L’hiver s’annonce difficile pour la Moldavie. Le 28 décembre, le géant gazier russe Gazprom a annoncé qu’il cesserait, à compter du 1er janvier, d’envoyer du gaz vers ce petit pays enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine. Cette annonce fait suite au refus de l’Ukraine de permettre le transit du gaz russe par son territoire vers ses clients européens au-delà du 31 décembre 2024. Elle résulte principalement de la volonté de Moscou de faire pression sur les autorités pro-européennes. Moldaves.
Les conséquences s’annoncent graves pour les habitants du pays. Même si la Moldavie est privée de gaz russe pour se chauffer depuis 2022, le pays reste encore très dépendant de cette source d’énergie pour sa production d’électricité : 70 % de son approvisionnement en électricité provient de la puissante centrale thermique de Kuchurgan, située en Transnistrie.
Ce territoire séparatiste pro-russe, où sont stationnés environ 1 500 soldats sous commandement de Moscou, échappe au contrôle de Chisinau depuis 1992. Cette usine est cependant approvisionnée en gaz russe, que Gazprom livre quasi gratuitement au régime séparatiste. Si elle ne produit plus, la Moldavie risque une panne d’électricité.
La fin des livraisons met également la Transnistrie au bord de l’effondrement. Car si la Moldavie ne dépend plus du gaz russe pour se chauffer et faire fonctionner son industrie, ce n’est pas le cas de ce territoire situé sur la rive gauche du fleuve Dniestr, où vivent environ 300 000 personnes. Privées de cette aubaine, les usines de cette région industrielle vont rapidement fermer leurs portes, et les maisons vont geler.
Les autorités séparatistes de Transnistrie ont annoncé un ensemble de mesures d’urgence, notamment l’enseignement à distance et la coupure du chauffage central. Il est toutefois difficile de mesurer si cette situation affecte la confiance envers Moscou dans cette région majoritairement russophone, au paysage politique et médiatique verrouillé.
« Crise sécuritaire délibérée »
«Il ne s’agit pas d’une crise énergétique, mais d’une crise sécuritaire délibérée. » provoqué par la Russie, a dénoncé le Premier ministre moldave Dorin Recean, qui accuse Moscou de “prendre en otage” les habitants de la Transnistrie. Moscou aurait en effet pu continuer à livrer du gaz à la Moldavie sans passer par l’Ukraine, via la mer Noire, la Turquie et les Balkans. Mais la Russie aurait conditionné cette solution au paiement d’une dette importante, dont Chisinau conteste le montant. Les autorités moldaves y voient une manière pour Moscou de se décharger de la responsabilité d’une crise artificielle destinée à déstabiliser le gouvernement pro-européen du pays.
En poste depuis 2020, la présidente Maia Sandu, du Parti Action et Solidarité (PAS), a été réélue en octobre 2024 au terme d’une campagne marquée par des opérations d’ingérence russe sans précédent. Les élections législatives qui doivent se tenir d’ici juillet 2025 s’annoncent difficiles pour le PAS. Une crise énergétique serait de nature à donner du vent aux concurrents pro-russes ou favorables à la neutralité du pays, prompts à vanter le rétablissement des importations de gaz russe bon marché. Leur victoire aux élections législatives pourrait compromettre la trajectoire européenne de la Moldavie.
Le pays semble insuffisamment préparé à la crise imminente. N’ayant pas réussi à constituer des stocks de gaz plus tôt dans l’année, une hausse de 30 % des prix de l’énergie a été répercutée à partir de décembre, malgré les promesses précédentes du gouvernement. Considéré comme responsable de la situation, le ministre de l’Energie Victor Parlicov a été limogé début décembre par le Premier ministre Dorin Recean, qui a repris son portefeuille et déclaré l’état d’urgence énergétique.
Un espoir de réunification ?
Plusieurs observateurs rejoints par La Croix Nous partageons cependant le sentiment que le gouvernement moldave, plus largement, n’a pas pris suffisamment au sérieux l’éventualité d’une réduction du gaz, comptant plutôt sur une réduction des livraisons. Vendredi 27 décembre, veille de l’annonce de Gazprom, le vice-Premier ministre chargé de la réinsertion, Oleg Serebrian, a encore exprimé sa circonspection face à ce scénario catastrophe. Il a affirmé ne pas “ne pas voir la logique d’un arrêt complet des approvisionnements», La Transnistrie, vassale de Moscou, souffrirait tellement.
Certains experts ont suggéré que cette crise pourrait forcer la Transnistrie à réintégrer la Moldavie. Chisinau pourrait en effet venir en aide à la région séparatiste en lui livrant le gaz dont elle a besoin, en échange de concessions politiques. Reste à savoir qui paiera la note.
Les estimations évaluent entre 300 et 400 millions d’euros la quantité de gaz que Gazprom livrait presque gratuitement chaque année à la Transnistrie pour la maintenir artificiellement en vie, soit l’équivalent de 2 % du PIB moldave. Il est difficile d’imaginer comment Chisinau pourrait à elle seule compenser une telle perte.
« Cette crise peut rapprocher les deux rives, mais je ne crois pas que la réintégration soit possibletempère Irina Tabaranu, cofondatrice du média Zona de Securitate, qui couvre l’actualité de la région séparatiste. Les troupes russes ne repartiront pas avec le gaz. Et le gouvernement de Chisinau manque de ressources financières et humaines pour gérer la réintégration. Cette crise ne fait que mettre en évidence ce problème. »