La navigatrice qui s’apprête à prendre le départ de la course en solitaire dimanche aux Sables-d’Olonne, dévoile ses dernières appréhensions, les belles leçons qu’elle a apprises au large… et comment sa vie s’organise. famille en l’absence des deux parents.
C’est un rendez-vous qu’elle n’aurait manqué pour rien au monde. La navigatrice Clarisse Crémer, 34 ans, a rejoint les Sables-d’Olonne d’où elle s’élancera dimanche 10 novembre sur son voilier Imoca « L’Occitane en Provence », pour la dixième édition du mythique Vendée Globe. Une tournée mondiale en solo de quatre mois…
La jeune femme, qui a appris à naviguer lors de ses vacances en famille et participé à ses premières régates étudiantes lors de ses études à HEC, a construit sa carrière au large, en même temps que son compagnon, le marin Tanguy Le Turquais – père de sa fille de presque 2 ans. ans. Lui-même s’embarque ce dimanche pour son premier Vendée Globe. Un défi d’organisation qui n’effraie pas ce concurrent hors du commun. Clarisse Crémer revient plus déterminée que jamais après une année 2023 houleuse, marquée par l’abandon de son sponsor historique, Banque Populaire, suite à l’annonce de sa grossesse. Et par de lourdes accusations de tricherie lors de la Transat Jacques Vabre – dont elle a depuis été totalement blanchie, mais qui ont coûté cher à l’athlète. Pour cette édition très particulière, elle a souhaité confier Madame Figaro l’exclusivité de son carnet de bord, que vous pourrez retrouver en ligne tout au long de la traversée. Nous avons recueilli ses dernières impressions, dans l’adrénaline des préparatifs.
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Madame Figaro.- Comment vous sentez-vous à quelques heures du départ ?
Clarisse Crémer.- C’est un moment à la fois étrange et unique, de se retrouver à quelques jours d’une tournée mondiale en solo. C’est long, quatre mois en mer. Je suis bien sûr assez stressée tout en étant très heureuse de partir !
Comment s’est déroulée votre préparation pour ce deuxième Vendée Globe ?
C’est un long processus condensé en dix-huit mois autour de quatre transatlantiques, trois en solitaire et une en double. En juillet et août, mon bateau, qui plus qu’un outil est un compagnon d’aventure, était en construction et nous avons passé beaucoup de temps à le préparer au mieux en septembre. La période de qualification m’a permis de le connaître sur le bout des doigts mais je pense qu’il me reste encore beaucoup de choses à découvrir sur lui en mode performance.
Comment abordez-vous la compétition ?
Un tour du monde en solo vous plonge dans des états psychologiques et émotionnels très particuliers, assez addictifs voire addictifs, et qu’il faut anticiper. Au bout de trois semaines, quelque chose se passe : on se retrouve dans un état d’extrême vulnérabilité face aux éléments, on abandonne tout ce qui est terrestre que l’on gardait en nous, on se retrouve entre le sauvage et l’humain. On apprend alors beaucoup en un temps record : tout devient plus simple, même si la course reste très technique et compliquée à la fois. Il y a la mer, le bateau et vous-même. Rien d’autre. C’est assez instinctif : au début il faut se forcer à trouver des rituels, à avoir les yeux partout. Le bateau devient une extension de soi, tout comme les éléments, même si l’on se retrouve dans l’endroit le plus inhospitalier pour l’homme. J’ai hâte de voir cette expérience jusqu’au bout.
Un voyage autour du monde en solo vous plonge dans des états psychologiques et émotionnels très particuliers, assez addictifs voire addictifs.
Avez-vous beaucoup travaillé sur votre confiance en vous ?
Je ne pense pas avoir fondamentalement changé, mais j’ai profité des aventures récentes, de ces événements forts professionnellement et humainement, pour me reconstruire sur des bases différentes. J’étais accompagnée de coachs, de psychologues, pratiquais la sophrologie et l’hypnose. Je ne suis pas d’accord avec l’adage « ce qui ne tue pas vous rend plus fort ». Les coups durs doivent être considérés comme tels, certaines blessures sont là à vie et même si à chaque fois, on en ressort « augmenté », cela reste un apprentissage… Après ce qui m’est arrivé en 2023, je me sens plus armé, plus aligné avec mon motivations.
Gérer les soins de votre fille de deux ans est une charge mentale qui doit être intense pour vous et votre partenaire lors de la préparation. Pouvez-vous nous en parler ?
Un marin dans la famille, c’est beaucoup, deux, c’est beaucoup trop ! Mais c’est aussi un privilège de pouvoir vivre notre rêve et mener nos carrières ensemble. Quand nous partons à deux, il y a une double tension car chacun fait sa course, mais on pense aussi à ce qui se passe les uns pour les autres et sur le continent. De ce point de vue, nous recevons beaucoup d’aide de la part de la famille, une aide physique et logistique, beaucoup de compréhension dans les moments difficiles, et des encouragements aussi, qui nous permettent d’avancer plus sereinement. A la maison, la petite sœur de Tanguy, Léna, joue le rôle de troisième parent et s’occupe de notre fille Mathilda lorsque nous sommes en mer. Depuis un an et demi, cette « fille au pair » comme elle se surnomme, vit avec nous, et travaille également dans l’équipe technique de son frère. C’est un cadre rassurant pour Mathilda qui passe ses journées avec la nounou et retrouve la même personne tous les soirs et tous les week-ends. Bien sûr, nous avons pensé à mettre en place des périodes de « pause » où ma mère prendra le relais, pendant les vacances et certains week-ends, pour que Léna puisse souffler un peu !
Quels conseils tirez-vous de votre expérience qui pourraient être utiles à nos lecteurs ?
La voile est un sport mentalement difficile, car le danger et la solitude sont constants. L’incertitude est la règle et il faut aller de l’avant. Gardez le cap et restez calme, appréciez les belles lumières et la vitesse du bateau, même si vous n’avez pas toutes les réponses, même si tout peut arriver. On ne contrôle pas non plus tout sur terre et quand je traversais des situations difficiles, j’actionnais les mêmes leviers : ne pas réfléchir, mettre un pied devant l’autre. Tant que nous ne vivons pas une tragédie absolue, il est toujours possible d’y faire face.