Avec le départ de Carlos Tavares, c’est l’Italien de 48 ans qui dirigera à lui seul pendant quelques mois l’empire automobile avec 14 marques. Retour sur le parcours du bon élève du capitalisme italien.
Avec le départ de Carlos Tavares, le nouveau patron de Stellantis se nomme John Elkann. L’héritier de la famille Agnelli, qui possède environ 14% du constructeur (2,5 milliards de dollars de patrimoine personnel), n’exercera qu’une fonction d’intérim, tardant à nommer un nouveau directeur général au cours du premier semestre 2025.
L’homme d’affaires de 48 ans n’entend pas faire office de figurant et se contenter de gérer les affaires courantes du groupe aux 14 marques. Ce qu’il n’a jamais fait. Le conseil d’administration de Stellantis qu’il présidait n’était pas une tour d’ivoire du haut de laquelle il observait de loin l’évolution du cours de bourse de son héritage. Le départ de Tavares est directement lié à des désaccords avec le milliardaire italien, notamment sur la croissance externe. John Elkann avait exclu toute fusion avec un autre groupe automobile contre la volonté du patron portugais.
Comme à la tête de l’Etat français, au sein de Stellantis, le directeur général gouverne mais le président préside. “Il ne sera pas seulement président d’honneur, mais président opérationnel”, assurait à l’AFP une Source interne lors de la création du groupe Stellantis en 2021. En tant qu’actionnaire majoritaire de Fiat, il a joué un rôle crucial dans les négociations de fusion.
Jusqu’à claquer la porte au nez de PSA à deux reprises lors des tentatives de réconciliation de PSA avec le groupe historique turinois. Une première en mai 2019 pour tenter de se rapprocher de Renault. Une seconde en août de la même année pour préserver les intérêts des actionnaires de Fiat.
Contrairement à son frère jet-setteur
« Il est réservé, mais très déterminé lorsqu’il s’agit d’imposer ses points de vue. Depuis qu’il est sorti de l’ombre de Sergio Marchionne, il s’affirme comme un chef d’entreprise. Il a réussi à bâtir sur l’héritage Agnelli», commentait à l’AFP Giuseppe Berta, ancien directeur des archives Fiat, en 2021.
C’est à peine 21 ans que le jeune Elkann est nommé par son grand-père Giovanni (Gianni) Agnelli dit « l’Avvocato » pour prendre les rênes de la plus grande dynastie industrielle de la péninsule. Une désignation qui ne allait pas de soi et qui faisait suite à un drame. C’est son cousin Giovanni Alberto, fils de son grand-oncle Umberto, de 10 ans son aîné, qui était destiné à prendre la relève. Mais à peine âgé de 33 ans, le dauphin désigné a été victime d’un cancer dévastateur.
C’est donc vers John, fils de l’écrivain et journaliste franco-italien Alain Elkann, et Margherita Agnelli, fille de Gianni, que les regards se tournent en 1997 après cette mort tragique. Contrairement à son frère Lapo, jet-setteur certifié aux mœurs particulières, John est le bon élève de la famille. Il étudie dans les meilleures écoles du Royaume-Uni et du Brésil suite aux mutations de son beau-père Serge de Pahlen, le deuxième mari de sa mère Margherita, devenue cadre chez Fiat.
Après un baccalauréat obtenu à Paris au lycée Victor Duruy, John Elkann revient à Turin étudier au Politecnico de Turin. Brillamment formé comme ingénieur, parlant quatre langues, discret et travailleur… L’héritier est chouchouté par le grand-père qui songea même un temps à l’adopter pour qu’il porte le nom d’« Agnelli ».
Elle est confiée à Gianluigi Gabetti, homme de confiance de Gianni et gardien du temple familial depuis plus de quatre décennies. John, affectueusement surnommé « Jaki » au sein de la famille, va ensuite se former dans différentes entités du groupe. Un stage ouvrier en Angleterre dans l’usine de phares Magneti Marelli, un passage sur les chaînes d’assemblage Cinquecento à Tichy en Pologne et même un emploi de commercial à la fin des années 90 chez un concessionnaire Fiat à Lille pendant quelques mois.
“Personne ne devait connaître sa véritable identité, sinon ces expériences n’auraient eu aucun sens”, témoignait en 2001 dans Le Temps Lodovico Passerin d’Entrèves, porte-parole d’IFIL, ancien nom d’Exor, la holding financière des Agnelli.
Naissance de Jean « le Conquérant »
C’est aux Etats-Unis en 2001, chez General Electric, qu’il part apprendre les techniques de la finance anglo-saxonne.
Le petit prince devrait prendre la place du roi. Au grand désarroi de la presse italienne qui n’a pas grand chose à se mettre sous la dent. Voix élancée et calme, costume-cravate sobre, Jaki n’a pas la flamboyance du playboy latin.
A son âge, le patriarche Gianni multipliait les conquêtes et menait une vie de fête et d’insouciance. Pas John Elkann, passionné de voile et marié depuis 2004 à Lavinia Borromeo, membre de la grande aristocratie italienne. Une cérémonie catholique romaine sur l’une des îles Borromées du lac Majeur. La seule concession à briller, autour du gâteau de 5 mètres de long en forme de l’usine Lingotto de Fiat à Turin, sont les foules de Carla Bruni, Elle Macpherson, Mario Monti et même Henry Kissinger et Michel Platini, ex-star de la Juventus Turin, propriété de la Agnellis.
Son grand-père est décédé en 2003, John Elkann était alors sous le feu des projecteurs. En 2004, il valide la nomination de Sergio Marchionne à la direction générale de Fiat qui deviendra son deuxième mentor. Ensemble, ils ont redressé un groupe automobile en faillite, s’associant à Chrysler en 2009 avant de se retrouver seuls au volant en 2018 suite au décès de Marchionne. Elkann prend alors la direction de la « scuderia » Ferrari et entame des discussions pour marier son groupe à un autre géant continental. PSA, Renault puis encore PSA pour donner naissance à la première grande multinationale du secteur Stellantis. La fusion rapporte 1,6 milliard d’euros dans les caisses d’Exor.
Une consécration en Italie où « John, l’ingénieur au visage d’enfant » devient « Jaki, il conquistatore » (le conquérant), comme le surnommait le quotidien milanais Il Foglio en 2019. Un conquérant de sang-froid qui sait modérer les débordements. l’enthousiasme de ses directeurs généraux. Avant les rêves de grandeur de Tavares, ce sont ceux de Sergio Marchionne qu’il a mis fin lorsqu’il a voulu racheter le mastodonte américain General Motors.
Conseillé par le milliardaire américain Warren Buffett, il renoncera à cette OPA hostile, préférant des discussions avec une autre grande famille industrielle, les Peugeot.