Pour Dan Storyev, en réalité, il y a «je n’ai jamais eu de mouvement sans enfant [en Russie]. Il s’agit plutôt d’un mode de vie et d’une position quelque peu ironique qu’adoptent parfois les jeunes femmes russes pour s’opposer à la société patriarcale qui les entoure.“
Les femmes russes placées au cœur des problèmes démographiques
La femme, une mère avant tout
Le journaliste estime que même si «décevant“, c’est une initiative”attendu», sur fond de culture patriarcale très ancrée dans le pays. En effet, la société russe a une conception très précise de ce que doit être une femme : une personne hétérosexuelle, mariée et fertile. Bref, une mère. “Les politiques de Vladimir Poutine convergent largement avec les normes sociales déjà présentes dans la société russeanalyse la sociologue Claro Mona, maître de conférences à l’ULiège et spécialiste du genre et de la famille. L’idée selon laquelle l’obligation et l’idéal d’une femme est d’être mère est une norme sociale bien ancrée dans la société russe. Il est donc très difficile pour une femme de revendiquer le choix d’une vie sans enfants.“
Notre expert rappelle que l’Union soviétique était néanmoins «une pionnière mondiale des droits des femmes. Le projet communiste assumait une certaine idée de l’égalité entre les hommes et les femmes. Pendant longtemps, les femmes soviétiques ont donc bénéficié de droits dans différents domaines de la vie, bien plus avancés que ceux des femmes occidentales. [à l’époque]comme le droit de vote, la possibilité de travailler, de divorcer, l’accès aux crèches, le droit d’interrompre volontairement sa grossesse sur demande…“
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Cela ne signifie pas que l’égalité absolue entre les sexes règne. Même si la situation était égale sur le papier, »la propagande nataliste a fait de la maternité un idéal. En Russie soviétique, les femmes devaient être à la fois mères et travailleuses.“
Reprise démographique
Pourquoi cette approche nataliste revient-elle aujourd’hui sur le devant de la scène ? Est-ce pour relancer la démographie après les pertes humaines sur le front en Ukraine (même si aucune statistique officielle n’est publiée sur le sujet) ? Dan Storyev pense que si tel est l’objectif du Kremlin, il «dirigé [alors] une bataille perdue d’avance, car sa politique désastreuse a conduit à une fuite massive des cerveaux, à un exode sans précédent et, bien sûr, à un nombre considérable de morts à la guerre.« .
Mona Claro, de son côté, précise que «si le taux de fécondité est faible en Russie [1,4 enfant, NdlR]et encore une fois ce n’est pas exceptionnellement bas si on le compare à d’autres pays occidentaux comme l’Italie [1,2 enfant, NdlR]ce n’est pas parce que beaucoup de femmes n’ont pas d’enfants. Mais plutôt parce qu’une partie importante des mères se limitent à un seul enfant.« . Le chercheur ajoute que la proportion de femmes sans enfants en Russie est l’une des plus faibles au monde, de 7 à 12 % selon les dernières études. “Et seule une infime minorité le fait par choix. Même si on a de bonnes raisons de penser que ce taux va continuer à augmenter, on reste à des proportions assez faibles si on le compare à d’autres pays comme la Belgique ou la France.“
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Opportunisme politique
Le sociologue perçoit un possible opportunisme politique de la part de Vladimir Poutine. “Parfois, un régime attire l’attention de sa population sur des questions de morale, de famille et de sexualité pour la détourner d’autres problèmes.» Le sociologue rappelle par exemple que lorsque la Russie a connu en 2011, et pendant un an et demi, des protestations contre la réélection de Vladimir Poutine après l’unique mandat de Dmitri Medvedev, la loi sur « l’interdiction de la propagande homosexuelle » a été promulguée. peu de temps après (en juin 2013). C’est à cette époque qu’intervient un tournant conservateur dans l’idéologie du régime.
La « tradition » est désormais un projet politique silencieux mais permanent pour Vladimir Poutine. Le dirigeant insiste toujours sur l’importance de ce qu’il appelle les « valeurs traditionnelles », qui seraient mises en danger par l’influence perverse de l’Occident qui tenterait d’affaiblir la Russie. “Nous pouvons [également] voient dans l’imagerie de ce régime une glorification d’une certaine masculinité, surtout sur fond d’idéologie militariste croissante depuis 2014, année de l’annexion de la Crimée et du début officieux de la guerre en Ukraine. En Russie, le service militaire et la mobilisation concernent uniquement les hommes. Nous sommes donc confrontés à une double injonction patriotique très genrée : les hommes doivent se battre et les femmes doivent donner naissance à de la chair à canon.“
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russification
“Si l’on met cet accent sur la natalité, ce n’est pas simplement le constat d’un problème démographiqueContinuez Mona Claro. C’est une interprétation idéologique d’un phénomène démographique. Le régime met l’accent sur la production d’enfants plutôt que sur l’immigration, qui est un autre moyen d’augmenter la population du pays. Moscou mène une politique militaire nationaliste et cherche à annexer non seulement les territoires, mais aussi les populations qui y vivent. Nous savons qu’il existe une politique très active de russification des Ukrainiens dans les territoires occupés, sans parler des enlèvements d’enfants envoyés pour être adoptés et russifiés dans des familles russes.“
En effet, en décembre dernier, leInstitut pour l’étude de la guerre (ISW) a mis en garde contre la volonté de Vladimir Poutine d’étendre à toute la Russie les programmes d’éducation militaro-patriotique, initialement destinés aux territoires ukrainiens occupés. L’objectif est de «rehausser le prestige du service militaire parmi la jeunesse russe […]alors que le Kremlin continue de planifier son effort de guerre à long terme en Ukraine et d’éventuels futurs conflits armés avec les pays occidentaux», décrypte l’ISW.
Dans ce contexte, les discours féministes, y compris ceux revendiquant le droit de choisir une vie sans enfants, apparaissent donc dangereux pour le pouvoir. “Une partie de ce mouvement féministe est active en opposition à la guerre [comme le collectif Feministskoye antivoyennoye soprotivleniye, soit la résistance féministe anti-guerre, NdlR]. La loi contre la propagandesans enfant» est donc aussi une manière d’attaquer ce mouvement pour ces raisons.“