On raconte que, dans l’entre-deux-guerres à Paris, près de 300 négociants en perles fines avaient établi leurs quartiers entre les numéros 1 et 100 de la rue Lafayette. C’est dire que la capitale française s’était hissée au rang de plaque tournante du commerce mondial des perles sous la Troisième République ! Dès la fin des années 1860 et jusqu’à la fin des années 1930, des fortunes naissent grâce à l’ouverture de nouvelles routes terrestres, maritimes puis aériennes entre la France et les pays du golfe arabo-persique, appelées « côtes ». perles ». Réputée depuis l’Antiquité pour la richesse et la qualité de ses parcs à huîtres perlières, cette région du monde concentre l’essentiel de la production de cette matière convoitée.
La perle dans tout son éclat
Dès lors, une véritable « perlomanie » s’empare de la place Vendôme, tandis que les grandes Maisons rivalisent d’audace et de créativité pour sublimer ces joyaux de la nature, nés sans intervention humaine. Il faudra en effet attendre les années 1920 et l’arrivée massive des perles de culture sur le marché parisien pour que l’usage des perles fines ou naturelles en joaillerie et haute joaillerie s’éclipse progressivement.
Collier, vers 1910, perle fine, diamants, or blanc, platine, collection privée. © Photo : L’École des Arts Joailliers – Benjamin Chelly
Obéissant aux préoccupations pédagogiques chères à l’École des Arts Joailliers, l’exposition aborde ainsi chaque aspect de cette odyssée perlière (historique, économique, sociologique, esthétique, etc.) grâce à une richesse de documents (livres de comptes, catalogues de vente, affiches publicitaires, photographies, peintures, etc.) réunis par les deux commissaires : Léonard Pouy, docteur en histoire de l’art, et Olivier Segura, gemmologue.
Pendentif hibou, vers 1880, perle baroque, diamants, rubis, or, Collection privée, gracieuseté de l’Albion Art Institute. © Institut de bijouterie d’art d’Albion.
Mais le premier contact du visiteur avec la perle sera tactile au premier sens du terme, le visiteur pouvant plonger ses mains au cœur d’un bassin profond débordant de milliers de petites perles blanches d’une douce sensualité. Il est difficile de croire que ces jolies petites sphères sont toutes nées. un mouvement de cellules épithéliales sécrétant la coquille à l’intérieur du tissu conjonctif du manteau du mollusque » ! Mais il n’est pas nécessaire d’être un scientifique pour admirer les joyaux exceptionnels rassemblés lors de cette exposition.
Collier, 1890, perles fines, diamants, or, argent, Collection privée, gracieuseté de l’Albion Art Institute © Albion Art Jewellery Institute
Diadèmes de fées et colliers somptueux
Au tournant des XIXème et XXème siècles, sur fond de rivalités économiques entre les capitales anglaise et française, la perle cristallise tous les désirs et son prix dépasse même celui du diamant !
View of the exhibition “Paris, capital of the Pearl” at the École des Arts Joailliers, Paris © L’École des Arts Joailliers / Photo: Dylan Dubois, 2024
« En 1900, la perle comptait parmi ses principaux défenseurs non seulement des maisons comme Cartier et Boucheron, mais aussi les frères Paul (1851-1915) et Henri Vever, le joaillier René Lalique (1860-1945) ou encore Georges Fouquet (1862-1957). , qui s’intéressent particulièrement à ses variétés les plus baroques, n’hésitant pas à se détourner des perles du Golfe pour regarder celles du Mississippi », apprend-on dans le beau catalogue qui accompagne l’exposition. On ne manquera pas d’admirer ce somptueux devant de corsage d’Henri Vever (1900, collection Faerber) dont les marguerites aux pétales caressés par le vent sont entièrement composées de diamants et de perles douces pêchés dans le grand fleuve américain.
Henri Vever, Devant du corsage, 1905, perles du Mississippi, diamants, émail, or, argent, collection Faerber © Faerber
Champion de l’Art nouveau, René Lalique est, quant à lui, représenté dans l’exposition par cette curieuse broche tête de bouffon alternant perles fines brunes et perles baroques, ou encore ce ravissant collier de chien orné d’un décor d’aubépines en perles fines, tous deux conservés à le Musée des Arts Décoratifs de Paris. Alors que les frères Rosenthal se distinguaient par leur audace et leur sens des affaires (ils furent les tout premiers négociants en perles parisiens à s’être rendus à Bahreïn), le joaillier Jacques Cartier décide à son tour de se rendre dans le Golfe en 1912.
René Lalique, Ring, circa 1910, fine pearl, diamonds, enamel, yellow gold, private collection © Photo L’École des Arts Joailliers – Benjamin Chelly
Ce sera le début d’une longue histoire d’amour entre la perle et la Maison de la rue de la Paix… Incarnation de la « femme moderne » depuis les années 1910, la perle se porte alors en sautoirs, comme le montre la délicieuse invitation carte conçue par George Barbier pour Cartier en 1914 et qui représente pour la première fois l’emblématique panthère !
View of the exhibition “Paris, capital of the Pearl” at the École des Arts Joailliers, Paris © L’École des Arts Joailliers / Photo: Dylan Dubois, 2024
Mais il peut aussi se transformer en diadème magique chez Chaumet (diadème Murat, 1920, collection particulière) ou en somptueux collier à cinq rangs comme sur le célèbre exemplaire Gourdji de la collection Faeber. “Deux générations ont été nécessaires pour composer ce collier exceptionnel par l’harmonie des couleurs (rose, verdâtre, orange) et la qualité des accords de perles.», s’est exclamé Olivier Segura le jour de l’ouverture.
Les joies et les malheurs de la perle
Si l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 relance la « perlomanie » dans les salons parisiens, l’irruption des perles de culture japonaises sur le marché va hâter la fin de l’âge d’or de la perle fine en haute joaillerie. Mais le coup fatal sera porté lors de la Seconde Guerre mondiale avec la déportation des commerçants juifs de la rue Lafayette. La disparition tragique de ces grandes familles de marchands français (dont celle des Rosenthal) sonne le glas de l’insouciance et de la prospérité.
Van Cleef & Arpels, broche « Gladiateur », 1956, or jaune, émeraudes, rubis, perle baroque, perles fines, diamants, collection Van Cleef & Arpels © L’École des Arts Joailliers
L’exposition se termine cependant sur une note plus joyeuse, avec la réappropriation de la perle par des joailliers contemporains. À la pureté géométrique de la BagueDeux perlesque Jean Dinh Van a créé pour Pierre Cardin en 1967, contraste avec la flamboyance baroque de ceTête de moutonde la Maison JAR créée en 2007 (perles fines, saphirs étoiles cabochons, aluminium, argent et or, collection privée).
JAR, clip « Tête de mouton », 2006, perles fines, saphirs étoilés cabochons, aluminium, argent, or, collection particulière © L’École des Arts Joailliers
« Paris, capitale des perles »
Ecole des Arts Joailliers, Hôtel de Mercy-Argenteau, 16 bis boulevard Montmartre, Paris 9e
Entrée gratuite sur réservation
Jusqu’au 1er juin 2025
Les perles, de Bahreïn à Paris