un homme animé uniquement par l’intérêt général, loin des guerres partisanes. “Je pense que l’intérêt supérieur du pays, le bien commun, l’intérêt national, cela signifie quelque chose.” Son destin personnel ne tient qu’à un fil. Son héritage, entre convictions sincères et manœuvres stratégiques, reste flou.
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