Les penseurs des relations internationales comme ceux de l’IFRI, qui l’ont appliqué aux positions changeantes d’Emmanuel Macron sur la guerre en Ukraine, nomment parfois cette « ambiguïté stratégique » ou « incertitude stratégique ». Pour déstabiliser un adversaire, une puissance rivale, un éventuel futur ennemi, certains dirigeants adoptent ainsi des attitudes mouvantes, tiennent des propos vagues, parfois contradictoires, sur un sujet donné.
Laisser dans une relative incertitude une nation avec laquelle on souhaite engager un bras de fer est alors considéré comme un moyen de lui aliéner un peu ses marges de manœuvre, de l’amputer de certitudes sur lesquelles elle pourrait bâtir sa logique politique.
Est-ce volontaire, ou est-ce le résultat d’une personnalité et d’un entourage naturellement fous et imprévisibles ? Car c’est de plus en plus régulièrement dans cette « ambiguïté stratégique » que semble se verser Donald Trump, fraîchement revenu à la Maison Blanche.
Chine, Russie : l’ambiguïté stratégique de Donald Trump
Ses positions sur la Chine, par exemple, semblent désormais incertaines. Après de fortes menaces de nouvelles taxes douanières, qui pourraient aussi ramener les Etats-Unis dans un cycle infernal d’inflation et d’insatisfaction, le locataire du bureau ovale explique désormais qu’il “je préférerais pas” Arrivée sur place avec Pékin (Bloomberg). Comment composer avec un président aux casquettes aussi variables ? Difficile, sans doute.
Et la Russie ? Même constat. On pourrait penser Donald Trump inféodé au Kremlin et à Vladimir Poutine, dont l’ingérence dans les élections américaines, en faveur du républicain, est désormais bien documentée (Les Échos en 2021, Télérama en 2024).
Arrivé au pouvoir, rien n’est désormais moins sûr quant aux volontés de celui qui avait promis de régler la guerre en Ukraine en 24 heures. S’il a commencé par provoquer des inquiétudes logiques et attendues du côté de Kiev en suspendant l’aide américaine à l’Ukraine (Le Monde), Donald Trump s’est ainsi montré particulièrement offensant devant son homologue russe lors de ses premiers discours de président investi.
Il a notamment évoqué sans ambages la responsabilité de Poutine dans la poursuite de la guerre. “Je pense qu’il détruit la Russie” En refusant un plan de paix, il a dit à la surprise relativement générale, faisant référence à une économie russe dont les bons chiffres apparents ne cachent plus de graves crises sous-jacentes (politiques).
Sur le réseau social dont il constituait la figure de proue, social, et comme le relaie notamment la BBC, le président américain a ainsi écrit “Je ferai à la Russie, dont l’économie s’effondre, une très grande faveur”.
Si nous ne parvenons pas rapidement à un accord, je n’aurai d’autre choix que d’imposer des taxes, des droits de douane et des sanctions plus élevés sur tout ce qui est vendu à la Russie aux États-Unis, ainsi qu’à plusieurs autres pays participants.
La menace est claire et s’ajoute aux autres. Inflation galopante, finances asséchées par la guerre coûteuse menée en Ukraine, pénurie de main d’œuvre et grave crise démographique, notamment, commencent à donner des sueurs froides au président russe lui-même (Reuters). Vladimir Poutine pensait pouvoir épuiser les économies et les opinions occidentales pour écraser l’Ukraine ; Il voit que le temps presse pour une nation exsangue, et qui ne pourra pas tenir indéfiniment sur une guerre de plus en plus fragile.
-C’est d’autant plus vrai que l’une des principales manne financière du pays semble commencer à se tarir. Car comme nous l’expliquions très récemment, ça sent le Roussi pour ces grosses réserves de pétrole brut qu’elle continue de vendre à bas prix en Chine ou en Inde, malgré les sanctions occidentales et grâce à ses « Fan » Tankers en mauvais état.
L’Arabie Saoudite, un allié inattendu de l’Ukraine face à la Russie ?
C’est dans ce contexte fragile pour l’économie russe, et cet or noir qui finance d’abord ses usines d’armement, que Donald Trump s’est tourné vers une nation tierce pour faire un peu plus de pression sur Vladimir Poutine, et affaiblir sa position avant de tenter de s’asseoir au table de négociation.
Comme nous l’avions annoncé en novembre, l’Arabie Saoudite pourrait ainsi devenir un terrible ennemi pour la Russie dans sa course contre la montre et dans sa guerre contre Kiev. Cœur toujours palpitant de l’Opep, premier producteur mondial de pétrole, le pays dirigé par Mohammed Ben Salman vient de promettre d’investir 600 millions de dollars dans l’économie américaine (la presse).
Ce qui ne semble pas suffisant pour Donald Trump. Comme l’expliquent notamment Newsweek ou Fortune, il a également demandé à Riyad, lors d’une indemnité accordée aux participants du forum de Davos, en Suisse, d’actionner le levier de la production pétrolière.
Si l’Arabie Saoudite, qui a pourtant besoin de liquidités pour financer ses projets faramineux, décidait avec ses alliés du cartel d’augmenter sa production d’or noir, elle pourrait faire baisser les prix de l’essence dans le monde, en premier lieu aux Etats-Unis, où la question a joué un rôle majeur. rôle sensible dans l’élection présidentielle.
Cela porterait aussi, et peut-être surtout, un coup fatal aux finances du Kremlin, que les dépenses liées à la guerre en Ukraine tendent jusqu’à la déraison. Juste après avoir évoqué l’Arabie Saoudite, le président américain lui a imputé en partie et indirectement la responsabilité de « Des millions de vies sont perdues » (sic). « Si les prix du pétrole baissaient, la guerre entre la Russie et l’Ukraine cesserait immédiatement »a-t-il expliqué au monde des décideurs fortunés, ainsi qu’au reste du monde.
Au moment où je vous parle, les prix sont suffisamment élevés pour que la guerre continue. Vous faites baisser les prix du pétrole. Vous pourriez arrêter cette guerre.
Tout en faisant également pression sur la Chine, qu’il accuse d’être trop passive sur la question, et bien qu’elle soit discrètement très active dans le conflit russo-ukrainien, Donald Trump place ainsi une partie du jeu et d’une possible paix négociée dans le mains de l’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salman et d’autres membres de l’organisation des pays exportateurs de pétrole ou OPEP+.
La Russie (connaissance des énergies) fait certes partie du groupe, mais elle ne pourrait pas grand-chose si Donald Trump parvenait à ses fins sur le prix du pétrole en convainquant ses principaux alliés au sein de l’organisation d’augmenter sa production mondiale.
L’or noir de Moscou, qu’elle vend déjà à des prix rabais En Inde ou en Chine, mais qui ces derniers jours est de moins en moins compétitif (Bloomberg), verrait son prix s’effondrer un peu plus. Et le Kremlin est amputé d’une plus grande part des revenus qui financent désormais, au Grand-Péine, sa guerre meurtrière en Ukraine.